Capture d'écran vidéo/ISWAP-JAS-Ansaru

Comment la cellule Shiroro a pu s’implanter près d’Abuja

La cellule Shiroro du GSIM assouplit son approche doctrinale pour rallier les bandits locaux.

La cellule Shiroro, faction de Boko Haram dans l'État du Niger, implantée près d'Abuja, la capitale du Nigeria, a réussi l'expansion la plus poussée du groupe en dehors du bassin du lac Tchad. Jusqu'à présent, on n’avait que peu d’informations sur cette cellule du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM).

Grâce à des recherches en cours de l'Institut d'études de sécurité (ISS), des entretiens avec des transfuges, des victimes et des femmes qui ont échappé au GSIM après avoir été mariées à certains de ses combattants ont permis d’en avoir une vision plus claire. Ils donnent des informations sur les opérations et les alliances de la cellule Shiroro, ainsi que sur son rôle dans la lutte contre le terrorisme au Nigeria.

Des documents audiovisuels et des rapports concordants montrent que le GSIM est profondément ancré dans les communautés forestières de l'État du Niger, mêlant le djihadisme au banditisme peul local, principale source d'insécurité dans la région. En tolérant que ces bandits n’adhèrent pas à son code religieux strict, le GSIM bénéficie de leurs armes, de leurs combattants et de leur connaissance du terrain local, ce qui lui permet de s'implanter de manière stratégique dans le centre du Nigeria.

La cellule est dirigée par Abubakar Saidu, alias « Sadiku ». Il est Babur, originaire de Biu dans l'État de Borno, et a été envoyé dans l'État du Niger en 2014 par le défunt chef du GSIM, Abubakar Shekau. Il appartenait à une équipe de sept personnes, chargée de rencontrer les derniers membres du groupe ultra-salafiste Darul Islam. Après avoir été délogés de leur quartier général de Mokwa par la police en 2009, ces derniers avaient fui vers le nord, dans les forêts du Nigéria en grande partie délaissées par l’administration nigériane.

Bien que le Darul Islam ait précédemment refusé de s’aligner sur Boko Haram, Sadiku a trouvé un terrain fertile parmi ses adeptes dispersés et a créé la cellule de l'État du Niger avec ses camarades de Borno. Il a commencé à faire des allers-retours entre les États de Borno et du Niger, s'installant progressivement dans la zone de la réserve forestière d'Alawa et se coordonnant avec les Fulanis locaux. Cela a donné lieu à une escalade des attaques du groupe en 2021.

Le GSIM s'est profondément implanté dans les communautés forestières de l'État du Niger

À partir de camps forestiers comme Kugu et Dogon Fili, le groupe attaque les forces de sécurité et les civils dans les villages et les villes, ainsi que sur les routes des zones de gouvernement local de Shiroro, Munya et Rafi. Il a tué des centaines de personnes, en a déplacé des milliers d'autres et a posé de nombreux engins explosifs improvisés.

Une enquête du Premium Times et des entretiens avec l'ISS révèlent l'enlèvement de garçons qui sont contraints de suivre un programme d'endoctrinement dans des écoles islamiques et d'effectuer des travaux forcés. Des femmes et des filles sont enlevées et mariées de force à des combattants.

Fiefs de la cellule Shiroro du GSIM dans l'État du Niger, Nigeria

Fiefs de la cellule Shiroro du GSIM dans l'État du Niger, Nigeria

 

Contrairement à la discipline doctrinale plus stricte de la faction rivale de Boko Haram, l‘État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), le GSIM prospère grâce à la prédation et en adoptant une certaine souplesse idéologique. Les militants lancent des raids sur des villages, se livrent à des enlèvements et à des extorsions qu'ils justifient par le « fayhoo » (butin pris aux « mécréants »). Cette flexibilité semble être la clé de leur enracinement dans l'État du Niger.

La fusion des djihadistes et des criminels armés non soumis à leur idéologie n'est pas nouvelle. Au Niger, au Mali et au Burkina Faso, des djihadistes ont travaillé avec des criminels locaux pour obtenir des parts dans des mines d'or illégales. Cependant, l'intégration locale de la cellule Shiroro se distingue par sa tolérance de la pratique de l'alcool, de la drogue et de la prostitution par les bandits, ce qui va à l'encontre de la stricte doctrine religieuse de la cellule.

