Quelles nouvelles stratégies pour enrayer la propagation du terrorisme ?

Les opérations de sécurité à grande échelle menées en Afrique ont négligé les zones rurales où prospère l'extrémisme violent.

La menace terroriste en Afrique n'a jamais été aussi forte. Les attaques se produisent non seulement dans les centres d'activités habituels tels que la Somalie, le nord du Nigeria et le nord du Mali, mais elles émergent également dans des zones sensibles telles que le nord du Mozambique et le Burkina Faso.

L'extrémisme violent sur le continent a plusieurs causes et il est difficile de schématiser ce phénomène complexe. Compte tenu de l'échec à endiguer sa progression lors de la dernière décennie, comment repenser les stratégies de lutte contre le terrorisme ?

Dans les principales zones d’activité des terroristes, l’usage de forces de défense et de sécurité à grande échelle est l'une des réponses les plus courantes. Un renforcement des services de police et un support aux initiatives civiles pour consolider le contrôle sécuritaire fait toutefois défaut.

Les réponses sécuritaires et militaires se diversifient, telles que la Mission de l'Union Africaine en Somalie (AMISOM), qui rassemble les forces armées régionales opérant dans un pays tiers sous la bannière de l'Union africaine (UA). Le modèle G5 Sahel et la Force multinationale mixte (FMM) constituent un autre type d’opérations qui permet la collaboration entre les pays, notamment autour de zones frontalières.

L'UA et les missions régionales doivent toutefois réussir à isoler les groupes extrémistes des zones rurales

Cependant, la situation ne semble pas s'améliorer. À l’exception de quelques opérations de ratissage, du fait de l'ancrage profond de ces forces dans des zones plus peuplées, les zones rurales sont particulièrement délaissées. La protection des villes aux dépens des zones rurales s'expliquerait par des contraintes budgétaires et apparaît comme une solution logique pour soustraire les populations de l'influence des extrémistes. Ces stratégies sont néanmoins vouées à l'échec tant qu'elles ne répondent pas à ces manquements.

Les groupes tels que l'État islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP) et Al-Shabaab menacent de recourir à la force afin de soumettre les civils à leur autorité. Ils comptent cependant sur ces mêmes civils pour, de façon continue, recruter, mobiliser de la main d’œuvre et se financer par le biais de l’impôt.

L'UA et les missions régionales doivent toutefois réussir à isoler les groupes extrémistes des zones rurales les moins peuplées et établir des programmes de stabilisation nationale à long terme pour renforcer le contrôle. Ceci démontre les limites de l'action actuelle et conduit à un clivage entre la ville et la campagne, où l’absence de l'État se ressent toujours.

La nécessité de revoir cette stratégie se fait de plus en plus pressante. Si la coordination entre les éléments civils et sécuritaires est difficile, il est peut-être judicieux d'avancer avec précaution dans les zones marquées par une présence terroriste. Une approche progressive permettrait aux zones urbaines et rurales de successivement bénéficier d’opérations de ratissage et de sécurisations plus efficaces.

En revanche, au cas où ces missions ne pourraient pas être déployées sur des larges étendues du territoire alors que les mécanismes auxiliaires non sécuritaires seraient encore à la traîne, les centaines de millions de dollars dépensés annuellement pourrait être plus utiles ailleurs.

Les groupes comptent cependant sur les civils pour recruter, mobiliser de la main d’œuvre et pour se financer par le biais de l’impôt

Un recadrage des groupes extrémistes violents peut permettre des interventions plus originales. Considérer certains acteurs simplement comme des terroristes limite la capacité d'action, alors que les considérer comme des acteurs politiques permettrait d’obtenir des résultats différents. Par exemple, compte tenu des données sur la prestation de services d'Al-Shabaab en matière de gouvernance et de justice, ne devrait-on pas les considérer comme une organisation politique qui utilise le terrorisme comme tactique ? Il est possible que l'ISWAP tente actuellement de se reconstituer sur ce modèle dans le bassin du lac Tchad.

Redéfinir les acteurs permet une action dans un contexte différent. S'il s'agit en fin de compte d'une lutte pour le pouvoir ou de rivalité politique, cela pourrait laisser place à un dialogue, comme en témoignent les négociations actuelles entre les États-Unis et les Talibans en Afghanistan. Ce n'est toutefois pas toujours (voire jamais) le cas, surtout compte tenu des facteurs idéologiques, mais cela mériterait d’être exploré, étant donné les limites des autres approches.

À la longue, les groupes extrémistes violents sont responsables de leur propre disparition. Progressivement, ils ont tendance à s’éloigner de leur message initial et à aller trop loin, surtout quand il s'agit de leurs relations avec les civils. Le défi consiste à saisir ces opportunités. Par exemple, la faction Abubakar Shekau de Boko Haram a perdu sa légitimité lorsqu'elle a pris pour cible des civils musulmans, causant la scission du mouvement et la marginalisation de ce groupe par ISWAP, qui monte en puissance.

Al-Shabaab a également outrepassé ses limites avec des attaques qui ont causé de lourdes pertes parmi les civils, à tel point que le groupe n'en a pas revendiqué la responsabilité. Le bombardement raté au carrefour de Zoobe en 2017 en est un exemple frappant. Plus de 500 personnes furent tuées dans le centre de Mogadiscio, provoquant des manifestations contre Al-Shabaab en Somalie.

Les États ont souvent laissé passer les occasions de tirer parti des erreurs des extrémistes

De tels incidents affaiblissent l'attrait du message des djihadistes et offrent aux États l'occasion d’affirmer leur importance. Cependant, le bilan des gouvernements est négligeable. Le Nigeria a fortement ignoré l'ISWAP lorsqu'il s'est séparé de Shekau, permettant ainsi au mouvement de se regrouper et de former une plus grande menace. En Somalie, les conflits internes entre Mogadiscio et les États régionaux n’ont que brièvement cessé après l'attaque de Zoobe. Les États ont souvent laissé passer les occasions de tirer parti des erreurs des extrémistes.

L'extrémisme violent touche certaines parties de l'Afrique depuis plus de 10 ans et des événements récents montrent que la situation ne s’améliore guère. Chaque contexte est particulier et il n'existe pas de solution universelle, il est donc primordial de trouver de nouvelles approches dynamiques. Autrement, il sera tout aussi difficile d'inverser la tendance de cette expansion au cours de la prochaine décennie qu’il l’a été durant la décennie précédente.

Omar S Mahmood, chercheur principal, ISS Addis-Abeba

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