Niger : un autre signe de faiblesse de la réponse africaine aux crises
Alors que les organisations intergouvernementales sont aux prises avec des problèmes de sécurité, il est temps de revoir l'architecture africaine de paix et de sécurité.
Publié le 28 août 2023 dans
ISS Today
Par
Paul-Simon Handy
directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant de l’ISS auprès de l’UA
Le coup d'État du mois dernier au Niger est un symptôme supplémentaire de la crise du multilatéralisme en Afrique. L'évolution de la situation politique et sécuritaire au Niger et dans d’autres pays africains confirme les dilemmes de sécurité collective du continent, ainsi que les déficiences de ses architectures de paix, de sécurité et de gouvernance.
Des dissensions notables ont émergé parmi les acteurs africains au sujet de la réponse appropriée au coup d’État, témoignant de l’érosion du consensus de la Déclaration de Lomé de juillet 2000 sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement.
Le coup d’État militaire au Niger est le sixième en deux ans en Afrique de l’Ouest. Il témoigne de la fragilité des gouvernements confrontés à l’extrémisme violent et souligne les défis auxquels font face les organismes continentaux et régionaux, à l’instar de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dans la prévention des coups d'État militaires et civils.
En République centrafricaine (RCA), une nouvelle constitution qui supprime la limitation des mandats présidentiels a été adoptée par référendum en juillet. Pour y parvenir, le président Faustin-Archange Touadéra a illégalement limogé le président de la cour constitutionnelle, qui avait initialement jugé que l’extension des limitations des mandats était anticonstitutionnelle.
Les envoyés spéciaux de l'UA sont un outil de prévention des conflits très efficace mais sous-estimé
Au Soudan, le déclenchement de la guerre civile entre les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide marque l'échec de la transition de 2019 conçue par l’Union africaine (UA) après l’éviction d’Omar el-Bechir.
Ces trois événements, de portée et de nature différentes, mettent en évidence la difficulté des organisations africaines à peser sur les situations de conflit et révèlent de plus en plus de désaccords sur les bonnes solutions aux crises.
Pour y remédier, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a demandé à la Commission de l’UA en juillet de « revoir l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) afin de l’adapter aux défis de sécurité contemporains auxquels le continent est confronté ».
Plusieurs facteurs sont révélateurs de la crise que traverse l’APSA, notamment l’incohérence dans l’utilisation des mécanismes existants. Par exemple, le chef de cabinet du président de la Commission de l’UA a été nommé porte-parole de la situation au Soudan alors qu'un bureau de liaison de l'UA était déjà présent à Khartoum. Malgré la crise latente en RCA, l'UA n'a pas remplacé son représentant spécial, quatre mois après le départ de son prédécesseur. Les envoyés spéciaux de l'UA, pourtant très efficaces, demeurent un instrument de prévention des conflits largement sous-estimés.
Certains outils de prévention des conflits utiles et abordables pourraient être activés
Au Niger, le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, et le CPS ont unanimement condamné le coup d'État, malgré de légères divergences sur le recours potentiel à la force pour rétablir l'ordre constitutionnel. En revanche, la gestion de crises comme celle du Tchad par le CPS a été jugée incohérente.
La préférence des gouvernements pour une approche militaire du règlement de l'insécurité est un autre exemple des problèmes de l’APSA. Non seulement de telles stratégies ne s'attaquent pas aux causes profondes des conflits, mais elles remettent de plus en plus en question les fondements de l’APSA en tant que mécanisme de sécurité collective. Les questions de gouvernance ne reçoivent pas autant d’attention que les mesures militaires, même si les pays africains ne peuvent pas eux-mêmes financer ces interventions, comme le montre la crise actuelle du financement des opérations africaines de soutien de la paix.
Modifier l’APSA nécessite une évaluation des instruments existants, en particulier ceux qui concernent la diplomatie préventive, la gouvernance et la subsidiarité. Compte tenu des coûts associés au rétablissement de la paix, certains outils de prévention des conflits utiles et abordables pourraient être activés.
Les récentes réformes de l’UA ont porté atteinte au cadre de prévention des conflits de l’organisation et devraient être réévaluées sur les plans politique et technique. La capacité du Groupe des Sages à répondre très tôt aux crises émergentes devrait être renforcée. Dans l’idéal, le Groupe devrait être composé d'anciens chefs d'État et les compétences de son secrétariat devraient être augmentées et transférées au Bureau du Président.
En supprimant la distinction entre prévention et gestion des conflits, l’UA est devenue réactive
Les envoyés spéciaux de l’UA sont essentiels à la diplomatie préventive, cependant, ils reçoivent rarement un soutien substantiel et administratif adéquat pour accomplir leur mandat. Cette lacune compromet la capacité de l’UA à déployer les bons offices politiques dans les situations de crise.
Plus largement, le démantèlement du système continental d’alerte précoce et sa fusion avec les bureaux régionaux devraient être réévalués. Les bureaux régionaux, en sous-effectif, se concentrent sur les crises signalées par le CPS au lieu d’identifier celles qui couvent. La distinction entre prévention des conflits et gestion des crises disparait, faisant de la Commission de l’UA une organisation réactive.
Sur le plan de la gouvernance, l’UA et les communautés économiques régionales (CER) ont souvent eu du mal à utiliser les cadres régionaux de manière adéquate. La série de changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique de l’Ouest et le récent changement de constitution en RCA soulèvent des questions sur l’efficacité des instruments tels que le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs. La valeur ajoutée des mécanismes de gouvernance distincts de l’APSA n’a jamais été démontrée et les réformes de l’UA ont manqué une occasion de rationaliser ces instruments juridiquement distincts.
La dépendance excessive de la Commission de l’UA à l’observation des élections génère de la visibilité, mais ne compense pas le manque de clarté sur l’approche de l’UA pour éviter les mauvaises pratiques récurrentes à long terme.
Enfin, la signification de la subsidiarité pour l’UA et les CER devrait être redéfinie. Les dirigeants des juntes nigériennes et soudanaises se sont montrés hostiles à l’égard de la CEDEAO et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, signe que la proximité d’une crise pourrait constituer un problème en soi.
L’expérience récente de la gestion transrégionale des crises montre qu’une intervention conjointe et synchronisée de l’UA et des CER dans les moments les plus forts de la crise a plus de chances de fonctionner qu’un séquençage mécanique qui fait de l’organisme régional le premier intervenant exclusif. Pour cela, le CPS devrait faire preuve de plus de cohérence dans l’exercice de ses fonctions en tant que principal organe décisionnel en matière de sécurité et de gouvernance.
Les CER et l’UA devraient poursuivre la recherche d’un consensus pour gérer les fractures apparues récemment dans de nombreux mécanismes régionaux, notamment la CEDEAO dans le cas du Niger, qui entravent leur efficacité et leur crédibilité.
Lorsque l’APSA a été lancée en 2003, elle était considérée comme une contribution innovante au multilatéralisme africain. Son approche d’une intervention en trois volets impliquant les niveaux national, régional et continental était originale, car elle permettait également des arrangements minilatéraux. Mais avec la montée des tensions géopolitiques et la volonté des États africains de s’impliquer davantage dans la gouvernance mondiale, l’APSA doit s’adapter aux nouveaux défis en matière de gouvernance et d’insécurité.
Paul-Simon Handy, directeur régional du bureau de l'ISS pour l'Afrique de l'Est et représentant auprès de l'UA, et Félicité Djilo, analyste indépendante
Image : © AFP
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