Une femme anciennement mariée à un combattant s'est souvenue que, face à la désapprobation des religieux de Boko Haram du nord-est du Nigeria, Sadiku avait fait valoir que les Peuls « changeraient avec le temps ». Il est toutefois très peu probable que ceux-ci coopèrent un jour avec les djihadistes par conviction religieuse.

La cellule de Shiroro n'est pas structurée selon le système de commandement traditionnel de Boko Haram, mais selon les kachallas (seigneurs de guerre ou hommes forts), ce qui montre qu'elle adopte la terminologie des bandits. Dogo Gide, chef de bandits notoire, a servi sous Sadiku en tant que kachalla avant leur séparation, bien que les entretiens de l'ISS suggèrent que Bakura Doro, le commandant général du GSIM basé au lac Tchad, pourrait servir de médiateur en vue d’une réconciliation.

La cellule Shiroro se protège de l’armée de l’air en se cachant dans les communautés forestières

Selon les transfuges et les femmes qui ont vécu dans les camps, Doro fournit des armes à partir de sa base sur l'île de Barwa, sur le lac Tchad. Sur une vidéo que l’ISS a pu examiner, on voit des bateaux transportant des armes enfouies dans de l'herbe et des poissons, naviguant vers Shiroro.

S’y ajoute les armes dérobées aux forces de sécurité ou acheminées par les réseaux de contrebande sahéliens, grâce aux alliances du groupe avec les bandits. L'argent circule également entre Shiroro et Doro, ce qui montre que l'expansion territoriale permet également de financer le terrorisme.

La cellule de Shiroro est dispersée dans les communautés forestières, notamment Kugu, Maganda et Dogon Fili, afin de ne pas être détectée par les campagnes militaires nigérianes, essentiellement aériennes. Les forces militaires terrestres se sont retirées après avoir subies des attaques meurtrières répétées.

Les Lakurawa, un groupe armé peul enraciné dans le Sahel et désigné comme organisation terroriste par le Nigeria en 2025, rend la situation encore plus difficile. Tout en prônant le djihadisme, les Lakurawa sont des prédateurs qui opèrent dans le nord-ouest des États de Sokoto et de Kebbi, le long de la frontière avec la République du Niger.

Selon un transfuge et un expert du conflit, des émissaires de Lakurawa rencontrent chaque année Sadiku à Shiroro depuis 2023, ce qui constitue la première preuve crédible d'interactions entre Lakurawa et le GSIM et d'un éventuel alignement. Sadiku a envoyé des combattants pour renforcer Lakurawa, qui s'est à son tour rapproché d'un autre chef de bandits peuls notoire, Bello Turji, visiblement pour reproduire l'alliance de type GSIM dans le nord-ouest du pays.

La stratégie du Nigeria contre l'extrémisme violent ne peut pas rester centrée sur le lac Tchad

La convergence des groupes armés fait planer la menace d'une coordination plus large de la violence. L'attaque de la prison de Kuje en 2022, à Abuja, a été le fruit d’une rare collaboration entre l’EIAO, le GSIM et Ansaru. Un transfuge, qui a participé à l'attaque du train de Kaduna en 2022, a déclaré à l'ISS que l'assaut avait été exécuté par les combattants de Sadiku à l'aide d'engins explosifs improvisés provenant de Borno et avec l’aide des bandits.

L’EIAO cherchait depuis longtemps à s'étendre au-delà du lac Tchad, ciblant même des États méridionaux comme Oyo, pour accéder aux côtes de l'Afrique de l'Ouest. Les recherches de l'ISS montrent qu’il a envoyé cinq groupes de 25 combattants dans le centre du Nigeria en avril, maintenant une présence dans l'axe entre Okene et Kogi. Cependant, ses succès ont été limités par rapport au bastion de Shiroro du GSIM.

La géographie favorise la menace Shiroro. L'État du Niger relie le nord et le sud du Nigeria et borde le Bénin par des couloirs forestiers poreux qui relient le Sahel. L'arrestation en juillet de femmes liées à Boko Haram qui se dirigeaient vers l'axe Borgu suggère que la cellule envisage de s’étendre.

Pourtant, la stratégie du Nigeria en matière de prévention et de lutte contre l'extrémisme violent reste largement axée sur le lac Tchad. Le cas de Shiroro montre qu’il est nécessaire de redimensionner la carte des menaces. Les ripostes doivent prendre en compte la surveillance des forêts, la sécurité des routes et les partenariats avec les groupes d’auto-défense locaux dans le cadre d'un système de responsabilisation. Il faut désorganiser les circuits de financement et créer des programmes de réintégration sensibles au genre pour les transfuges.

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