Les désertions de Boko Haram pourraient marquer un tournant décisif

Les gouvernements des pays du bassin du lac Tchad doivent profiter des départs actuels pour paralyser le groupe extrémiste violent.

Région du lac Tchad

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Au moins 2 122 personnes associées à Boko Haram ont quitté le groupe depuis la mort, au mois de mai, d’Abubakar Shekau, qui avait longtemps dirigé la faction, Jama’atu Ahlis Sunnah lid-Da’wati wa’l-Jihad (JAS). Il est essentiel de comprendre pourquoi les membres quittent Boko Haram, cela permet notamment aux autorités d’obtenir des informations qui peuvent être utilisées pour lutter contre le terrorisme dans la région.

Les personnes associées qui quittent le JAS sont réparties en deux grandes catégories. La première est composée de civils qui ne pouvaient pas s’éloigner des zones qui étaient sous le contrôle de Shekau lorsqu’il était vivant par crainte de représailles impitoyables. La deuxième catégorie est celle des combattants, des commandants de haut rang et de leurs familles.

Des désertions de Boko Haram à grande échelle se sont déjà produites par le passé, lorsque des événements notables ont permis aux gens de quitter le groupe. Les actions soutenues de l'armée nigériane en 2014 et la grande opération menée par la Force multinationale mixte contre Boko Haram quelques semaines avant les élections générales de 2015 ont également conduit au départ de plusieurs membres.

La plus grande vague de désertions a été déclenchée par la rivalité installée dans le groupe en 2016, qui a abouti à la scission de Boko Haram en deux factions : le JAS et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO). Cette année-là, les vastes campagnes menées par le gouvernement contre l'insurrection ont également joué un rôle. Dans cette période, 800 associés de Boko Haram se sont rendus au gouvernement en trois semaines. À la fin de 2016, plus de 1 000 personnes avaient quitté le groupe au Nigeria.

Les événements survenus depuis mai prouvent que l’absence de leadership peut gravement nuire à Boko HaramLes recherches menées par l'Institut d'études de sécurité (ISS) montrent qu’entre 2015 et 2020, les gens se sont désengagés de Boko Haram à cause des opérations militaires contre le groupe, des mauvaises conditions de vie des membres, de la désillusion et de la dissonance des objectifs. Il y a eu au moins 4 227 désertions de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad jusqu'en 2020.

Les départs récents se sont essentiellement produits au Nigeria, et plus précisément dans l'État de Borno. Les combattants et les affiliés se rendent également aux autorités du Cameroun, certaines communautés étant proches de la frontière séparant les deux pays. Les gens sont en train de quitter les villages environnants de la forêt de Sambisa, ainsi que d'autres régions du gouvernement local où le JAS était actif.

Cependant, le désengagement ne se produit pas au Niger ou au Tchad. La sous-unité Bakura Doro du JAS qui opère sur les îles du lac Tchad et couvre ces axes est toujours en place. Elle est également protégée des affrontements entre les factions et de la prise de pouvoir de l’EIAO a lieu à Sambisa et dans ses environs, une évolution qui alimente les désertions, selon les recherches de l’ISS.

Deux raisons principales expliquent ces départs en masse. Tout d'abord, l'EIAO permet aux civils qui ne veulent pas faire partie du groupe de partir. Ce sont des personnes que le JAS, sous Shekau, avait détenues contre leur gré, les soumettant au travail forcé et non rémunéré et les utilisant comme boucliers humains. Celles qui ont tenté de partir et qui ont été attrapées ont été sévèrement punies, voire exécutées.

Certains combattants quittent sans se dissocier du groupe ni dénoncer l’idéologie de Boko Haram

Deuxièmement, certains des combattants du JAS qui ne veulent pas rejoindre l'EIAO fuient pour des raisons de sécurité. Alors que l'EIAO resserre son emprise sur les attaques extrémistes violentes dans le bassin du lac Tchad, elle a rétrogradé certains commandants du JAS, les remplaçant par ses propres dirigeants, plus jeunes, originaires des îles du lac Tchad. Certains commandants du JAS ont été évincés en raison de liens avec des vols à main armée, des vols de bétail et des enlèvements. Des sources indiquent que l’EIAO ne veut pas que ceux-ci  occupent des postes d’autorité.

Cela a entraîné une certaine inquiétude à Sambisa. Les commandants déchus sont en train d’encourager leurs combattants à protester contre l'injustice de la mort de Shekau. Étant donné que des mandats d'arrêt ont été émis à leur encontre, qu’ils courent un risque d'exécution et réalisant qu’ils ne peuvent pas vaincre l’EIAO au combat, ces membres mécontents du JAS n’ont que deux choix. Ils peuvent soit se rendre à l’armée, soit risquer le long voyage vers le bassin des îles du lac Tchad, qui est la base de Bakura Doro et Bakura Sa’alaba, les nouveaux dirigeants du JAS.

Certains combattants du JAS qui ont tenté de se déplacer de Sambisa vers les îles du lac Tchad ont été bloqués par l’EIAO à Kumshe, dans la zone du gouvernement local de Bama, dans l’État de Borno. Ceux qui se rendent aux autorités gouvernementales le font discrètement pour éviter les attaques de l’EIAO.

Les événements survenus depuis le mois de mai indiquent aux forces de sécurité que l'absence de leadership peut nuire gravement à Boko Haram. Pour fragiliser davantage le groupe, notamment la faction de l’EIAO, les opérations militaires doivent cibler ses commandants. Cela déclencherait plus de désengagements de l’EIAO, affaiblissant davantage Boko Haram dans son ensemble.

L’amélioration de la conduite des forces de sécurité nigérianes pourrait également contribuer à la reddition des combattantsLes raisons pour lesquelles les membres désertent sont aussi nombreuses que les rôles qu’ils assument au sein du groupe. Les combattants quittent le groupe sans s’en dissocier et sans dénoncer l’idéologie de Boko Haram. Se rendre aux forces gouvernementales leur procure simplement une meilleure chance de survie que la mort certaine qui les attend en tenant tête à l’EIAO.

L'amélioration de la conduite et de l'image publique des forces de sécurité nigérianes pourrait également contribuer à la capitulation des combattants, car ils seraient traités avec humanité. Les autorités peuvent en tirer le meilleur parti pour tenter de mettre fin à cette crise qui perdure depuis une décennie.

Les gouvernements doivent également suivre les processus judiciaires et de réinsertion dans le traitement des anciens combattants et des personnes à leur charge. Cela pourrait encourager de nouvelles désertions, lutter contre la récidive, améliorer la collecte de renseignements et empêcher les anciens combattants de se réintégrer dans les communautés éloignées du bassin du lac Tchad.

Les programmes élaborés pour ceux qui quittent les groupes extrémistes violents ne peuvent pas être génériques. Ils doivent être adaptés aux besoins des groupes et des individus, notamment des femmes et des enfants, qui constituent la majorité des départs.

Les pays doivent toutefois être préparés. Les vagues de désertion actuelles risquent de mettre à rude épreuve la capacité des centres de transit et de réinsertion, notamment du Centre de transit de Méri, au Cameroun. Les gouvernements du bassin du lac Tchad doivent de toute urgence renforcer leurs capacités techniques, matérielles et opérationnelles pour s’y préparer.

Malik Samuel, chercheur, et Remadji Hoinathy, chercheur principal, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar et Regis Gael Zambo, chercheur associé

Cet article est financé par le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas et le Programme des Nations Unies pour le développement.

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