Les accords d'expulsion entre les États-Unis et l'Afrique : une évolution inquiétante ?
L’Eswatini et le Soudan du Sud illustrent la pression américaine poussant des pays africains à accueillir des criminels violents.
Publié le 06 août 2025 dans
ISS Today
Par
Kelly E Stone
consultante principale, Justice et prévention de la violence, ISS Pretoria
La politique d’expulsion du président américain Donald Trump à l’égard des ressortissants étrangers coupables de crimes violents a suscité un tollé mondial. Elle met également en évidence le déséquilibre flagrant des pouvoirs entre les États-Unis et les pays en développement, et suscite de vives inquiétudes quant aux risques sécuritaires, aux violations des droits humains et au dénigrement du droit international humanitaire.
La controverse a débuté en mars, lorsque les États-Unis ont versé cinq millions de dollars US au Salvador pour incarcérer plus de 250 Vénézuéliens expulsés, dans une prison de haute sécurité connue pour ses violations des droits humains. Ils étaient accusés d'appartenir à des gangs. Bien qu’on ne connaisse pas les termes de l'accord, il semblerait qu’il y aurait en contrepartie une invitation à la Maison Blanche et un soutien des États-Unis au président Nayib Bukele, malgré les inquiétudes suscitées par la répression des libertés civiles au Salvador.
Depuis, l'administration Trump a étendu cette politique à l'Afrique, avec des expulsions récentes de personnes originaires de pays comme le Vietnam, la Jamaïque et le Yémen vers le Soudan du Sud et l'Eswatini. Le département de la Sécurité intérieure a justifié cette décision en affirmant que leurs pays d'origine refusaient de les « reprendre ».
La Cour suprême des États-Unis a rendu une décision en juin qui autorise l'expulsion de migrants vers des pays tiers sans préavis ni recours juridique. Ce jugement invalide les protections prévues par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui empêchent les expulsions vers des pays qui les pratiquent.
Bien que les États-Unis soient partie à la Convention, la majorité conservatrice de la Cour suprême a écarté ces garanties, accordant au gouvernement un large pouvoir d'accélération des expulsions. L'opinion majoritaire n'a pas motivé ses conclusions. En revanche, l'avis minoritaire a souligné que les questions de vie ou de mort exigeaient une attention particulière et le respect de l'état de droit.
Les États-Unis auraient utilisé l’aide et le commerce pour faire pression sur le Soudan du Sud et l’Eswatini
L'abandon du droit international par la décision de la Cour jette également le doute sur sa volonté de respecter les obligations des États-Unis envers les réfugiés et les demandeurs d'asile en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, et de son Protocole de 1967. Ces textes interdisent le renvoi de réfugiés vers des pays où leur vie ou leur liberté est gravement menacée.
En avril, les États-Unis auraient versé 100 000 dollars au Rwanda pour accueillir un réfugié irakien accusé par l'Irak d'avoir des liens avec l'État islamique. La décision a été prise malgré un rapport du département d'État américain de 2023 qui détaille les conditions de détention difficiles et potentiellement mortelles au Rwanda.
De même, le New York Times a récemment rapporté qu’en mars, un diplomate américain avait exhorté les autorités eswatiniennes à accepter des personnes expulsées, alors même qu'un autre rapport du département d'État faisait état de violations des droits humains dans le pays, notamment des exécutions extrajudiciaires et de la torture. Ces inquiétudes semblent justifiées. Le 31 juillet, le Centre de contentieux de l'Afrique australe a déposé une requête urgente devant la Haute Cour contre les services correctionnels de l'Eswatini pour avoir refusé à un avocat l'accès à des personnes expulsées.
Outre les implications en matière de droits, les expulsions ont renforcé la méfiance de la population envers les pays d'accueil. Le secret entourant ces accords exacerbe l'instabilité au Soudan du Sud et en Eswatini, déjà en proie à la violence et qui répriment les mouvements pro-démocrates.
De nombreux citoyens pensent que les États-Unis ont utilisé l'aide et le commerce comme moyen de pression, afin que ces pays se conforment à leurs engagements et s'attirent les faveurs de l'administration Trump. Ce qui suscite des craintes quant à ce qui a été promis en échange.
