Revoir les objectifs pour mieux gérer les transitions militaires en Afrique de l’Ouest

La récurrence des coups d’État et la prolongation des transitions militaires doivent inciter les acteurs régionaux à explorer d’autres moyens de parvenir à la stabilité.

Depuis août 2020, trois pays d’Afrique de l’Ouest — le Burkina Faso, le Mali et la Guinée — ont connu cinq coups d’État. La Gambie et la Guinée-Bissau ont également subi des tentatives de renversement. Et au Tchad voisin, un changement anticonstitutionnel de gouvernement a conduit à la tête du pays le lieutenant-général Mahamat Idriss Déby, après la mort de son père en 2021.

Cette série de coups d’État jette le doute sur l’efficacité des transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest. Elle met également à mal la coopération régionale à un moment où celle-ci est plus que jamais nécessaire pour faire face à la menace croissante posée par les groupes extrémistes violents.

Bien que leurs facteurs déclencheurs varient en fonction du contexte, les coups d’État en Afrique de l’Ouest ont été analysés à l’aune des déficits structurels des pays concernés. Cet examen a mis en lumière la pression socioéconomique croissante, la faiblesse des indicateurs de développement humain, l’explosion démographique de la jeunesse et l’échec des réformes du secteur de la sécurité.

L’accent doit être mis sur la teneur des transitions politiques plutôt que sur leur durée

Le recul démocratique résultant des crises de gouvernance, des troisièmes mandats et des manipulations constitutionnelles a été pointé. Les changements d’alliances géopolitiques et l’insécurité liée au terrorisme et à la criminalité ont également été mis en évidence. C’est notamment le cas au Mali et au Burkina Faso, qui ont connu deux coups d’État militaires en l’espace de quelques mois.

Jusqu’à présent, les réponses des partenaires régionaux et multilatéraux se sont révélées inadaptées. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine, les Nations unies et d’autres acteurs extérieurs peinent à faire pression sur les autorités militaires pour que les transitions soient courtes et conduites par des civils.

Cela fait respectivement 30, 17 et 13 mois que les autorités militaires du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso sont au pouvoir. Ces dirigeants se perçoivent comme des agents du changement et certains semblent même nourrir des ambitions politiques pour l’après-transition.

Il n’est donc plus réaliste d’espérer des transitions courtes. Les options qui s’offrent aux acteurs régionaux sont pour le moins limitées. Dans ce contexte, l’une des possibilités serait d’optimiser le résultat des transitions en s’intéressant à leur teneur, et pas seulement à leur durée.

L’objectif n’est pas de plaider en faveur de l’incursion des militaires dans la sphère politique. Il ne s’agit pas non plus d’encourager des transitions militaires longues. Les données disponibles indiquent que les dirigeants militaires ne sont généralement pas meilleurs que les « mauvais dirigeants civils », et peuvent même se révéler pires. En démocratie, la place des militaires n’est pas dans les palais présidentiels. Leur présence au pouvoir doit être brève, comme le prévoient les instruments juridiques régionaux et continentaux.

La gestion des transitions militaires peut favoriser la stabilité ou préparer le terrain pour le prochain coup d’État

Il faut cependant retenir que la gestion des transitions militaires et de la période qui suit une élection post-transition peut créer les conditions de la stabilité ou préparer le terrain pour le prochain coup d’État. Tous les dirigeants récemment renversés en Afrique de l’Ouest étaient arrivés au pouvoir par un coup d’État, comme Paul-Henri Sandaogo Damiba au Burkina Faso, ou avaient remporté des élections suivant un changement anticonstitutionnel de gouvernement.

Avant d’être renversé par le colonel Assimi Goïta en 2020 au terme de plusieurs mois de manifestations, Ibrahim Boubacar Keïta, au Mali, était devenu président à l’issue des élections de 2013. Son élection faisait suite au coup d’État militaire de 2012 mené par Amadou Sanogo.

