L'Afrique peut-elle faire bloc contre l’offensive douanière de Trump ?
Certains plaident pour que l’Afrique apporte une réponse commune aux droits de douane américains, mais est-ce réaliste ?
Les pays africains ne semblent pas désireux d’apporter une réponse commune aux nouveaux droits de douane à l’importation « réciproques » imposés la semaine dernière par le président américain Donald Trump.
En Afrique, trente-deux pays ont obtenu le taux minimum mondial de 10%, 18 pays ont obtenu 15%, la Tunisie 25% et l'Afrique du Sud, l'Algérie et la Libye 30%.
Les nouveaux tarifs douaniers de Trump présentés le 31 juillet ont corrigé des anomalies flagrantes de son annonce d’avril. Le tarif astronomique de 50% imposé au Lesotho a été ramené à 15%. Mais le tarif appliqué à l'Afrique du Sud, est inchangé malgré les pressions exercées par le gouvernement.
En avril, Trump a imposé des droits de douane élevés à plusieurs pays, dans le but de résorber les déficits commerciaux. Ces droits de douane étaient calculés selon les déficits commerciaux individuels des pays et non leurs barrières commerciales avec les États-Unis.
Le Lesotho a été pénalisé par cette formule, car il est entouré par l'Afrique du Sud d’où il importe la plupart de ses marchandises et très peu des États-Unis (seulement 2,8 millions de dollars américains l'année dernière). En revanche, le Lesotho a exporté une quantité importante de marchandises (d'une valeur d'environ 273,3 millions de dollars américains) vers les États-Unis, principalement des vêtements via la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA), et des diamants.
L’on ignore comment les États-Unis sont parvenus aux tarifs révisés, mais il semble qu'aucune formule n'ait été appliquée, puisque la plupart des pays africains ont obtenu 10% ou 15%, à l'exception des quatre cas isolés.
Les facteurs politiques ont certainement pesé dans la balance. C'est évident dans le cas de l'Afrique du Sud, car Trump s'est insurgé contre Pretoria pour sa Loi sur l'expropriation et son prétendu « génocide » des Afrikaners blancs. La décision de Pretoria de traduire Israël devant la Cour internationale de justice pour le prétendu génocide à Gaza pourrait être un autre facteur.
L'Afrique pourrait-elle négocier en tant qu'entité unique sans union douanière ou marché commun ?
L'Algérie a probablement été ciblée en raison de son hostilité envers le Maroc, membre des accords d'Abraham conclus par Trump avec les pays arabes. La raison des taux élevés pour la Libye et la Tunisie est incertaine.
Si ces droits de douane reposent sur une logique économique, celle-ci est aléatoire. La réduction à 15% pour le Lesotho semble spectaculaire, mais le ministre du Commerce et de l'Industrie, Mokhethi Shelile, affirme que le pays est toujours désavantagé– dans l'exportation de vêtements vers les États-Unis – par rapport au Kenya et à l'Eswatini qui n'ont obtenu que 10%.
Après avoir réorienté sa politique africaine de l'aide vers le commerce, on aurait pensé que les États-Unis seraient sensibles aux préoccupations du Lesotho et à son lobbying.
Bien que certains analystes appellent à une réponse africaine unifiée à cette offensive douanière, rien n'indique qu'une telle réponse sera apportée par l'Union africaine (UA) ou d'autres instances.
Wamkele Mene, secrétaire général de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), a déclaré que les pays africains devaient unifier leurs politiques commerciales pour contrer ce tumulte. « La bonne nouvelle issue de cette crise est que nos chefs d'État comprennent qu'aucun marché africain ne peut survivre seul », a déclaré Mene à CNBC Africa en avril.
« Nous ne pourrons mener des négociations bilatérales. Nous devons tirer parti de nos efforts communs, de la taille combinée de nos marchés et de nos populations ».
L'Afrique doit renforcer le commerce intra-africain, qui est le plus faible au monde, avec moins de 20%
Daniel Bradlow, expert en diplomatie économique à l'université de Pretoria et à l'Institut sud-africain des affaires internationales, déclare : « Il est idéaliste de penser que l'ensemble des 54 pays peuvent s'accorder sur une stratégie unique et que les États-Unis l'accepteraient ».
Dans ce type de négociation, les États-Unis ont intérêt à diviser pour mieux régner », a-t-il déclaré à ISS Today. « Ils peuvent proposer au Kenya ou à l'Afrique du Sud, un accord trop avantageux pour qu'ils puissent le refuser. Et cela les éloignerait d'une approche unifiée. Cette approche n’est pas productive, il faut plutôt essayer de développer la ZLECA ».
L'Afrique peut-elle réellement négocier en tant qu'entité unique ? Elle ne dispose pas d'une union douanière ou d'un marché commun et il lui est impossible d’avoir de tarif extérieur commun avec un pays extérieur. (Bien que des groupes sous-régionaux aient négocié des accords de libre-échange avec l'Union européenne).
Mais Bradlow a raison de proposer, comme Mene le confirme, une diversification des marchés africains et un renforcement du commerce intra-africain, qui est le plus faible au monde, avec moins de 20%. Il faut donc accélérer la mise en œuvre de la ZLECA. Peut-être que l'offensive douanière de Trump les incitera à se dépêcher.
Peu de pays africains enregistrent le volume des exportations de l'Afrique du Sud vers les États-Unis, notamment si l'on soustrait les marchandises exemptées des nouveaux droits de douane, comme le pétrole et les minéraux, qui ont une valeur stratégique pour Washington.
Malgré les négociations avec les États-Unis, les priorités évoluent de l'atténuation vers l'adaptation
Mais pour des pays comme le Lesotho, même des valeurs d'exportation faibles sont cruciales. Une étude conjointe de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique (CEA), de la Commission de l'Union africaine et de la Banque africaine de développement, qui sera publiée prochainement, suggère que ces nouveaux tarifs douaniers pourraient réduire les exportations africaines vers les États-Unis de 21,5%.
« Cela va au-delà des volumes commerciaux », déclare Claver Gatete, secrétaire exécutif de la CEA. « Cela affecte les emplois industriels, les chaînes d'approvisionnement régionales et la voix de l'Afrique dans la définition des conditions d'engagement ». Il a exhorté les pays à mobiliser leurs ressources pour résister à la détérioration de l'environnement extérieur, caractérisée par une hausse des tarifs douaniers et une diminution de l'aide.
Bien que les États africains continuent de négocier avec les États-Unis, les priorités évoluent de l'atténuation vers l'adaptation. L'Afrique du Sud met en place un Service d'assistance à l'exportation pour aider les entreprises. Elle adoptera des mesures pour amortir le choc pour les industries clés touchées, telles que l'automobile et l'agriculture.
Le protectionnisme agressif des États-Unis offre une opportunité à leur principal rival mondial, la Chine, qui tend une bouée aux pays africains en supprimant les droits de douane à l’importation sur presque tous leurs produits, a déclaré l'économiste nigérian Bismarck Rewane à CNN.
Il est toutefois difficile de se passer de la première économie mondiale. Peut-être que le meilleur espoir pour l'Afrique et le monde est que le chaos provoqué par la politique commerciale de Trump se retourne contre les États-Unis – comme cela semble être le cas – et le pousse à faire marche arrière.
En attendant, les pays africains devraient accélérer la mise en œuvre de la ZLECA et renforcer leurs économies nationales face à cette tempête.
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.