Après le coup d’État au Burkina, quelles priorités sécuritaires pour la nouvelle transition ?

Face à la menace extrémiste, il est essentiel de renforcer la cohésion de l’armée en poursuivant la réforme de l’appareil de sécurité.

Alors que l’insécurité alimentée par l’insurrection des groupes extrémistes violents au Burkina Faso ne cesse de gagner du terrain, le coup d’État opéré le 30 septembre 2022, huit mois après celui qui avait renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, a mis en lumière une profonde crise de cohésion au sein de l’appareil de sécurité, ainsi que des divergences sur la manière de gérer la transition et la crise sécuritaire.

Ceux-là mêmes qui avaient porté au pouvoir le lieutenant-colonel Damiba lui reprochent aujourd’hui d’avoir échoué à restaurer la sécurité dans le pays et dévié des idéaux du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), en adoptant une attitude conciliante envers le clan de l’ancien président Compaoré.

Ce dernier coup d’État et les tensions qui ont régné durant plus de 24 heures, faisant planer le risque d’affrontements entre les hommes loyaux au président déchu, Damiba, et ceux du nouveau président, Traoré, ont révélé l’image d’une armée divisée. Sans l’implication des leaders traditionnels, religieux et communautaires, des affrontements auraient éclaté à coup sûr, accentuant le fossé entre les unités pro-Traoré et pro-Damiba.

La situation résulte notamment de mauvaises pratiques héritées du régime de Blaise Compaoré, qui a introduit le favoritisme et le clientélisme dans l’armée pour imposer son Régiment de sécurité présidentielle (RSP) sur toutes les autres unités militaires et privilégier les officiers qui lui étaient acquis. Ces procédés, qui foulaient aux pieds les règles militaires, ont engendré des frustrations, semé les germes de l’insubordination et miné la cohésion dans la plupart des unités composant l’armée burkinabè.

Le coup d’État de septembre 2022 a mis en lumière une profonde crise de cohésion au sein de l’appareil de sécurité

Ce diagnostic au lendemain de la chute de Blaise Compaoré avait abouti, lors du Forum national sur la sécurité organisé en octobre 2017, à la recommandation d’une réforme du secteur de la sécurité (RSS). Or, cette démarche n’a pas bénéficié d’une volonté politique suffisante sous l’ancien président Kaboré, lui-même méfiant à l’égard d’une armée politisée par son prédécesseur. Les quelques mesures sectorielles prises, parfois dans l’urgence et sans cohérence globale, ont eu peu d’effet sur la restructuration de l’outil militaire.

On peut citer, par exemple, le vote d’une loi de programmation militaire en 2017, la légalisation de groupes d’autodéfense tels que les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), la constitution en 2020 des unités « cobra » dédiées à la lutte contre les groupes terroristes ou encore l’adoption d’une stratégie nationale de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent en mai 2021 et d’une politique nationale de sécurité (PNS) en octobre 2021.

L’arrivée au pouvoir du lieutenant-colonel Damiba n’a pas mis fin aux mauvaises pratiques héritées du passé. Alors qu’il avait annoncé un audit de la gouvernance interne des armées visant à améliorer leur fonctionnement, aucune suite n’a été donnée. L’enquête liée à l’attaque d’Inata en novembre 2021, au cours de laquelle 53 gendarmes avaient perdu la vie pendant qu’ils attendaient désespérément leur relève au front, n’a guère été plus fructueuse. La lumière sur le niveau de responsabilité de la hiérarchie militaire était pourtant très attendue.

Au contraire, le calvaire des habitants de Djibo, sous blocus terroriste depuis sept mois, s’est accentué et l’attaque qui a détruit, le 26 septembre dernier, le convoi de ravitaillement en route vers cette ville a été le symbole le plus manifeste de l’impuissance du gouvernement face à la situation sécuritaire et humanitaire globale. 