Au Burkina Faso, l’ascension au pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré est intervenue à l’issue d’un scrutin mis en place dans le sillage du soulèvement populaire de 2014, qui a chassé le président de longue date Blaise Compaoré, et après une tentative de coup d’État avortée en septembre 2015. En Guinée, Alpha Condé est devenu président à la faveur d’élections organisées après la prise de pouvoir par la force de Moussa Dadis Camara en 2008, au lendemain du décès de Lansana Conté.

Dans ces trois pays, le pouvoir a été rendu à un gouvernement civil élu dans un délai de 16 mois en moyenne. Mais par la suite, les nouveaux dirigeants ont alimenté le mécontentement populaire, créant un terrain fertile pour que des acteurs militaires reprennent le pouvoir.

Le retour à l’ordre constitutionnel est essentiel, mais ne doit pas constituer le seul critère de réussite

Cet effet de yo-yo montre qu’il est nécessaire de mieux comprendre les dynamiques contextuelles et de tirer les leçons des transitions précédentes. Il souligne également l’importance de maintenir l’attention au-delà des scrutins post-coup d’État.

L’accent légitime mis par la CEDEAO sur des transitions courtes et dirigées par des civils a détourné l’attention des questions de fond. Dans ce contexte, il est à présent difficile de tenir les autorités militaires comptables des promesses qu’elles ont formulées au moment de leur prise de pouvoir par la force.

En décembre 2022, les chefs d’État de la CEDEAO ont annoncé la création d’une force militaire chargée de rétablir l’ordre constitutionnel dans les pays membres. Il est peu probable que cette force soit opérationnelle rapidement, ni qu’elle résolve les problèmes à l’origine des coups d’État. Identifier des points d’entrée pour la mise en œuvre de mesures à même de contribuer à la stabilité, sans donner un blanc-seing aux putschistes, figure parmi les possibilités à envisager.

Tout en appelant au rétablissement de l’ordre constitutionnel, les acteurs régionaux, les médiateurs et les citoyens des pays en transition devraient s’efforcer d’identifier les domaines dans lesquels des avancées pourraient être enregistrées, en dépit du contexte. Le défi est de trouver comment travailler avec ces régimes afin d’amorcer des changements susceptibles de jeter les bases d’une croissance inclusive et d’une stabilité à moyen et long terme, sans cautionner les coups d’État.

Au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, des mesures de nature à transformer les sociétés ont été bloquées sous des pouvoirs élus. Il s’agit notamment de lois sur la dépolitisation de la fonction publique, de réformes territoriales visant à améliorer la représentation politique et la fourniture de services publics, de réformes foncières ou encore de lois visant à promouvoir les droits des femmes.

Il est risqué de faire pression sur les gouvernements militaires afin qu’ils mettent en place des réformes favorisant la croissance et la stabilité. Ces régimes n’ont pas nécessairement intérêt à procéder à des réformes approfondies et pourraient s’en servir comme prétexte pour rester au pouvoir encore plus longtemps.

Une telle démarche nécessite d’identifier les véritables réformateurs au sein des autorités de transition et de créer les conditions de leur réussite. Ces acteurs des gouvernements militaires devront toutefois faire de l’inclusion un objectif central des processus de réforme.

Les coups d’État militaires, en particulier lorsqu’ils sont récurrents, nuisent gravement à la stabilité politique et à l’action gouvernementale. La CEDEAO et ses partenaires devraient concevoir des processus de médiation post-coup d’État et gérer les transitions dans le but de prévenir les coups d’État répétés et de favoriser la croissance et la stabilité à long terme.

Le retour à l’ordre constitutionnel doit rester un objectif clé. Mais il ne peut s’agir de la seule finalité et du seul critère de réussite.

Lori-Anne Théroux-Bénoni, directrice régionale et Aïssatou Kanté, chercheure, Bureau de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

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Cet article fait partie d'une série d’analyses sur la nécessité de prévenir les prochains coups d'État en Afrique de l'Ouest et au Sahel. La recherche qui sous-tend ce travail bénéficie du soutien d’Irish Aid. L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède, ainsi qu’à la Fondation Bosch.
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