L’évolution des coups d’État en Afrique

Les quelque cent coups d'État réussis qui ont émaillé l'histoire de l'Afrique depuis les indépendances ne suivent pas tous le même schéma.

Le renversement du roi Farouk en 1952 par l’armée égyptienne est la première intervention militaire pour accéder au pouvoir en Afrique. Depuis lors, les ingérences militaires dans les affaires politiques sont devenues monnaie courante pour conquérir le pouvoir, avec quelque 100 coups d’État réussis dans 35 pays africains. Ainsi, malgré la montée de l’inquiétude suscitée par la récente recrudescence des coups d’État, force est de reconnaître que le phénomène n’est pas nouveau.

Les coups d’État en Afrique se caractérisent par trois dynamiques majeures. Premièrement, leur fréquence est très variable, avec des vagues ponctuelles liées à la gouvernance. Deuxièmement, leurs causes, de même que les éléments qui les déclenchent, leurs protagonistes et leurs conséquences éventuelles, varient considérablement d’un pays à l’autre. Il en résulte une diversité de dynamiques transitoires nationales et une multiplicité d’approches en matière de gestion de l’impact des coups d’État.

Les mesures prises aux niveaux régional et continental pour y faire face varient considérablement. Par exemple, la gestion par l’Union africaine du coup d’État de 2014 qui a renversé le président Blaise Compaoré au Burkina Faso diffère sensiblement de la façon dont elle a appréhendé le coup d’État de 2013 en Égypte. De même, la toute récente vague de coups d’État est gérée au cas par cas.

Enfin, troisièmement, chaque nouvelle recrudescence donne généralement lieu à un durcissement des réponses régionales et continentales, ce qui permet souvent de juguler la tendance jusqu’à ce qu’une nouvelle vague émerge.

Alors que l’Afrique est aux prises avec une troisième vague depuis 2019, elle a recours à des mécanismes élaborés pour répondre aux vagues précédentes. Les trois dynamiques évoquées ci-dessus nous incitent à réfléchir sur l’évolution de la nature et les formes des coups d’État entre 1952 et le plus récent coup d’État survenu au Gabon, qui a renversé la dynastie des Bongo, au pouvoir depuis plusieurs décennies. Il faut également déterminer si les coups d’État actuels diffèrent des précédents.

Sept décennies de perturbations

L’occurrence de coups d’État en Afrique au cours des sept dernières décennies est directement liée à la nature et à l’évolution de la politique et des réactions citoyennes. Elle s’explique par la primauté de la politique dans l’émergence et la perpétuation des facteurs à l’origine des revendications des populations. Ainsi, les trois principales vagues de coups d’État qui ont touché le continent depuis les indépendances diffèrent par leurs motivations, leurs conséquences et le profil de leurs protagonistes, ce qui permet de mieux cerner l’évolution des coups d’État au fil du temps.

Les causes des coups d’État, ce qui les déclenche, leurs protagonistes et leurs conséquences varient considérablement

Entre 1960 et 1970, le contexte politique qui a prévalu après les indépendances a donné lieu à la première vague de coups d’État. Plusieurs leaders des mouvements de libération post-indépendance ont été renversés, leurs orientations politiques et idéologiques étant incompatibles avec les intérêts des principales puissances coloniales. Cette situation a été aggravée par l’incapacité des dirigeants à répondre aux aspirations des populations en matière d’économie et de développement. Compte tenu des vives rivalités entre les superpuissances pendant la guerre froide et de l’émergence de régimes à parti unique et de dictatures, on peut affirmer que certains officiers supérieurs ont été influencés par un ensemble de facteurs.

Ces coups d’État se sont généralement accompagnés de massacres. Ainsi, pas moins de 12 dirigeants africains ont été tués, des exécutions extrajudiciaires ont été perpétuées et les droits humains ont été très largement violés, en particulier en Afrique de l’Ouest. Certains coups d’État ont été applaudis pour avoir mis fin à des régimes à parti unique et à des présidences à vie. Cette première vague a finalement abouti à la première réorganisation du paysage politique de l’Afrique post-indépendance.

