À quoi doit-on le coup d’État au Burkina Faso?
La détérioration de la situation sécuritaire et les déficits de gouvernance ont eu raison du régime Kaboré.
Dans la matinée du 23 janvier 2022, les habitants de Ouagadougou, de Kaya et de Ouahigouya, qui abritent d’importantes casernes militaires au Burkina Faso, ont été réveillés par des tirs qui marquaient le début d’une journée de mutineries. Celle-ci s’est soldée, le lendemain en fin d'après-midi, par l’annonce télévisée de la destitution du président Roch Marc Christian Kaboré.
Le coup d’État a été orchestré par le lieutenant-colonel Paul-Henry Sandaogo Damiba, récemment promu à la tête du commandement de la 3e région militaire du pays. Il intervient dans un contexte de détérioration de la situation sécuritaire au Burkina, qui exaspère les populations civiles autant que les forces de défense et de sécurité, et de grogne sociale contre la gouvernance du président Kaboré.
Depuis 2015, le pays est confronté à une crise sans précédent. Elle a fait 7 569 morts en six ans, selon les chiffres de l’organisation Armed Conflict Location & Event Data Project, et poussé au déplacement forcé plus d’1,6 millions de personnes selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés.
Les fréquentes attaques visent aussi bien les populations civiles que les représentants des pouvoirs publics, à commencer par les forces armées, qui ont essuyé de lourdes pertes au fil des ans. Enseignants, administrateurs civils et personnels judiciaires sont également pris pour cibles, conduisant à une désaffection des services publics dans les zones affectées par le conflit.
Le coup d’État intervient dans un contexte de détérioration de la situation sécuritaire au Burkina
En juin 2021, l’attaque du village de Solhan, non loin de la frontière nigérienne, avait fait au moins 132 victimes. L’une des plus meurtrières qu’ait connu le pays, elle n’était toutefois pas un cas isolé. Pour la seule année 2021, le Burkina a enregistré quelque 1 337 incidents violents liés à la crise, qui ont fait 2 294 victimes.
Pourtant, les gouvernements successifs de Kaboré avaient depuis longtemps fait de la sécurisation du territoire national une priorité. En janvier 2020, ils avaient créé les « volontaires pour la défense de la patrie », un corps d’auxiliaires civils mobilisés en appui aux forces de défense et de sécurité nationales, et dont les membres sont pour la plupart issus d’anciennes milices communautaires.
L'effort consenti était également budgétaire. Entre 2016 et 2021, les parts du budget national allouées à la défense et à la sécurité sont passées de 240 746 280 € à 652 759 680 €, soit une augmentation de 271,14 %.
Ces investissements ne se sont néanmoins pas traduits par une amélioration significative des conditions de vie et des capacités opérationnelles des forces. Au contraire, la persistance des problèmes d'équipement et d'approvisionnement a contribué à les fragiliser, face à des groupes djihadistes toujours plus résilients.
Nombre de Burkinabè étaient excédés par la gestion politique du régime Kaboré, accusé de corruption et de laxisme
L'attaque d'Inata, survenue en novembre 2021, est devenue le symbole de ces dysfonctionnements. Cinquante-trois gendarmes y ont perdu la vie alors qu'ils étaient en attente de soutien logistique et d'approvisionnement, y compris de rations alimentaires. L’incident a soulevé une onde de choc à travers le pays, et mené à des appels à la démission du président Kaboré. Le limogeage début décembre de son chef de gouvernement, Christophe Dabiré, avait permis de calmer les tensions un temps, mais le répit s’est avéré de courte durée.
Le drame d’Inata a élargi le fossé entre les troupes de terrain d’une part, et les hiérarchies militaires et politiques d'autre part. Mais la défiance était mutuelle et ancienne. Elle remonte à la chute de Blaise Compaoré, en 2014, et à la dissolution du régiment de sécurité présidentielle qui lui était dévoué, mais également à la tentative de contre-coup de septembre 2015. Bien que déjoué, cet événement a hypothéqué la confiance des dirigeants politiques dans l’armée.
Nombre de Burkinabè étaient aussi excédés par la gestion politique du régime Kaboré, régulièrement confronté à des accusations de corruption, de laxisme et de népotisme. Depuis 2017, les sondages révélaient une baisse continue de la confiance et de la satisfaction envers un gouvernement qui n’a pas su répondre aux attentes de gouvernance vertueuse du peuple burkinabé, considérables au sortir des 27 années de règne de Compaoré, lui aussi arrivé au pouvoir par un coup d’État.
Note de satisfaction quant à l'action du président Kaboré, sur une échelle de 0 à 10 Source : Graphique ISS à partir des données du Présimètre 2020
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Face à la persistance des défis sécuritaires et de gouvernance, des rumeurs de coup d'État ont refait surface fin 2021. À en croire l’arrestation, début janvier 2022, du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana suspecté d’en fomenter un, la menace était prise au sérieux.
Ce n’est pas la première fois que le Burkina fait l’expérience du coup d’État. Le pays en est à son cinquième depuis son indépendance en 1960, sans compter la tentative avortée de septembre 2015 et le soulèvement populaire d’octobre 2014. Toutefois, dans le contexte régional actuel, ce nouveau coup interroge les résultats d’une gouvernance qui n’a pas su répondre aux attentes populaires en matière de transparence et de sécurité.
Le putsch de Ouagadougou est le quatrième en Afrique de l’Ouest en moins de deux ans. La déposition du président Kaboré fait suite à celles des Maliens feu Ibrahim Boubacar Keita et Bah N’Daw, respectivement intervenues en août 2020 et en mai 2021, ainsi qu’à celle du Guinéen Alpha Condé, en septembre 2021.
Bien plus qu’un effet de mode, la multiplication de ces coups de force traduit une crise profonde des systèmes politiques, déconnectés des attentes populaires et plombés par la corruption. Ils rappellent la nécessité de repenser les modèles démocratiques, au-delà du seul moment électoral, mais également l’efficacité des institutions supposées protéger et servir les citoyens.
La multiplication des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest traduit une crise profonde des systèmes politiques
Alors que les transitions militaires à l’issue incertaine se multiplient en Afrique de l’Ouest, celle qui s’annonce au Burkina complexifie davantage les enjeux politico-sécuritaires d’une région exposée à une insécurité croissante, non seulement dans sa portion sahélienne, mais aussi pour les États du littoral.
Cette nouvelle rupture de l’ordre constitutionnel doit inciter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à tirer les leçons du cas malien, en optant pour une approche à la fois pragmatique et constructive.
Avec désormais trois dossiers de transition militaire sur sa table, la CEDEAO devra dépasser les condamnations attendues pour amorcer le dialogue avec les nouveaux tenants de Ouagadougou. A cet égard, les missions diplomatique et militaire décidées le 28 janvier par les chefs d’État de la région représentent un signal encourageant.
Toutefois, ce dialogue devra viser à déterminer une feuille de route axée sur des objectifs concrets, définis de commun accord avec l’ensemble de la classe politique et de la société civile du Burkina. Le succès de cette démarche dépendra de la capacité du bloc régional à prendre en compte les réalités nationales uniques du Burkina, au-delà des postures de principe.
Ornella Moderan, cheffe de Programme et Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal, Programme Sahel, ISS Bamako
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Crédit photo : OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
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