Les nouvelles autorités du Burkina doivent s’inscrire dans une logique de rupture avec les mauvaises pratiques

Certaines décisions liées à la réorganisation générale des forces et à leur emploi ont provoqué des tensions supplémentaires et impacté l’efficacité de la chaîne de commandement. C’est ce qui s’est notamment produit lors de la mise en place d’un Commandement des opérations du théâtre national (COTN) en février 2022, dont les liens hiérarchiques avec l’État-major général des armées n’ont pas été suffisamment clarifiés.

Les rapports se sont également tendus entre l’armée et la gendarmerie, cette dernière refusant de se soumettre à l’État-major général des armées. La marginalisation de la police nationale et des corps paramilitaires, ainsi que le confinement des forces spéciales dans des missions de protection des autorités, au lieu de leur engagement sur le front auprès des autres unités pour combattre les terroristes, ont amplifié les frustrations. Des mécontentements se sont également manifestés à la suite des dernières promotions au grade de général perçues, dans certains milieux de l’armée, comme des « cadeaux » au seul profit d’officiers du cercle amical de Damiba.

La gestion peu transparente de certaines questions, comme le choix des partenaires stratégiques, la collaboration avec les voisins et la politique de dialogue avec les groupes terroristes, parfois dissimulée sous le sceau du secret de défense, expose l’institution militaire à des rumeurs récurrentes.

L’élément déclencheur de la mutinerie du 30 septembre, qui a conduit au coup d’État, serait le versement de primes exceptionnelles aux forces spéciales proches du lieutenant-colonel Damiba, au moment où les unités combattant au front se plaignaient du retard de leur solde. L’information a mécontenté les soldats, qui se sont insurgés.

Les prochaines assises nationales offrent l’opportunité de faire de la RSS une priorité du processus de transition

La persistance de ces dysfonctionnements a rendu l’outil militaire inopérant face à des groupes armés terroristes de plus en plus organisés, entreprenants et résilients.

Alors qu’elles réaffirment leur engagement à faire de la lutte contre l’insécurité leur priorité, les nouvelles autorités du Burkina Faso doivent tirer les leçons du passé et s’inscrire dans une logique de rupture avec les mauvaises pratiques. Si la réforme de l’appareil sécuritaire n’est pas poursuivie, les espoirs de voir la sécurité se rétablir pourraient à nouveau être déçus, ce qui perpétuerait de fait le cycle d’instabilité dans le pays. 

Pour être pleinement efficace, la lutte contre les groupes terroristes doit s’accompagner de mesures urgentes visant à restaurer la cohésion, le moral et les capacités de l’armée. Dans l’immédiat, cette restauration est tributaire du retour à une gestion plus transparente de l’armée, proscrivant les injustices et autres favoritismes. Les nouveaux dirigeants devront définir et mettre en œuvre des mesures permettant de ressouder le lien social et de faire renaître l’esprit de corps, facteur indispensable pour rassembler les unités autour d’un objectif commun de lutte contre l’insécurité.

Ces mesures immédiates doivent être soutenues, à moyen et long terme, par le processus de réforme en profondeur du secteur de la sécurité, déjà entamé mais ralenti faute de volonté politique affirmée. Une meilleure structuration stratégique et opérationnelle de l’armée, clarifiant la chaîne de commandement, les liens de coordination entre les unités et leurs missions précises, repose en effet sur un cadre institutionnel cohérent.

La tenue d’assises nationales, en vue d’adopter une nouvelle charte de la transition, offre l’opportunité politique de hisser l’achèvement et la mise en œuvre de la RSS au rang des priorités de la transition. Ce choix devrait faciliter, à court terme, l’adoption de la stratégie de sécurité nationale (SSN) et de la loi portant organisation de la sécurité nationale.

Enfin, les efforts de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et des autres partenaires pour permettre une sortie de crise durable au Burkina devraient également intégrer un appui conséquent et adapté au processus de réforme de l’institution sécuritaire dans le pays. 

Fahiraman Rodrigue Koné et Hassane Koné, chercheurs principaux, Programme Sahel, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du Lac Tchad

Image : © Radio Télévision du Burkina

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