Le périlleux projet référendaire de Touadéra
L’organisation d’un éventuel référendum en RCA risque d’exacerber un contexte sociopolitique, humanitaire et sécuritaire déjà particulièrement difficile.
En mai 2023, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a annoncé l’organisation d'un référendum constitutionnel le 30 juillet 2023. Cette déclaration constituait le point culminant d’un processus entamé bien plus tôt, et qui s’est attiré les foudres des partis d’opposition, de la société civile et des mouvements rebelles. Le projet de référendum constitutionnel est considéré dans une large mesure comme une tentative de lever la limitation du nombre de mandats présidentiels, ce qui permettrait à Touadéra de se présenter pour un troisième mandat, voire plus.
Pour le camp du président centrafricain, cette réforme répondrait à une aspiration du peuple et viserait à corriger les imperfections de la Constitution de 2016 qui contiendrait des dispositions susceptibles de compromettre le développement du pays.
Malgré une forte résistance, la mouvance présidentielle demeure. La Cour constitutionnelle, présidée par la professeur Danièle Darlan, a rendu le 23 septembre 2020 un arrêt déclarant que la réforme est inconstitutionnelle, notamment l’éventuelle suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Darlan s’est par la suite vue mise à la retraite et remplacée par Jean-Pierre Ouaboué, considéré comme un proche du président.
Le référendum de Touadéra est perçu comme une tentative de lever la limitation des mandats présidentiels
Élu pour la première fois en février 2016, Touadéra a obtenu un second mandat de cinq ans en 2020. L’opposition a contesté les résultats électoraux en raison de fraudes présumées, d’un manque de transparence et de l’impossibilité pour plus de la moitié des électeurs inscrits de voter.
Le dialogue républicain de mars 2021, censé apaiser les tensions politiques provoquées par les élections de 2020, a été boycotté par l’opposition et les mouvements rebelles. De plus, il n’a que très peu abordé la question sensible de la réforme constitutionnelle.
Depuis l’annonce de la date du référendum constitutionnel, les acteurs politiques et la société civile se sont à nouveau mobilisés. Le Bloc républicain pour la défense de la Constitution, qui regroupe des partis d’opposition, s’oppose fermement au projet de réforme constitutionnelle. Le Groupe d’action des organisations de la société civile pour la défense de la Constitution du 30 mars 2016 a été créé pour y faire obstacle.
De leur côté, les mouvements rebelles menacent d’empêcher cette réforme par des moyens militaires, invoquant la volonté de Touadéra de briguer coûte que coûte un troisième mandat. Les rebelles sont régulièrement impliqués dans des attaques, notamment dans les préfectures de la Nana-Mambéré et du Bamingui-Bangoran.
Les zones touchées par les récentes vagues d’insécurité en RCA Source : ISS (cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Selon l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project), au moins 112 incidents impliquant des groupes rebelles et des milices ont été signalés depuis le mois de décembre contre 95 pour la même période en 2022. Entre juin 2022 et juin 2023, plus de 530 personnes ont été tuées. Le 21 janvier dernier, la localité de Béloko (Nana-Mambéré), frontalière avec le Cameroun, a été attaquée par des rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement. Noureddine Adam et son Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique sont très actifs dans les préfectures de la Vakaga et de la Haute-Kotto (à l’est), ce qui a conduit le Soudan à fermer ses frontières avec la RCA en décembre 2022.
La poursuite du conflit au Soudan et l’intensification des affrontements dans le Darfour voisin présentent également des risques évidents de débordement dans ces préfectures de l’Est. La porosité des frontières faciliterait la circulation des groupes armés et des armes, comme par le passé avec la rébellion de la Séléka. Au nord, la province tchadienne voisine du Logone-Oriental serait le fief d’une nouvelle rébellion tchadienne, dont la RCA serait la base arrière. Ceci alors que d’intenses conflits intercommunautaires et des tueries orchestrées par des bandes armées réfugiées en RCA se propagent.
Malgré l’instabilité de la situation sécuritaire et la désapprobation de l’opinion publique à l’égard du processus référendaire, le camp présidentiel est plus déterminé que jamais, ce qui complique la recherche de solutions politiques et aggrave les clivages existants. Les factions politiques se radicalisent, tandis que les mouvements rebelles font monter les enchères sur le terrain, aggravant davantage la situation sécuritaire. Même s’ils ne sont pas coordonnés et n’ont que peu de chances de s’emparer de Bangui, ils pourraient alimenter l’instabilité à l’approche du référendum constitutionnel et des élections.
Depuis plus de 20 ans, la situation centrafricaine est marquée par une relative instabilité
Sur le plan social, la Banque africaine de développement indique que l’inflation est passée de 2,3 % en 2020 à 4,4 % en 2021 pour se maintenir à 4,3 % en 2022. Les ménages ont de plus en plus de mal à satisfaire leurs besoins quotidiens et à accéder aux produits de base. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies constate que la RCA est l’un des pays où l’insécurité alimentaire aiguë est la plus élevée, touchant au moins la moitié de la population centrafricaine. À cela s’ajoute l’afflux de milliers de Tchadiens vers la sous-préfecture de Paoua et de plus de 14 000 Soudanais vers Amdafock, un village de la région de Birao.
La situation en RCA est marquée par une relative instabilité depuis plus de 20 ans. Cependant, divers incidents montrent un accroissement des tensions politiques depuis la réélection de Touadéra, tensions exacerbées par le projet de référendum et un contexte socio-économique difficile.
Malgré la signature d’un plan de sécurité intégré pour les élections avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en RCA, la montée de l’insécurité risque de perturber le déroulement du scrutin dans toutes les préfectures. Même s’il est maintenu, le risque qu’il ne soit pas inclusif est réel. Un tel scénario pourrait engendrer encore plus de protestations et de tensions, et nuire aux futures élections locales — qui ont déjà été reportées à plusieurs reprises — et aux élections présidentielles de 2025.
Ce référendum n’augure rien de bon pour l’avenir politique, la paix et la stabilité en RCA, et des solutions urgentes doivent être mises en œuvre pour sortir de cette impasse.
Le référendum à venir n’augure rien de bon pour l’avenir politique, la paix et la stabilité en RCA
Les acteurs politiques et militaires centrafricains doivent assouplir leurs positions de part et d’autre pour favoriser la reprise du dialogue. Cependant, les derniers rebondissements et les positions des différents camps laissent penser que des discussions directes restent improbables.
La Communauté économique des États de l’Afrique centrale et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, déjà impliquées dans l'organisation du dialogue républicain de 2021, devraient s’attacher à ramener les acteurs à la table des négociations en amont du référendum.
Enfin, une meilleure coordination des initiatives de l’ensemble des acteurs régionaux et internationaux présents sur le terrain permettrait une action plus efficace pour préserver la paix et la stabilité en RCA.
Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et des Grands Lacs, ISS Dakar
Image : © Paul Kagame/Flickr
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