Les trois vagues de coups d’État en Afrique
Malgré leurs différences, la centaine de coups d’État survenus en Afrique après les indépendances ont plusieurs facteurs importants en commun.
Le renversement du roi Farouk par l’armée égyptienne en 1952 a marqué le début des interventions militaires pour conquérir le pouvoir politique en Afrique. Depuis lors, 100 coups d’État ont été entrepris avec succès dans 35 pays. Ainsi, bien que leur augmentation récente inquiète, le phénomène n’est pas nouveau.
Les coups d’État en Afrique ne se sont pas produits de manière constante mais par vagues liées à l’état de la gouvernance dans les différents États. Les éléments déclencheurs, les acteurs et les conséquences varient et chacune d’elle a entraîné un renforcement des réponses régionales et continentales. Ce qui a souvent permis d’en contenir la menace jusqu’à l’apparition d’une nouvelle vague.
Alors que l’Afrique subit une troisième vague de coups d’État, les organismes intergouvernementaux tels que l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’appuient sur les réponses élaborées après les vagues précédentes. Cependant, il est nécessaire de comprendre comment les coups d’État ont évolué depuis 1952 et comment adapter les politiques pour les prévenir.
L’Afrique post-indépendance a connu trois grandes vagues de coups d’État. La première, entre les années 1960 et 1970, a vu le renversement des dirigeants des indépendances dont les visions politiques s’opposaient aux intérêts des grandes puissances coloniales et qui n’ont pas su répondre aux aspirations des citoyens. Les problèmes liés à la rivalité entre les superpuissances pendant la guerre froide et à l’émergence d’États à parti unique et de dictatures ont composé un cocktail qui a poussé des officiers militaires supérieurs au coup d’État.
Ces prises de pouvoir, généralement sanglantes, ont entraîné la mort de 12 dirigeants africains, des exécutions extrajudiciaires et de graves violations des droits de l’homme, en particulier en Afrique de l’Ouest. Certains coups d’État ont été salués pour avoir mis fin au système de parti unique et aux présidences à vie. La première vague a conduit à la première réorganisation du paysage politique de l’Afrique après les indépendances.
La politisation de l’armée et le népotisme ont créé des tensions sous-jacentes
La deuxième vague (1990-2001) résulte de l’échec des dirigeants africains des années 1980, principalement des militaires, à adopter la démocratie et à répondre aux besoins des citoyens. Ces renversements ont été menés en grande partie par des officiers militaires de rang intermédiaire, aux motivations proches de celles de la première vague, qui promettaient de remédier à la mauvaise gestion économique.
Contrairement aux coups d’État précédents, ils ont causé le décès de seulement 14 % des dirigeants renversés et provoqué moins d’atteintes aux droits de l’homme. Néanmoins, ils ont constitué une menace pour de nombreux dirigeants africains ainsi que pour la démocratie sur le continent.
En réponse, les normes régionales et continentales ont été renforcées, aboutissant à la décision d’Alger sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement et à la déclaration de Lomé de 2000. La première interdit aux auteurs de coups d’État de participer aux sommets de l’Organisation de l’unité africaine, et la seconde adopte une position de tolérance zéro à l’égard des coups d’État. Ces mesures, associées à la progression de la démocratie, ont considérablement réduit le nombre de coups d’État, mettant fin à la deuxième vague.
Depuis 2021, la troisième vague, qui atteint le Soudan, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger et le Gabon, se différencie de celles des décennies précédentes. Elle a été provoquée entre autres par la manipulation des constitutions nationales pour prolonger les mandats présidentiels, le trucage des élections, la détérioration de la sécurité et la montée du sentiment anticolonialiste.
Ces problèmes se sont manifestés différemment d’un pays à l’autre. Au Niger, les putschistes ont été motivés par « la détérioration continue de la situation sécuritaire et la mauvaise gestion sociale et économique ». En Guinée, la junte a vertement critiqué Alpha Condé pour « mauvaise gestion, corruption et mauvaise gouvernance ». Si certains coups d’État, notamment en Guinée et au Gabon, ont été présentés comme des tentatives de rétablissement de la démocratie, les motivations sont plus complexes et diversifiées.
