Pourquoi les sanctions n'empêchent-elles pas les coups d'État en Afrique ?

Les sanctions et les suspensions de l'UA et des blocs régionaux ne sont plus aussi efficaces.

En réponse à la résurgence des coups d'État depuis 2019, l'Union africaine (UA) et les organisations économiques régionales ont pris des sanctions contre les États fautifs, principalement en les suspendant. Cependant, malgré un bilan impressionnant, la persistance des coups d'État et autres changements anticonstitutionnels de gouvernement soulève des doutes quant à leur efficacité.

Entre juin 2019 et août 2023, l'UA a suspendu l'adhésion du Soudan, du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso, du Niger et, plus récemment, du Gabon. Les blocs régionaux d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale ont pris des mesures similaires à l'encontre du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso et du Gabon. Dans 67 % des coups d'État récents, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a également imposé des sanctions économiques aux États transgresseurs.

Pour savoir si les sanctions sont efficaces, il convient d'examiner les raisons qui les motivent. Les sanctions de l'UA et des blocs régionaux visent à changer le comportement des États défaillants et à promouvoir les normes démocratiques. L’UA, par exemple, cible les gouvernements qui transgressent ses règles financières et de gouvernance ou qui ne respectent pas ses décisions et ses politiques. Depuis 2003, l'UA a suspendu tous les pays où s’est déroulé un coup d'État, à l'exception du Tchad.

Les sanctions de la CEDEAO ont des objectifs similaires, tout en créant les conditions nécessaires au rétablissement des processus constitutionnels normaux. Le bloc a suspendu trois des quatre pays actuellement en cause, à l'exception du Niger, et leur a imposé des sanctions économiques et administratives. La suspension du Gabon par la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) avait pour objectif de « rétablir rapidement l'ordre constitutionnel ».

Entre 1960 et 2019, l'UA a appliqué des sanctions contre les coups d'État avec un succès évident

Entre 1960 et 2019, l'UA a constamment appliqué des sanctions quand il y a eu des changements anticonstitutionnels de gouvernement, et en particulier des coups d'État, avec un succès évident. Deux vagues de déclin ont été observées en raison d'une politique de « tolérance zéro à l'égard des coups d'État ». D'une moyenne de 2,2 par an entre 1960 et 1989, le nombre de coups d’État a chuté à 1,6 dans les années 1990 et à 0,8 entre 2000 et 2019.

Cependant, depuis 2019, on constate leur recrudescence. De 0,8, le nombre moyen de coups d'État par an en Afrique est remonté à 1,8 en 2023. Ce chiffre est susceptible d'augmenter, plusieurs pays africains étant vulnérables aux prises de contrôle de pouvoir anticonstitutionnelles.

La troisième vague à laquelle on assiste résulte de l’échec des sanctions à empêcher les renversements répétés au Soudan, au Mali et au Burkina Faso. Elles n'ont pas non plus fait obstacle à la prise de pouvoir illégale par des soldats en Guinée, au Niger, au Tchad et au Gabon. Plusieurs de ces pays doivent encore rétablir l'ordre constitutionnel ou revenir au statu quo, alors que les putschistes sont à la tête des programmes de transition. Le dernier exemple en date est le Mali, où les élections présidentielles prévues pour février 2024 ont été reportées.

Il est donc clair que les sanctions n'ont pas réussi à changer les comportements ou à imposer le respect des normes démocratiques. Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer.

Les sanctions contre le Soudan, le Mali et le Burkina Faso n'ont pas empêché la répétition des coups d'État dans ces pays

Lors des précédentes vagues de coups d'État, l'UA a systématiquement suspendu les États défaillants, alors que, récemment, elle a fait preuve d’incohérences. L’UA a rapidement suspendu le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Gabon, mais a hésité à faire de même avec le Niger, allant à l’encontre de son Acte constitutif qui exige dans ce cas une suspension immédiate. Au Tchad, la réponse de l'UA a même créé la perplexité en ne traitant pas la situation comme un changement anticonstitutionnel de gouvernement, prétextant des risques sécuritaires.

L'UA a également gardé le silence lors des manipulations constitutionnelles pour prolonger les mandats présidentiels en Côte d'Ivoire (2016), en Guinée (2020), au Gabon (2023), au Rwanda (2023) et en République centrafricaine (2023). Le Cadre d'Ezulwini de 2009 sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement appelle l'UA à déployer des missions préventives basées sur des indicateurs d'alerte précoce lorsque de tels événements se produisent.

En les traitant différemment, l'UA a renforcé le sentiment qu'elle appliquait une politique de deux poids deux mesures. Cette attitude a sapé sa légitimité, affaibli l'effet dissuasif des sanctions et encouragé la défiance des putschistes au Mali, en Guinée et au Niger.

La CEDEAO, qui a été la plus touchée, a pris des sanctions économiques et administratives à l'encontre de tous les pays de sa région où il y a eu un renversement militaire. Mais leur efficacité a été annulée par les réactions des pays voisins. Dans le cas du Mali, certains États ont exprimé des réserves à l'égard des sanctions et ont renforcé leur coopération avec les autorités de fait du pays.

La politique de « deux poids, deux mesures » de l'UA a diminué l'effet dissuasif des sanctions

Les effets négatifs des sanctions économiques sur les moyens de subsistance au niveau local ont également limité leurs chances de réussite. Cette situation a généré une aversion généralisée à l'égard de la CEDEAO, créant un terrain fertile pour les citoyens qui ont soutenu les auteurs du coup d'État au nom du nationalisme. Le rejet populaire des mesures de la CEDEAO au Mali (2020 et 2021), en Guinée (2021) et au Niger (2023) en est un exemple.

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA doit réagir fermement aux coups d'État. Cela suppose de traiter toutes les formes de changements anticonstitutionnels de gouvernement avec le même sérieux et la même force. Le Cadre d'Ezulwini doit être minutieusement mis en œuvre et le sous-comité du CPS chargé des sanctions doit être activé afin que les mesures prises à l'encontre des États défaillants puissent être contrôlées.

Le CPS pourrait contribuer à assurer la cohérence et l'égalité de traitement dans les réponses des institutions régionales aux coups d'État. Il devrait collaborer avec elles pour veiller à ce que les sanctions soient ciblées et ne nuisent pas aux citoyens des pays touchés. Le CPS doit également s'assurer du soutien des pays voisins, afin de garantir l'application de normes et de principes collectifs plutôt que d'intérêts stratégiques individuels.

Moussa Soumahoro, chercheur, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba

Cet article a été publié pour la première fois dans le Rapport sur le CPS de l'ISS.

Image : © Ecowas – Cedeao/Twitter

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