La CEDEAO doit aller au-delà du recours à la force au Niger

Les motifs de rivalités et d'intérêts personnels du coup d’État offrent une marge de manœuvre politique pour un dialogue constructif.

Le 26 juillet 2023, un coup d’État militaire a renversé le président légalement élu du Niger, Mohamed Bazoum. Dirigé par le général Abdourahmane Tchiani, chef de la garde présidentielle, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) assume le pouvoir. Le président Bazoum, qui a refusé de démissionner, est toujours détenu par le CNSP. Ce coup d'État fait suite à une tentative ratée en 2021, à la veille de son investiture et constitue le cinquième putsch depuis l’accession du Niger à l’indépendance en 1960.

Les États membres de la CEDEAO, Afrique de l’Ouest

Les États membres de la CÉDÉAO, Afrique de l’Ouest

Source : ISS
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Le 29 juillet, l'Union africaine (UA) a lancé un ultimatum de 15 jours au CNSP pour « rétablir l’autorité constitutionnelle ». Le 30 juillet, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a adopté une série de sanctions économiques et financières sévères à l'encontre du Niger. Elle a exigé du CNSP la libération immédiate et le rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions de chef d’État légitime du Niger dans un délai d’une semaine, faute de quoi des mesures supplémentaires seraient prises, y compris un éventuel recours à la force.

La réponse rapide et ferme de la CEDEAO est à la mesure de la menace qui pèse sur sa politique de tolérance zéro à l'égard des changements anticonstitutionnels de gouvernement. Après les doubles coups d'État au Mali (2020 et 2021) et au Burkina Faso (janvier et septembre 2022), ainsi que celui en Guinée (2021), le renversement du gouvernement élu du Niger constitue le sixième coup d'État en Afrique de l'Ouest depuis 2020.

L’incapacité de juguler ce dernier coup d’État pourrait irrémédiablement compromettre la capacité de l’organisation régionale à faire respecter son cadre normatif en ce qui concerne les changements anticonstitutionnels de gouvernement et, en fin de compte, menacer la stabilité politique de ses États membres.

La fermeté de la CEDEAO s’explique sans doute aussi par la particularité de la prise de pouvoir militaire au Niger comparativement au Burkina Faso et au Mali. Même si le CNSP a officiellement perpétré le coup d'État en raison de « la détérioration continue de la situation sécuritaire et de la mauvaise gouvernance économique et sociale », les questions de sécurité ont été gérées plus efficacement au Niger que chez ses voisins du Sahel central.

La réaction rapide et sévère de la CEDEAO est conforme à sa politique de tolérance zéro à l'égard des coups d'État

L'ultimatum de la CEDEAO a expiré le 6 août sans que des avancées n’aient été enregistrées à Niamey. Le CNSP n'a pas répondu favorablement aux ouvertures diplomatiques de l’organisation régionale. La délégation ouest-africaine qui s'est rendue à Niamey le 2 août n'a pas été reçue par Tchiani.

Le 7 août, le CNSP a reporté sine die la visite d’une délégation tripartite UA-ONU-CEDEAO à Niamey, officiellement en raison de problèmes de sécurité liés à la colère populaire contre les sanctions économiques imposées au pays.

Entre-temps, le CNSP semble avoir consolidé sa position au sein des forces armées en remaniant la hiérarchie. Il a également élargi sa base populaire dans les zones urbaines, à la faveur du sentiment anti-français et en mobilisant contre la menace d'une action militaire brandie par la CEDEAO et l’imposition des sanctions économiques au pays.

Dans le même temps, le Sénat nigérian a appelé le président Tinubu et les chefs d'État de la CEDEAO à redoubler d'efforts pour trouver une solution diplomatique, réduisant ainsi les attentes quant à l'ampleur du rôle du Nigeria dans une éventuelle opération militaire. L'Algérie, poids lourd de l'UA et pays frontalier du Niger, a également exprimé son opposition au recours à la force, considérant qu'une intervention militaire constitue une menace directe pour elle. Le Tchad, voisin important, a également exprimé son soutien à une solution diplomatique.