L'Australie, le Royaume-Uni et l'UE pratiquent déjà l'externalisation du traitement des migrations
L'approche américaine reflète une perception troublante de l'Afrique, vue comme un « dépotoir » pour les ressortissants étrangers condamnés pour crimes violents, plutôt que comme un partenaire stratégique pour la sécurité mondiale. Toutefois, l'externalisation de la gestion des migrants n'est pas une exclusivité des États-Unis.
L'Australie, le Royaume-Uni et l'Union européenne privilégient depuis longtemps l'externalisation du traitement des demandes d'asile et des retours vers les pays africains. Bien qu’elle vise à contrôler les migrations, cette approche transfère la charge administrative à des pays aux ressources limitées et dont les protections sont faibles. Ces politiques soulèvent des questions éthiques et juridiques quant au traitement des demandeurs d'asile et des réfugiés par les pays occidentaux, avec l'idée que les intérêts africains sont moins importants que les leurs.
L'engagement de Trump à « rendre sa grandeur à l'Amérique » s'est traduit par une priorité absolue accordée à l'expulsion des ressortissants étrangers condamnés pour crimes violents, et privilégie les intérêts américains avant tout. Au cours de ses six premiers mois de présidence, il a démantelé l’influence américaine en réduisant l'aide étrangère, insistant sur le fait que l'Amérique avait été malmenée par ses homologues internationaux.
Le secrétaire d'État Marco Rubio a mis en évidence ce changement lors d'une réunion du cabinet en avril en soulignant que chaque décision diplomatique devait désormais répondre à la question : « est-ce bon pour l'Amérique ? », et non pas chercher « ce qui est bon pour le monde ». Il a déclaré que la politique étrangère américaine serait guidée par la question de savoir si elle rendait l'Amérique plus forte, plus sûre ou plus riche.
Rubio a annoncé que l'administration Trump « recherchait activement des pays prêts à accueillir des ressortissants de pays tiers ». Il a ajouté : « Nous approchons des nations pour demander : ‟Accepterez-vous d’accueillir des personnes parmi les plus méprisables pour nous rendre service ? Plus ils sont loin des États-Unis, mieux c'est”. »
Les politiques de Trump pourraient éroder les relations entre les États-Unis et l’Afrique
En mai, CBS News a signalé que les États-Unis avaient sollicité l'Angola, le Bénin, la Guinée équatoriale et la Libye. En juin, le New York Times a révélé que l'administration Trump avait fait pression sur 58 pays, dont plusieurs en Afrique, pour qu’ils acceptent des personnes expulsées. Cette « campagne diplomatique intense » a ciblé des pays frappés par des interdictions de voyager, des restrictions de visa ou des droits de douane imposés par les États-Unis, ce qui fait craindre que certains dirigeants ne se conforment à ces mesures sans se soucier de savoir si elles servent ou non les intérêts de leur pays.
De plus, en juillet, Trump a organisé un mini-sommet à la Maison Blanche avec les dirigeants du Sénégal, de la Mauritanie, de la Guinée-Bissau, du Liberia et du Gabon. Officiellement, la rencontre concernait les richesses en minéraux critiques des cinq pays, bien que la conclusion d’accords sur l’accueil de personnes expulsées par les États-Unis ait pu être un motif sous-jacent.
Selon le ministre nigérian des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, les États-Unis « ont exercé une pression considérable » sur les pays africains pour qu’ils acceptent des personnes expulsées. Le Nigeria a rejeté l'accord, affirmant qu’il avait suffisamment de problèmes.
De telles politiques éroderont probablement des années d’avancées diplomatiques entre les États-Unis et l’Afrique, en particulier dans le renseignement, la lutte contre le terrorisme et le trafic d’êtres humains, qui ont déjà subi des revers importants pendant le deuxième mandat de Trump. Elles montrent que Trump utilise la diplomatie pour garantir les intérêts américains à court terme au détriment des droits humains et de la sécurité régionale en Afrique.
Alors que les nations africaines reconsidèrent leurs liens avec une administration Trump qui les traite comme des consommables, ces politiques d'expulsion, influencées par des décisions unilatérales à court terme et des menaces mondiales complexes, ne servent les intérêts de personne, pas même celles de l'Amérique.
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