Réinsertion sur mesure pour les femmes membres de Boko Haram
La réinsertion sociale des femmes ayant des liens avec Boko Haram pâtit d’un manque d’informations et de planification
Publié le 27 janvier 2020 dans
ISS Today
Par
Malik Samuel
chercheur, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Il est notoire qu’un certain nombre de femmes entretiennent des relations avec Boko Haram au Nigeria, bien que leur rôle au sein du groupe soit souvent obscur ou incompris. Elles sont souvent considérées comme victimes ou complices du groupe, et non comme auteures de crimes, comme le montrent les recherches de l’Institut d’études de sécurité (ISS).
Les femmes assument différents rôles au sein des groupes extrémistes violents et les raisons pour lesquelles elles les rejoignent ou les quittent sont diverses. Il est essentiel de bien appréhender ces rôles et ces raisons afin de mettre en place les processus adéquats de réinsertion des femmes dans la société et de les inciter à quitter Boko Haram.
Les femmes qui apportent leur soutien à des groupes extrémistes violents tels que Boko Haram le font aussi en tant que combattantes. Elles jouent souvent le rôle de femmes au foyer, mais certaines d’entre elles reçoivent une formation au combat et apprennent à manipuler des engins explosifs, ainsi qu’à démonter, nettoyer, ré-assembler des fusils, et à s’en servir. D’autres participent aux combats en première ligne ou en appui, notamment en commettant des attentats-suicide, de manière volontaire ou sous la contrainte.
L’enlèvement, le mariage et la captivité sont les principales voies par lesquelles des femmes intègrent Boko Haram. Afin d’en faire des membres actifs du groupe, les terroristes utilisent diverses stratégies : lavage de cerveau, persuasion et parfois recours à des drogues. Ces méthodes sont surtout employées pour celles qui ne rejoignent pas le groupe de leur plein gré.
Afin d'échapper à leur existence pénible au sein de Boko Haram, des femmes se portent volontaires pour commettre des attentats-suicide
Boko Haram force les personnes embrigadées à assister à des cours coraniques et à des sermons qui visent à endoctriner et laver le cerveau des nouvelles recrues en justifiant la violence contre les « mécréants ». Tout refus de participer est passible de la peine de mort, et le groupe oblige les nouvelles recrues à regarder les scènes de mise à mort afin de les dissuader de résister.
Les membres de Boko Haram qui sont chefs de village chargent leurs épouses de s’occuper des femmes enlevées. Elles enseignent aux captives le Coran et l’importance de soutenir le groupe dans son jihad. Elles sont également chargées d’identifier les femmes susceptibles d’aller plus loin, qui pourraient notamment espionner d’éventuels déserteurs et commettre des attentats-suicide.
Malgré leur endoctrinement et leur acceptation apparente des préceptes de Boko Haram, de nombreuses femmes quittent le groupe en raison de la détérioration de leurs conditions de vie, du décès de leur conjoint, de mariages forcés et violents, de restrictions, de la désillusion ou de la peur d’être tuées au cours d’opérations militaires.
Certaines prennent des risques en s’enfuyant au milieu de la nuit (lorsque les hommes mènent des raids) ou en profitant de la pluie, et d’autres sont libérées ou arrêtées par les forces de défense et de sécurité pendant des opérations militaires. L’on sait que, pour échapper à une existence pénible, des femmes se portent volontaires pour commettre des attentats-suicide. Certaines retirent leur ceinture d’explosifs et s’enfuient, alors que d’autres vont au bout de la mission en se suicidant.
Des femmes interrogées par l'ISS ont déclaré qu'on leur avait simplement dit d'oublier leurs expériences vécues auprès de Boko Haram
En ce qui concerne celles qui sont forcées de quitter Boko Haram après avoir été arrêtées, des questions subsistent sur leur sincérité lorsqu’elles dénoncent l’idéologie et les stratégies du groupe, d’autant plus que certaines d’entre elles le rejoignent de nouveau après avoir été relâchées. Il est donc impératif de mettre en place une réinsertion sur mesure pour les femmes qui ont eu des liens avec Boko Haram.
