Renforcer la participation politique des femmes en Guinée
Les efforts pour retourner à l’ordre constitutionnel doivent aussi être orientés vers l'inclusion effective des femmes dans les affaires publiques.
Publié le 18 juin 2025 dans
ISS Today
Par
Aïssatou Kanté
chercheuse, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Quatre ans après le coup d'État contre le régime d’Alpha Condé, le référendum constitutionnel prévu le 21 septembre 2025 constituerait une étape majeure dans le processus de normalisation de la vie politique en Guinée. Ce scrutin représente un préalable indispensable à l’organisation et au déroulement des élections présidentielle, législatives et locales.
Si l’adoption d’une nouvelle constitution s’avère déterminante pour la stabilité post-transition, elle pourrait également contribuer à bâtir une société égalitaire et inclusive, notamment en renforçant la participation des femmes dans les affaires publiques.
Alors qu’elles représentent 52 % de la population, la présence des femmes dans les instances décisionnelles, qu’elles soient exécutives ou législatives, demeure marginale, aussi bien sous les régimes civils que militaires.
Cette réalité révèle un double paradoxe. D’une part, les transitions politiques, souvent justifiées par la promesse de réformes inclusives, tendent à reproduire les mêmes dynamiques d’exclusion, d’autre part, les mécanismes juridiques censés promouvoir l’inclusion des femmes restent davantage symboliques que réellement contraignants.
La sous-représentation des femmes illustre l’échec à traduire les cadres juridiques en réels progrès
En effet, la charte de la transition, qui prévoit un minimum de 30 % de représentation des femmes au sein du Conseil national de transition (CNT), a permis d’atteindre 30,86 % de femmes dans cet organe législatif, alors qu’elles n’étaient que 14,9 % dans la législature précédant le coup d’État. Toutefois, malgré les engagements pris, le gouvernement du Premier ministre Amadou Bah Oury ne compte que six femmes sur un total de 29 ministres, soit 10 % de moins qu’avant le coup d’État. Ce recul a suscité la déception, notamment parmi les organisations féminines qui espéraient consolider les acquis obtenus de hautes luttes.
La sous-représentation des femmes illustre l’échec à traduire les cadres juridiques en réels progrès. Ainsi, le quota de 30 % de femmes sur les listes électorales instauré en 2010 n’a jamais été respecté, son application ayant été laissée à la discrétion des acteurs politiques. Par ailleurs, la loi du 2 mai 2019 instituant la parité n’a jamais été promulguée. La coexistence de cette loi et d’un quota de 30 %, perçue comme contradictoire, a pu être une source de blocage.
L’impact limité de ces textes et initiatives, pourtant ambitieux, s’explique par l’absence de volonté politique, des lacunes dans leur application, mais aussi par des traditions patriarcales profondément ancrées et un faible taux d’alphabétisation des femmes (22 %). Pourtant, une étude d’Afrobarometer montre qu’une majorité de guinéens interrogés estiment que les femmes doivent pouvoir accéder aux fonctions politiques au même titre que les hommes. Cela, malgré les obstacles persistants, tels que les critiques et le harcèlement qu’elles subissent, parfois au sein même de leur famille.
Cette sous-représentation est le résultat de considérations sociales et culturelles qui sous-tendent les systèmes patriarcaux et inégalitaires. Les femmes sont reléguées au second rang, ce qui les conduit à percevoir la politique comme un domaine réservé aux hommes alors même qu’elles ont joué un rôle important dans l’histoire contemporaine de la Guinée.
Les régimes militaires posent un obstacle plus important à lever que les préjugés sexistes
On peut s’interroger non seulement sur la volonté politique des dirigeants, mais également sur la capacité de la société civile à exiger, dans ce contexte de transition, un véritable changement structurel en faveur d’une participation équitable des femmes. Les restrictions actuelles des libertés fondamentales et de l’espace civique freinent également leur implication dans la vie politique. Selon des interlocuteurs de l’Institut d’études et de sécurité (ISS), les régimes militaires constituent un obstacle plus important que les préjugés sexistes, ces derniers étant plus faciles à déconstruire que les blocages institutionnels.
Malgré ces difficultés, le processus de retour à l’ordre constitutionnel, qui devrait débuter avec le référendum de septembre, puis se poursuivre avec la préparation des différents scrutins, pourrait offrir l’opportunité d’instaurer des cadres juridiques substantiels et de créer des dynamiques de mobilisation face à la marginalisation des femmes dans l’espace public. Le dialogue inter-guinéen, conduit exclusivement par des femmes du 24 octobre au 15 novembre 2022, avait déjà permis de formuler des propositions concrètes pour améliorer leur participation, dont plusieurs ont été intégrées dans le projet de nouvelle constitution ainsi que dans les propositions de lois organiques.
Adopté par le CNT le 9 avril à l’issue d’une campagne de vulgarisation, le projet de nouvelle constitution institue, en son article 7, la parité hommes-femmes comme un principe fondamental, contrairement à la charte de la transition. L’adoption subséquente de lois organiques, notamment le code électoral, la loi sur la parité et celle qui encadre les partis politiques, devrait permettre d’en préciser les modalités d’application.
L’élaboration de listes électorales alternant des candidats des deux sexes et l’attribution des sièges restants aux femmes ayant obtenu les plus fortes moyennes, comme envisagé par le CNT, constituent un bon point de départ. Il en va de même pour l’autorisation des candidatures indépendantes à toutes les élections, qui offrirait une alternative aux femmes rencontrant des difficultés à être investies par un parti politique.
Il faut dépasser d’une approche quantitative pour promouvoir une participation qualitative des femmes
Ces réformes, également portées par la société civile, pourraient être complétées par un observatoire des droits des femmes, composé d'organisations féminines, chargé de suivre le parcours des textes de loi, de leur dépôt à leur adoption, afin de garantir une mise en œuvre effective des droits acquis.
Si ces initiatives peuvent contribuer à renforcer la participation des femmes dans la vie publique et à mieux prendre en compte leurs préoccupations, elles doivent s’accompagner d’une plus grande volonté politique des autorités de transition, actuelles et futures, ainsi que d’un soutien institutionnel fort. Par ailleurs, l’application rigoureuse des cadres juridiques et politiques requiert des ressources humaines, financières et opérationnelles suffisantes.
A l’occasion de la fête de l’indépendance célébrée en octobre 2024 sous le thème « La Guinéenne », le général Doumbouya a rendu visite à des « pionnières », telles que les anciennes ministres Aïcha Bah, Mariame Sow et Mariama Aribot. En parallèle, plusieurs avenues de Conakry ont été renommées en hommage à des figures féminines marquantes de l’histoire contemporaine de la Guinée, parmi lesquelles Mbalia Kamara, Hadja Mafory Bangoura, Rabiatou Saran Diallo, Saran Daraba Kaba. Ces actes, bien que symboliques, invitent à repenser en profondeur l’engagement des femmes guinéennes afin de transformer durablement les perceptions sur leur rôle dans la société.
Remédier à la marginalisation des femmes dans l’espace public implique de dépasser une approche quantitative de leur mobilisation politique, pour promouvoir une participation qualitative à l’effort de construction nationale. Faute de quoi, cette transition risquerait de reproduire, voire d’aggraver les inégalités structurelles qui maintiennent les femmes en marge de la vie politique et du développement.
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