MINUSMA/Harandane Dicko

Dans le Sahel, les terroristes transforment les drones civils en armes

L’emploi des drones kamikazes par les groupes armés constitue une nouvelle dynamique dans les conflits armés au Sahel.

À la suite des attaques contre des villes de l’ouest du Mali, le 1er juillet, le gouvernement a publié un communiqué qui révèle que les groupes terroristes ont désormais recours à des drones suicides ou kamikazes armés.

L’utilisation, à des fins militaires, de drones que l’on trouve dans le commerce est répandue dans tout le Sahel central. Les groupes séparatistes et terroristes de la région s’inspirent probablement d’autres conflits, tels que ceux de la Libye et du Moyen-Orient.

La militarisation des drones civils représente un changement des tactiques asymétriques destinée à contrer la supériorité militaire des forces armées de la région. En plus de provoquer des dégâts aux personnes et aux biens, elle suscite la peur parmi les soldats.

Depuis février, le Burkina Faso, a connu plus d’une douzaine de frappes de drones kamikazes. En mai, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) a employé des drones lors de violents assauts contre les villes de Djibo et de Diapaga dans le nord et l’est du pays.

Le Niger n’est pas exempt de ces attaques. Le 25 mai, l’État islamique dans le Grand Sahara a utilisé pour la première fois des drones kamikazes contre l’armée à Eknewan, près de la frontière malienne, tuant 64 soldats.

Quelques semaines plus tôt, le Front de libération de l’Azawad, en quête d’indépendance vis-à-vis du gouvernement central de Bamako, s’est servi de drones suicides pour attaquer un centre de commandement des forces armées maliennes et le quartier général de Wagner à Léré, au sud-ouest de Tombouctou.

Sahel central : Mali, Burkina Faso et Niger

Sahel central : Mali, Burkina Faso et Niger

 

Depuis 2022, les drones servent surtout à espionner les forces militaires et de sécurité ou à réaliser des vidéos de propagande. Toutefois, ces deux dernières années, leur modification pour le largage d’engins explosifs improvisés sur des postes militaires a pris de l’ampleur.

Cela illustre l’évolution des tactiques des groupes armés face à l’augmentation des équipements et des ressources militaires des États Sahéliens. Cette tendance expose les forces de défense et de sécurité à des risques et pourrait exacerber un conflit décennal. Elle soulève également des inquiétudes quant à la sécurité des civils dans les zones de combat, où elles sont victimes de dommages collatéraux.

En optant pour l’usage des drones kamikazes, les groupes armés emboîtent le pas aux armées sahéliennes qui ont jeté leur dévolu sur les drones militaires turcs Bayraktar Akinci et Tb2 dont l’efficacité leur a permis d’engranger des succès importants.

En septembre 2023, le GSIM a lancé des drones contre la milice d’autodéfense dogon Dan Na Ambassagou, à Bandiagara, dans la région de Mopti au Mali. Ces drones servent aussi au Burkina Faso dans la stratégie de réponse aux tranchées creusées autour des villes pour en empêcher l’accès aux terroristes en moto.

Les drones permettent des attaques à distance qui créent des dégâts et la panique

Les rebelles de l’Azawad utilisent ces engins modifiés de manière artisanale depuis juillet 2024, comme lors de la bataille de Tinzaouaten dans la région de Kidal au Mali, où ils ont infligé de lourdes pertes à l’armée malienne et à Wagner.

En septembre et octobre 2024, des drones de petite taille avaient servi à larguer des explosifs sur les troupes de Wagner stationnées à Goundam et Léré, dans la région de Tombouctou. Le 5 mai, une attaque de drones kamikazes a été tentée contre l’armée malienne à Amachache, dans la région de Kidal, près de la frontière algérienne.

Les rebelles de l’Azawad et les groupes terroristes équipent les drones de systèmes de lancement improvisés pour des frappes plus efficaces.

Ces drones civils sont d’accès facile dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Ils sont vendus dans le commerce local et sont d’usages multiples, notamment dans l’agriculture, l’évènementiel, la communication, etc. Du fait de leur petite taille, ils sont facilement dissimulables et peuvent aisément faire l'objet de trafics dans une région où les frontières sont poreuses et la coopération transfrontalière est inopérante.

Alors que les États du Sahel ont une faible capacité de contrôle et de surveillance de leurs frontières, les groupes peuvent s’en procurer à moindre prix, y fixer des charges explosives et les envoyer s’écraser sur des objectifs définis. Cela leur permet de mener des attaques à distance qui, tout en étant peu précises, causent des dégâts et peuvent semer la panique dans les troupes.

Les systèmes anti-drones sont nécessaires pour protéger les infrastructures et les civils

Face au renforcement des capacités des armées du Mali, du Burkina Faso et du Niger, les différents groupes insurgés ou terroristes pourraient ainsi recourir à des drones équipés d’engins explosifs improvisés pour atteindre des camps, des postes de contrôle ou des convois militaires. Ces cibles sont généralement exposées dans les pays sahéliens, faute de moyens efficaces de détection et de neutralisation des drones utilisés qui sont petits, très rapides et volent à basse altitude.

Cette nouvelle menace mérite une attention particulière des gouvernements du Sahel. À l’heure où les terroristes privilégient les attaques surprises, il est crucial que les forces de défense revoient leurs stratégies. Les systèmes anti-drones, bien que coûteux, sont nécessaires pour protéger les infrastructures et les civils.

Les membres de l’Alliance des États du Sahel (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont convenu le 22 mai de collaborer dans la lutte contre le terrorisme. Ils devraient envisager de prendre des mesures pour réglementer la vente et l’utilisation généralisées de drones civils dans la région.

Ils pourraient s’inspirer des dispositions de l’Arrangement de Wassenaar, qui régit l’exportation de biens et de technologies à double usage, pour réglementer la vente et l’utilisation des drones civils.

Au-delà des réponses militaires qui ont montré leurs limites dans cette guerre imposée par les groupes armés, il est utile d’adapter des solutions non cinétiques durables. L’objectif est notamment d’affaiblir les groupes armés en encourageant les défections parmi leurs combattants et de relever les nombreux défis socio-économiques qui augmentent la vulnérabilité des populations locales.

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