Parmi les femmes réinsérées dans la société, certaines montrent encore leurs affinités avec Boko Haram et leur volonté d’y retrouver leurs conjoints, pendant que d’autres gardent le contact avec leur mari au sein du groupe. Certaines femmes rejoignent Boko Haram après avoir suivi des programmes de réhabilitation et de réinsertion, ce qui indique à quel point il est important d’adapter la prise en charge post-Boko Haram à chaque cas.
Plusieurs types de programmes destinés aux anciens membres de Boko Haram sont mis en œuvre au Nigeria. Le plus connu est le programme de déradicalisation, de réhabilitation et de réinsertion (DDR) des hommes, géré par l’armée nigériane dans le cadre de l’Opération Safe Corridor. Concernant les femmes ex-membres de Boko Haram, les processus en place ne sont pas aussi clairs. De nombreuses femmes libérées par l’armée ont déclaré n’avoir bénéficié d’aucun programme de réhabilitation ou de réinsertion au Centre de Transition de Bulumkutu, un centre de réinsertion pour femmes et enfants géré par l’État de Borno.
Sur plus de 20 femmes ex-membres de Boko Haram interrogées par l’ISS, seules quelques-unes sont passées par le Centre après avoir été libérées de leur détention militaire. Les autres ont été directement remises en liberté dans des communautés ou dans des camps de personnes déplacées.
La réinsertion est un long processus qui ne se limite pas au périmètre des centres de réinsertion
Bien que les autorités affirment apporter un soutien psychosocial à ces femmes au Centre, celles qui l’ont fréquenté, et avec lesquelles l’ISS a pu s’entretenir, ont déclaré qu’on leur avait simplement dit d’oublier ce qu’elles avaient vécu, d’ignorer ou de signaler les cas de stigmatisation, et de vivre paisiblement au sein de la communauté.
Ces femmes ont déclaré que le Centre de Transition de Bulumkutu accordait la priorité à une réinsertion rapide par le biais de formations professionnelles, notamment dans la fabrication de savon et le petit commerce. Le soutien post-formation, tel que l’octroi de crédits ou de prêts pour qu’elles puissent se lancer dans une activité, était limité.
Oublier les expériences vécues auprès de Boko Haram peut s’avérer difficile pour ces femmes. Ce type de programmes devrait comprendre des moyens de les aider à surmonter leurs expériences passées, plutôt qu’à les oublier.
Les parties prenantes aux programmes de DDR au Nigeria ne doivent pas perdre de vue les divers rôles que jouent les femmes au sein de Boko Haram. Cela permettra d’identifier leurs besoins après qu’elles auront quitté le groupe et d’élaborer des interventions ciblées. Les érudits et les dignitaires religieux peuvent jouer un rôle essentiel dans la lutte contre l’endoctrinement de Boko Haram. Leur implication aiderait à réduire le risque que constitue la libération de femmes ré-intégrant directement les communautés, en particulier celles qui continuent d’adhérer aux croyances de Boko Haram.
La réinsertion est un long processus qui ne se limite pas au périmètre des centres de réinsertion. Actuellement, les femmes associées à Boko Haram ne passent pas plus de trois mois au Centre, certaines disent même y avoir séjourné moins d’un mois. Leurs homologues masculins passent quant à eux au moins six mois au camp de l’Opération Safe Corridor.
Il faut pouvoir contrôler, évaluer et faire le suivi de chaque cas. Les processus de réhabilitation, de réinsertion et de réconciliation doivent être conçus sur la base des points de vue des communautés afin de réduire la stigmatisation et le rejet des femmes ex-membres de Boko Haram. La formation professionnelle, essentielle à la réinsertion socio-économique, doit également être personnalisée et adaptée aux économies qui subissent la pression des conflits et du changement climatique.
Malik Samuel, chercheur, Bureau de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad
Cet article a été aussi réalisé grâce au soutien du gouvernement des Pays Basi et de la Fondation Hanns Seidel.
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Crédit photo : Muse Mohammed/IOM