Les récents renversements ont été surtout des « coups d’État intelligents » menés avec une certaine retenue
Les prises de pouvoir en Guinée, au Niger et au Gabon ont toutes été menées par des gardes présidentielles d’élite, et non par l’armée. Cette particularité des coups d’État modernes est due à l’existence de gardes présidentielles en Afrique francophone souvent mieux armées et entraînées que l’armée. Leur proximité avec le président facilite son renversement, après quoi elles font pression pour impliquer l’armée.
Au Niger, les espoirs de voir les militaires réprimer le coup d’État se sont évanouis lorsque le chef d’état-major de l’armée, Abdou Sidikou Issa, a annoncé que l’armée soutenait l’éviction du président Mohamed Bazoum. Ce soutien reflète un dangereux courant de tensions sous-jacentes, nées de la politisation de l’armée et du népotisme qui sévit dans ses rangs.
Contrairement aux vagues précédentes, les récents renversements ont été principalement des « coups d’État intelligents » sans effusion de sang, conduits avec une certaine retenue. Les dirigeants déchus ont souvent été détenus pendant des périodes variables avant d’être relâchés sous la pression de la communauté internationale. Au Niger, la crainte de mettre en péril la vie du président a limité le rôle de l’armée dans la répression du coup d’État, comme l’a souligné Sidikou Issa.
Alors que la dimension internationale des coups d’État précédents était centrée sur les manœuvres souterraines des puissances extérieures, les prises de pouvoir récentes sont empreintes d’un sentiment anti-impérialiste, principalement à l’encontre de la France. On l’a vu au Mali avec l’expulsion des troupes françaises et au Niger avec la manifestation de réactions similaires. Parallèlement, des acteurs militaires étrangers, comme le groupe Wagner, ont été sollicités pour sécuriser le pays après les coups d’État au Mali et au Burkina Faso, avec des attentes semblables au Niger.
Les putschistes ont résisté aux normes régionales et continentales contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement et, au Niger, ont évité toute implication avec la CEDEAO. L’« alliance des putschistes », le Gabon, le Niger et le Burkina Faso, revêt également une grande importance. Après le coup d’État au Niger, le Burkina Faso, la Guinée et le Mali ont manifesté leur soutien à la junte et ont proféré des menaces de représailles contre une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO.
Les déficits de gouvernance et l’incapacité à répondre aux attentes des citoyens sont des facteurs communs
Bien que ces dynamiques distinguent les coups d’État contemporains des précédents, les principaux moteurs qu’ils ont en commun sont les déficits de gouvernance et l’incapacité des élites politiques à répondre aux attentes de leurs citoyens. Ainsi, même si la troisième vague de coups d’État présente des caractéristiques différentes, elle s’inscrit essentiellement dans la continuité de la même menace.
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA devrait plaider en faveur d’une révision complète des cadres existants pour contrer les renversements militaires et autres changements anticonstitutionnels de gouvernement. Sont concernées, en premier lieu, la Déclaration de Lomé et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Une approche multiple est nécessaire pour relever les défis immédiats causés par les coups d’État et les problèmes de gouvernance sous-jacents qui les alimentent. Les incohérences du CPS et l’application sélective des normes continentales dans la gestion des coups d’État doivent être abordées, car elles sapent l’autorité morale de l’UA dans sa réponse aux événements.
La mise en place du comité des sanctions du CPS est une priorité qui démontrerait la volonté politique de lutter contre les coups d’État. Elle renforcerait également les efforts de l’UA pour surveiller les pays suspendus.
Andrews Atta-Asamoah, responsable de Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS, Addis-Abeba
Cet article a été publié pour la première fois dans le Rapport du CPS de l’ISS.
Image : © AFP
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.
Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.