La lutte pour la démocratie au Tchad n’est pas finie
À peine un an après avoir rétabli l'ordre constitutionnel, le gouvernement tchadien renforce la répression contre l'opposition et la liberté d'expression.
Publié le 31 juillet 2025 dans
ISS Today
Par
Remadji Hoinathy
chercheur principal, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
La transition politique du Tchad a pris fin en janvier à la suite des élections présidentielles et législatives. Le pays avait changé de régime en 2021 lorsque Mahamat Déby a pris le pouvoir, après la longue présidence de son père qui s’est achevée avec son décès.
Les résultats des élections ont permis au parti au pouvoir, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), et au président de la transition assurée par Déby de dominer la scène politique. Ce qui n’a été une surprise pour personne, le MPS ayant contrôlé tout le processus électoral. La plupart des opposants ont boycotté les élections et contesté les résultats.
Le MPS a profité de sa victoire électorale pour justifier son refus de dialoguer avec l'opposition politique. Depuis janvier, la répression des libertés civiques s’est doublée d’une campagne de pression juridique sur toutes les voix dissidentes, les médias, l'opposition politique et la société civile.
Ce qui n’est pas sans rappeler les façons de faire du régime précédent. Malgré sa promesse de démocratie, l'ancien président, Idriss Déby Itno, avait mis en place une administration dominée par les membres de sa famille et ses amis politiques. Pendant plus de trois décennies, son règne a sapé les fondements de la démocratie, déclenchant des rébellions, des affrontements meurtriers et affaiblissant la cohésion et la stabilité du Tchad.
Le MPS a utilisé sa victoire pour légitimer son refus de dialoguer avec l'opposition
En 2021, son fils a pris les rênes d'un pays fragmenté et instable. La transition promettait le dialogue, la réconciliation, l'inclusion et la construction d'une nation forte. Cependant, les manifestations, les tensions et la répression sanglante ont jeté le doute sur l'authenticité du programme de transition.
La légitimation de Déby et de son parti grâce au contrôle des élections renforce la tendance, qui existait déjà sous son père, à la domination de la vie publique par un seul camp. En un an de règne, le système MPS a progressivement renforcé son emprise sur la politique tchadienne.
Le pouvoir judiciaire est politisé et les voix dissidentes sont réduites au silence par des arrestations et des procès largement considérés comme partiaux. Les médias indépendants, les partis d'opposition et la société civile sont également pris pour cible. Des journalistes sont menacés et arrêtés dans l'exercice de leurs fonctions, six d'entre eux son détenus depuis le mois de janvier.
En février, le directeur d'un média en ligne a été arrêté pour avoir publié un article sur un scandale financier. En mars, quatre journalistes ont été placés en détention pour « collusion avec des agents d'une puissance étrangère », en référence au groupe russe Wagner. Leurs avocats réfutent ces accusations, considérant ce procès comme une instrumentalisation du système judiciaire visant à restreindre la liberté de la presse. Après cinq mois de prison, les journalistes ont été acquittés.
La pression sur les médias reste constante. En juin, le procureur général de N'Djamena a menacé d'emprisonner les journalistes et les membres d’organisations de défense des droits humains qui se sont rendus sur les lieux d'un conflit dans le sud du pays
Le Tchad revient à des conditions qui ont affaibli la cohésion nationale et alimenté l'instabilité
Le système judiciaire est également utilisé contre d'éminents opposants du MPS, tels que Succès Masra, chef du parti Les Transformateurs et ancien Premier ministre, qui a été arrêté le 16 mai. Il est accusé d'avoir fomenté un conflit en mai 2025, sur des preuves jugées fallacieuses par son équipe de défense et une grande partie de l'opinion publique.
Les partis d'opposition, comme le Groupe de concertation des acteurs politiques, subissent une pression constante. Ils sont intimidés, surveillés et les activistes sont débauchés.
Le ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation a pris des mesures répressives à l'encontre de quatre organisations de la société civile, leur interdisant toute activité sur l’ensemble du territoire. Les manifestations et les protestations publiques restent interdites. Depuis plus de deux ans, toutes les demandes d’autorisation sont systématiquement rejetées.
Dans le même temps, le Tchad manque de véritables alternatives politiques. À l'Assemblée nationale, 124 des 188 membres (66 %) appartiennent au parti au pouvoir. Les sièges restants sont répartis entre les partis alliés au MPS, ce qui réduit à néant toute possibilité de véritable débat.
De même, 44 des 46 représentants élus au Sénat sont membres du MPS. Comme lui permet la Constitution, le président en a nommé 23 autres, qui font tous partie du cercle restreint de Déby. Les chambres haute et basse du Parlement sont presque toutes sous la bannière du MPS, ce qui fait craindre une dérive vers un régime de facto à parti unique.
La CEEAC doit se réengager dans la question tchadienne
Le projet démocratique précaire du Tchad est en danger. Moins d'un an après le retour à l'ordre constitutionnel, le pays a pris progressivement un tournant autoritaire, revenant aux conditions qui ont affaibli la cohésion nationale et alimenté l'instabilité sous le régime précédent.
Afin de faire avancer le dialogue politique entre le gouvernement et l'opposition, l'ancien Premier ministre de transition, Saleh Kebzabo, a été nommé médiateur national. Il devrait plaider en faveur de la protection des citoyens, contre le harcèlement et les arrestations arbitraires et pour le respect de l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Toutefois, la légitimité de Tshisekedi, qui fait face à des défis politiques et de gouvernance, pourrait être remise en cause. D'autres acteurs internationaux, notamment l'Union africaine par l'intermédiaire de son Conseil de paix et de sécurité, doivent également soutenir les efforts de dialogue.
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