Au cours des années 1980, les dirigeants africains, principalement militaires, ont échoué à honorer leurs promesses, à instaurer la démocratie et à satisfaire les aspirations socio-économiques de leurs populations. C’est ainsi qu’une nouvelle vague de coups d’État a déferlé sur l’Afrique entre 1990 et 2001. Ils ont été menés cependant en grande partie par des officiers militaires de rang intermédiaire, aux motivations proches de celles de la première vague, au prétexte qu’il fallait remédier à la mauvaise gestion économique de leur pays.

Au cours de cette vague, 14 % seulement des dirigeants ont été tués et il y a eu sensiblement moins de violations des droits humains. Néanmoins, elle a constitué une menace considérable pour de nombreux dirigeants africains et a mis en péril la démocratie qui s’implantait sur le continent.

En conséquence, les normes régionales et continentales ont été renforcées à la fin de la décennie et ont abouti à l’adoption de la décision d’Alger sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement puis, en 2000, à l’adoption de la déclaration de Lomé. La décision d’Alger interdit aux auteurs de coups d’État d’assister aux sommets de l’Organisation de l’unité africaine, tandis que la déclaration de Lomé établit une politique de tolérance zéro à l’égard des coups d’État. Ces deux mesures, associées à l’expansion de la démocratie, ont permis de réduire considérablement le nombre de coups d’État et de mettre un terme à cette deuxième vague.

La troisième vague

Depuis 2021, l’Afrique connaît une troisième vague de coups d’État (au Soudan, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon) dont les caractéristiques diffèrent dans l’ensemble de celles des décennies précédentes. Tout d’abord, les motivations de leurs auteurs ont changé. Certains sont préoccupés par les reculs démocratiques liés à la manipulation des constitutions en vue de prolonger les mandats, par les résultats électoraux frauduleux, par la détérioration de la sécurité et par la montée d’un sentiment anticolonialiste.

Les coups d’État sont dus à des dérives constitutionnelles, à des élections truquées et à un sentiment anticolonialiste

La complexité de ces problèmes et leur manifestation varient d’un pays à l’autre. Les auteurs du coup d’État au Niger, par exemple, affirment qu’ils ont été motivés par « la détérioration continue de la situation sécuritaire et la mauvaise gestion sociale et économique » du pays. En Guinée, la junte a reproché à Alpha Condé « la mauvaise gestion, la corruption et la mauvaise gouvernance ». Si certains coups d’État, notamment en Guinée et au Gabon, ont été présentés comme des tentatives de rétablissement de la démocratie, les moteurs et les résultats réels sont à la fois plus complexes et plus variés.

Les récents coups d’État en Guinée, au Niger et au Gabon ont tous été dirigés par des membres de la garde présidentielle, c’est-à-dire par des unités d’élite de l’armée. Il s’agit là de la deuxième caractéristique des coups d’État modernes. Ils se sont en effet produits dans des pays africains francophones où la protection du président est souvent assurée par une garde présidentielle qui constitue une composante à part entière de l’armée. Les gardes présidentiels sont souvent mieux armés et mieux entraînés que les autres soldats.

Il leur est plus facile de profiter de leur proximité avec la présidence pour prendre le pouvoir et faire ensuite pression pour que l’armée intervienne. Au Niger, par exemple, les espoirs de voir les forces armées réprimer le coup d’État se sont dissipés lorsque le chef d’état-major Abdou Sidikou Issa a annoncé le soutien de l’armée face à l’éviction du président Mohamed Bazoum. Cette situation témoigne de tensions dangereuses et latentes qui trouvent leur origine dans la politisation de l’armée, imputée aux élites politiques, et le népotisme qui y sévit.

