Démanteler les économies illicites au service du terrorisme au Sahel
L’Union africaine peut coordonner des actions dans la région pour neutraliser les réseaux criminels et réduire les flux d’armes.
Les crises sécuritaires provoquées par l’extrémisme violent, les conflits entre agriculteurs et éleveurs et le banditisme sont monnaie courante dans la région du Sahel. L’extrémisme est le principal moteur de la violence. Selon l’indice mondial du terrorisme 2025, le Sahel concentre 51 % des décès liés au terrorisme dans le monde.
Le nombre de victimes est une source de préoccupation majeure. Toutefois, les économies illicites qui soutiennent l’extrémisme violent devraient aussi en être une.
L’attrait pour les importants gisements d’or favorise les économies illégales dans un contexte d’instabilité régionale. Un rapport des Nations unies de 2023 a révélé que l’exploitation aurifère artisanale et à petite échelle, souvent illégale, représentait environ 50 % de la production d’or régionale. Les États sont privés de milliards de recettes au profit des groupes qui contrôlent les communautés minières et les itinéraires de contrebande.
Plus de 1,8 million de personnes au Sahel vivent de l’exploitation minière. Les extrémistes et les bandits se disputent le contrôle des sites miniers pour se financer et recruter des partisans.
Des groupes extrémistes comme le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) profitent de l’absence des autorités dans certains territoires et sur certains marchés pour les contrôler. Ils imposent des taxes et monnayent leur protection auprès des mineurs et des communautés contre, selon eux, des groupes rivaux. En réalité, ils assoient leur contrôle sur ces zones riches en ressources.
Le partage des itinéraires entre extrémistes et trafiquants mêle motivations idéologiques et lucratives
Dans les localités qu’il contrôle, le GSIM, qui est une coalition de cinq groupes affiliés à Al-Qaïda, exerce une gouvernance stratégique pour s’assurer du soutien des populations. Il ignore les réglementations en autorisant l’exploitation minière et forestière dans des réserves naturelles, aux risques et périls des populations. Il bénéficie ainsi du soutien des habitants déçus des politiques de l’État ou des retards dans l’obtention des licences.
Les mineurs du Mali, du Burkina Faso et du Niger collaborent avec les groupes armés par nécessité et par préférence, ce qui renforce l’influence des extrémistes et sape l’autorité de l’État. Le GSIM compte de nombreux membres dans les trois pays et accroit sa présence dans les États côtiers comme le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire. Il peut donc régenter les itinéraires de contrebande de l’or avec la complicité des réseaux criminels internationaux.
Le commerce illicite d’armes renforce l’influence des groupes criminels au Sahel. Environ 12 millions d’armes illégales circulent en Afrique de l'Ouest notamment des armes légères, des munitions réelles, des engins explosifs improvisés, des drones et des grenades propulsées par fusée.
Outre les stocks accumulés en Libye après le conflit, la majeure partie des armes provient des pertes sur le champ de bataille et des détournements opérés par des fonctionnaires véreux. Les marchés prospèrent dans les villes frontalières telles que Malam Fatori (Nigeria), Tin Zaouatine (Algérie), Téra (Niger), Mourzouq (Libye), Gaya (Niger) et Porga (Bénin).
Au Sahel, la demande d’armes vient autant des extrémistes et des séparatistes que des civils désireux de se protéger.
L’UA pourrait associer l’AES et la CEDEAO à la lutte contre la criminalité organisée
Les groupes d’autodéfense pullulent et protègent les quartiers contre les criminels, mais ils exacerbent souvent la violence en pratiquant le profilage ethnique et la discrimination. Au Mali, les groupes d’autodéfense tels que les Dan Na Ambassagou et les communautés peules subissent des représailles parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir des liens avec le GSIM.
Les armes utilisées dans ces escarmouches proviennent de marchés contrôlés par des personnes qui prospèrent grâce à l’instabilité. La production artisanale d’armes est également en hausse : 60 % des armes saisies sur des civils au Burkina Faso en 2016 et 2017 étaient fabriquées localement.
Cette prolifération illégale d’armes a anéanti toute possibilité de dialogue, provoqué des crises intercommunautaires et poussé les populations au départ. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés estime qu’environ cinq millions de personnes ont été déplacées de force et que 33 millions d’autres ont besoin de l’aide humanitaire. Elles sont exposées au travail forcé, à la traite sexuelle et au trafic de migrants.
Les jeunes, désillusionnés par les crises de gouvernance et dépendants aux drogues bon marché comme le tramadol et d’autres opioïdes synthétiques, sont portés à rejoindre les réseaux criminels. Les taxes que la filiale du GSIM, Al-Qaïda au Maghreb islamique, perçoit sur les itinéraires de contrebande de drogue servent au financement de ses activités.
Le partage des itinéraires entre les extrémistes et les trafiquants d’armes, de drogue et d’êtres humains brouille la frontière entre les motivations idéologiques et lucratives. Pour démanteler ces réseaux, il faut renforcer la sécurité frontalière et communautaire, réglementer la production artisanale d’armes et s’attaquer aux facteurs socio-économiques de la radicalisation des jeunes.
Les États doivent prendre des mesures pour réduire les ressources et les recrutements des extrémistes
L’absence de législation n’est pas à l’origine du crime organisé et de l’extrémisme au Sahel, mais plutôt la capacité limitée des gouvernements à appliquer la loi. Les vastes espaces non gouvernés, les conditions socio-économiques propices à la corruption et l’insécurité sont des vecteurs d’économies illicites.
Les gouvernements dirigés par des juntes au Mali, au Burkina Faso et au Niger sont l’expression de décennies d’échecs gouvernementaux. Leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour former l’Alliance des États du Sahel (AES) a fragmenté la coopération régionale et retardé les initiatives de sécurité régionale.
L’Union africaine (UA) est bien placée pour mener des réponses coordonnées. Cependant, elle n’agit pas face aux transgressions des États, hésitant depuis plus de dix ans à déployer une force dans le Sahel.
L’UA doit s’engager avec l’AES pour résoudre les conflits sous-jacents tels que la crise sécessionniste au Mali et démanteler les structures qui soutiennent les marchés illégaux. Grâce à son pouvoir rassembleur, l’UA pourrait associer l’AES et la CEDEAO à la lutte contre la criminalité transnationale organisée.
La relance du processus de Nouakchott de 2013 contre le terrorisme et le crime organisé pourrait être une solution, mais à condition que l’UA fournisse un effort supplémentaire au Sahel. Il faudra surmonter la méfiance des populations, partager les renseignements, créer des patrouilles frontalières conjointes et cibler les enclaves criminelles et extrémistes.
Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA pourrait exhorter les États de la région à adopter des mesures qui réduisent les ressources des extrémistes et leur base de recrutement. Des évaluations coordonnées des zones sensibles des itinéraires de trafic et des bastions extrémistes sont indispensables pour minimiser les dommages causés aux civils, tandis qu’une gestion rigoureuse des stocks d’armes pourrait freiner leur détournement.
Il est également essentiel de s’attaquer aux facteurs socio-économiques de la criminalité. L’UA doit mobiliser des fonds pour initier un développement économique centré sur les jeunes, en particulier dans les communautés frontalières, qui offre des alternatives à l’exploitation minière illégale, à la contrebande et à l’extrémisme.
Cet article a été publié pour la première fois dans le Rapport sur le CPS de l’ISS.
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