L'intervention militaire pourrait diviser les forces de défense et de sécurité, qui n'ont pas toutes soutenu le coup d'État au départ

La CEDEAO se réunira à nouveau le 10 août afin de décider des prochaines mesures pour sortir de l’impasse. Alors qu’elle examine des mesures supplémentaires, y compris l’option militaire, la finalité de toute action doit être axée sur le rétablissement d'un Niger stable et gouvernable, capable de lutter contre l'extrémisme violent et d'autres formes d'insécurité.

Une intervention militaire au Niger présente des risques élevés. Elle pourrait diviser davantage les forces de défense et de sécurité qui n'ont pas toutes soutenu le coup d'État au départ. Le scénario d'un affrontement entre unités militaires a été évité de justesse à la suite de consultations approfondies qui ont abouti au communiqué du 27 juillet de l'état-major des forces armées endossant la prise de pouvoir du CNSP.

La gouvernabilité du Niger à la suite d'une intervention militaire est une question tout aussi cruciale à prendre en compte. L'armée devrait, en principe, être subordonnée aux institutions civiles, mais les relations du président Bazoum avec certains éléments de l'armée, voire même sa capacité à gouverner, sont susceptibles d'être remises en question s'il est rétabli dans ses fonctions par une intervention extérieure. Au Niger, et plus largement dans la région de l'Afrique de l'Ouest, le sentiment que les dirigeants sont redevables à des forces extérieures est déjà profondément ancré dans l'opinion publique.

Et, comme ce fut le cas en Gambie précédemment, une opération rapide suivie d’un retrait immédiat semble irréaliste. En supposant que l'action militaire atteigne ses objectifs, la situation actuelle au Niger suggère que la CEDEAO devra maintenir des troupes pour assurer la sécurité du président Bazoum et la viabilité de son gouvernement.

Même en cas d'intervention militaire réussie, la CEDEAO devrait maintenir des troupes au Niger

Cela alimenterait non seulement la perception que les autorités sont sous perfusion extérieure, mais l'hostilité populaire à la présence de forces militaires étrangères sur le sol nigérien ne fera que croître dorénavant. Avec la possibilité d'une résistance civile soutenue, les conséquences humanitaires d'une intervention militaire - y compris le renforcement des flux de réfugiés et de migrants déstabilisants - doivent également être prises en compte.

Dans le même temps, la situation au Niger s'inscrit dans un nouveau contexte politique régional. La CEDEAO connaît une division interne, avec la coalition de facto des gouvernements de transition comprenant le Burkina Faso, la Guinée et le Mali. Tous ont rejeté les mesures de la CEDEAO concernant le Niger, le Burkina Faso et le Mali ayant averti le 31 juillet que toute action armée serait considérée comme une déclaration de guerre à leur encontre. L’intervention envisagée ne bénéficierait donc pas du consensus qui a pu caractériser les interventions antérieures de la CEDEAO, notamment en Gambie.

Cette dynamique politique régionale est par ailleurs sous-tendue par un changement d'alliances stratégiques en faveur de la Russie, dans un contexte de concurrence renouvelée entre grandes puissances. La situation au Niger a elle aussi de fortes résonances géopolitiques, avec la dénonciation par le CNSP des accords militaires du pays avec la France et la question du rapprochement avec la compagnie de sécurité privée Wagner en toile de fond de la mission diplomatique américaine à Niamey.

Il est donc essentiel que toute action régionale évite de faire le jeu des rivalités géopolitiques qui polarisent de plus en plus le Sahel et l'Afrique de l'Ouest et compromettent sa stabilité.

La restauration d'un Niger stable et gouvernable nécessite une approche diplomatique qui rétablisse l'ordre constitutionnel par le biais d'un dialogue avec le CNSP. En ce sens, les informations qui continuent d’émerger sur les circonstances entourant le coup d'État du 26 juillet semblent indiquer que des rivalités politiques et des intérêts personnels aient contribué à le déclencher. Cela pourrait offrir une certaine marge de manœuvre politique et des points d'entrée supplémentaires pour un dialogue constructif et significatif afin d'assurer une transition constitutionnelle.

Djiby Sow, chercheur principal, bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © AFP

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