Contrairement aux vagues précédentes, caractérisées par des bains de sang et des violations flagrantes des droits humains (voir graphique ci-dessous), les récents coups d’État ont été « intelligents ». Il n’y a eu aucune effusion de sang et peu d’atteintes aux droits humains. La tendance à la baisse du nombre de décès des dirigeants déchus, observée dans les années 1990, s’est poursuivie.

Les incohérences du CPS dans la gestion des coups d’État doivent être abordées

Les coups d’État postérieurs aux années 1990 n’ont donné lieu à l’exécution d’aucun dirigeant, montrant qu’ils ont été réalisés dans un esprit de modération. Les dirigeants destitués ont souvent été détenus par la junte pendant des périodes variables avant d’être libérés, sous l’œil attentif de la communauté internationale et à la demande de celle-ci. Au Niger, la crainte de ce qui aurait pu arriver à Bazoum a restreint le rôle de l’armée dans une éventuelle tentative de faire avorter le coup d’État, selon Sidikou Issa. L’armée nigérienne craignait en effet de mettre en danger la vie du président.

Décès de dirigeants africains imputés à des coups d’État depuis 1960

Décès de dirigeants africains imputés à des coups d’État depuis 1960

Source : Jonathan Powell et Clayton Thyne
(Cliquez sur l’image pour voir l'infographie en taille réelle)

Alors que, par le passé, la dimension internationale des coups d’État était principalement axée sur les jeux d’influence des puissances extérieures, la plus récente vague de coups d’État se distingue par un sentiment anti-impérialiste des populations, principalement à l’encontre de la France. Il s’est traduit par l’expulsion des troupes françaises basées au Mali. En revanche, le recours à des éléments militaires étrangers tels que le groupe Wagner pour sécuriser les territoires a augmenté, notamment au Mali et au Burkina Faso. Des réactions et des attentes similaires ont été exprimées au Niger.

Les putschistes ont également résisté à la mise en œuvre des normes régionales et continentales contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG). Au Niger, ils ont refusé toute interaction avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il convient également de mentionner l’« alliance » passée entre le Gabon, le Niger et le Burkina Faso, fondée sur une solidarité et une loyauté réciproques. Concernant la situation au Niger, le Burkina Faso, la Guinée et le Mali se sont engagés à soutenir la junte et ont menacé de prendre des mesures de rétorsion si la CEDEAO proposait une intervention militaire.

Si ces dynamiques sont spécifiques aux coups d’État contemporains, les déficits de gouvernance et l’incapacité des élites politiques à répondre aux attentes des citoyens en constituent également les principaux moteurs. Ce qui met en évidence les similitudes entre les coups d’État passés et actuels : même si les coups d’État ont évolué, les impératifs liés à la gouvernance sont toujours au cœur des préoccupations. Ainsi, bien que la troisième vague de coups d’État soit d’un type différent, il s’agit en fait d’une seule et même menace aux nuances différentes.

Quelles conséquences pour une éventuelle riposte ?

Compte tenu de l’évolution des dynamiques des coups d’État en Afrique et des caractéristiques des récentes occurrences, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) devrait préconiser un réexamen complet des cadres existants pour contrer les CAG. Un tel travail est essentiel pour adapter les réponses à l’évolution des dynamiques des coups d’État contemporains. La Déclaration de Lomé et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance pourraient être les premiers instruments à faire l’objet d’une telle révision.

Toutefois, pour faire face à cet enjeu, il est nécessaire d’adopter une approche multidimensionnelle qui s’attaque efficacement aux défis immédiats posés par les coups d’État et aux problèmes de gouvernance sous-jacents qui les favorisent. Les incohérences du CPS et son application sélective des normes continentales dans la gestion des coups d’État doivent être abordées, car elles sont susceptibles de miner l’autorité morale nécessaire pour y faire face.

La mise en place du comité des sanctions du CPS devrait être une priorité, afin de démontrer de façon concrète la volonté politique de lutter contre les coups d’État sur le continent. Elle renforcera également les efforts de l’Union africaine pour surveiller les pays qui font l’objet d’une suspension.

Image : © AFP

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