L’UA s’apprête à renforcer son arsenal de sanctions

Après treize ans de latence, le comité des sanctions vise plus de constance et de meilleurs résultats.

En mai 2022, l’Union africaine (UA) a décidé de mettre en service le comité des sanctions du Conseil de paix et de sécurité (CPS). Bien que créé en 2009, ce comité était resté inactif, notamment en raison du manque d’adhésion, voire de l’opposition des États membres.

Cette décision suscite de vifs débats dans les cercles politiques de l’UA, en particulier sur le recours aux sanctions pour endiguer les coups d’État et les changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG) susceptibles de prolonger les mandats des dirigeants en place.

En deux décennies, l’UA s’est imposée parmi les institutions multilatérales comme un précurseur dans l’utilisation de sanctions à l’encontre de ses États membres. Cette utilisation a eu des résultats mitigés et, parfois, des applications contrastées, en dépit des succès acquis sans comité chargé de fournir des conseils sur la prise de sanctions, de suivre leur application et de décider de leur levée.

Les dispositions des instruments juridiques de l’UA relatifs aux sanctions mentionnent trois situations dans lesquelles elles peuvent être infligées : un défaut de paiement des contributions d’un État membre, un changement anticonstitutionnel de gouvernement et le non-respect des décisions et des politiques de l’UA. Il est arrivé que l’UA se conforme aux sanctions annoncées par les organisations régionales, comme dans l’exemple de la récente décision de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest concernant le Mali.

L’UA a donné le ton en matière de sanctions parmi les organisations internationales

La majorité des sanctions de l’UA ont été édictées pour répondre à un CAG en raison de la fréquence des coups d’État sur le continent. Entre 2000 et 2022, elles ont été appliquées 20 fois à l’encontre de 15 États membres, sous la forme de suspensions ou de sanctions ciblées (voir tableau).

Pays membres de l’UA touchés par des sanctions pour la période 2003-2022

 AU sanctions against member states, 2003 to 2022

Source : données de 2013 à 2019 d'Elin Hellquist, mises à jour jusqu'en 2021
(cliquez sur le tableau pour l'image en taille réelle)

L’UA a toujours fait preuve de constance dans l’application de sanctions en cas de CAG, en particulier les coups d’État. Le succès de l’organisation panafricaine est manifeste si l’on considère leur réduction depuis qu’elle intervient dans le domaine. Entre 1960 et 1989, l’Afrique a connu une moyenne de 2,2 coups d’État par an, chiffre qui est légèrement descendu à 1,6 dans les années 1990. Entre 2000 et 2019, il est tombé à 0,8. Cette évolution s’explique en grande partie par la politique de tolérance zéro de l’UA à l’égard des coups d’État et par les sanctions ou suspensions qui en découlent.

Autre signe de l’efficacité des sanctions : la véhémence avec laquelle les États membres s’opposent à toute suspension lorsqu’ils sont aux prises avec des situations politiques complexes. Il est clair qu’une suspension est la dernière chose que souhaite un État membre. Même si des putschistes font preuve d’une extrême résistance, il est rare qu’ils n’accordent aucune importance aux déclarations de suspension de l’UA ou qu’ils remettent en cause la légitimité de l’organisation panafricaine lorsqu’elle insiste sur la nécessité d’un retour à la normalité constitutionnelle.

Si les sanctions de l’UA permettent de dissuader les CAG, leur efficacité repose en grande partie sur leur application prévisible et cohérente. Parmi les 22 cas que le CPS a traités depuis 2005, 91 % ont fait l’objet d’une suspension.

La constance dans la réponse aux coups d’État facilite l’application des sanctions, même contre de grandes puissances comme, par exemple, l’Égypte en 2013. L’absence de suspension à la suite d’un CAG est considérée comme une exception. La nomination du fils d’Idriss Déby, Mahamat Idriss Déby, comme chef de la transition au Tchad en 2021, en lieu et place du président de l’Assemblée nationale comme l’exige la Constitution du pays, en est un exemple.

Les sanctions de l’UA vont souvent de pair avec la mise en place d’un processus de médiation. Dans la plupart des CAG, une médiation régionale soutient un retour à l’ordre constitutionnel. Cela fait de l’UA et des communautés économiques régionales des partenaires actifs dans la recherche de solutions en cas de CAG, et non de simples exécutantes d’une norme régionale ou continentale.

Faute de comité, certaines sanctions ont pu avoir des résultats mitigés et des applications contrastées

SI l’UA a parfois pu se montrer inefficace pour imposer des sanctions contre les CAG, c’est parce qu’elle a généralement hésité à invoquer en temps voulu les dispositions relatives à une suspension. Cela a notamment été le cas lors du coup d’État de 2019 au Soudan. Dans certaines situations, la mise en œuvre partielle des dispositions, l’abaissement des exigences de réadmission après suspension et la légitimation d’un coup d’État semblent être tolérés.

Ce dernier point est particulièrement flagrant au vu du grand nombre de putschistes qui occupent des postes ministériels, malgré les dispositions afférentes de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. De telles situations soulèvent généralement des questions quant à la capacité de l’UA à appliquer ses propres déclarations. L’absence d’une cellule dédiée aux sanctions, chargée de surveiller leur exécution, fait que tous les éléments de sanctions n’ont pu être pleinement mis en œuvre.

Pour que l’UA puisse établir un cadre de sanctions efficace, à même de prévenir les CAG et les coups d’État, les pratiques actuelles doivent être affinées. Le cadre existant doit être révisé afin de lever toute ambiguïté quant au moment où il faut agir. Cela est particulièrement important lors d’un CAG, un mouvement civil légitime de contestation pouvant entraîner une implication de l’armée, comme cela a été le cas au Soudan.

Il est également important de savoir à quel moment précis des sanctions ciblées doivent être déclenchées. Les déclarations et avertissements de sanctions doivent être intégrés dans un cadre qui tienne compte de l’évolution des menaces auxquelles elles cherchent à répondre.

Outre son activation et la mise à sa disposition des ressources nécessaires à son bon fonctionnement, le comité des sanctions doit également être appuyé par une unité permanente sise au sein de la Commission de l’UA et par un groupe de suivi. Ce groupe effectuera des évaluations préalables aux sanctions, surveillera les sanctions imposées, conseillera les États membres sanctionnés et évaluera la mise en conformité avant une éventuelle levée des sanctions.

Il est important de savoir à quel moment précis des sanctions ciblées doivent être déclenchées

Ceci est particulièrement important si le recours à des sanctions ciblées augmente pour consolider les pratiques actuelles contre les CAG. Le groupe de suivi renforcera la composante technique du processus de prise, de suivi et de levée des sanctions, et assurera la cohérence et la prévisibilité de l’utilisation de cet outil par les dirigeants politiques africains.

Les sanctions fonctionnent bien mieux lorsqu’elles bénéficient d’un large soutien et qu’elles ont une grande portée. Une meilleure coordination des sanctions est donc nécessaire pour assurer une synergie entre les sanctions de l’UA et celles d’organisations similaires, notamment les Nations unies.

Andrews Attah-Asamoah, chef du programme Gouvernance de la paix et Sécurité en Afrique, ISS Addis Abeba

Cet article est une publication du Rapport sur le CPS de l’ISS.

Image : © l’Union africaine 

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