L’avis de la CIJ sur le climat traduit la force de la jeunesse et la solidarité du Sud
La décision de la Cour internationale de justice précise les obligations des États, un précédent pour l’Afrique dans les affaires de droits humains.
En 2019, des étudiants en droit du Vanuatu, un État insulaire du Pacifique, ont dénoncé l’injustice que subissent les victimes de pollution face aux pollueurs. Le recours juridique qu’ils ont déposé devant la Cour internationale de justice (CIJ) a donné lieu à un rare acte de solidarité entre les pays du Sud et au tout premier avis de la CIJ sur le changement climatique.
Cet avis, bénéfique pour l’Afrique, est riche en enseignements sur l’action collective et la recherche de voies juridiques pour contraindre à l’action climatique.
Le 23 juillet 2025, les juges de la CIJ ont estimé que le changement climatique constituait une « menace urgente et existentielle » et que les gouvernements étaient légalement tenus de protéger le système climatique comme condition préalable au respect des droits de l’homme, et de réparer les dégâts créés.
L’avis stipule que « le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions des gaz à effet de serre – notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles – peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État. »
L’avis de la CIJ n’est pas juridiquement contraignant, mais il précise les responsabilités des États et les enjoint à réglementer le secteur privé via des mécanismes de conformité, de comptabilisation des émissions et d’atténuation des risques.
Les gouvernements doivent protéger le système climatique et remédier aux dégâts
Les États sont tenus de respecter les accords sur le changement climatique, notamment l’Accord de Paris. L’avis encourage les pays à faibles émissions — majoritaires en Afrique — à exiger des compensations ou à contraindre les pays à fortes émissions à prendre des mesures fermes. Il pourrait modifier la donne sur le changement climatique en Afrique et symbolise un triomphe de l’action collective des pays à faible revenu et vulnérables au changement climatique.
La campagne de 2019 des étudiants des îles du Pacifique en réaction au changement climatique enjoignait les dirigeants à porter les droits de l’homme et le changement climatique devant la CIJ.
En 2021, le Vanuatu a annoncé qu’il demanderait un avis de la CIJ sur le changement climatique. Pendant 18 mois, le pays a sollicité l’appui des membres des Nations unies. En 2023, à la suite de la saisie de l’Assemblée générale des Nations unies par 132 co-parrains, les 193 États membres ont convenu de saisir la Cour.
L’inaction en matière de climat constitue désormais une question de droit international. La campagne du Vanuatu atteste également que le plaidoyer collectif des jeunes peut changer les règles du jeu.
Depuis des années, les jeunes mènent des campagnes lors des conférences des Nations unies et font pression sur les décideurs politiques. L’avis de la CIJ réaffirme que les contentieux sont un instrument utile pour une jeunesse qui entend protéger ses droits. La jeunesse africaine est passée à l’action à deux reprises.
L’avis de la CIJ montre que le plaidoyer de la jeunesse peut impulser le changement
En 2024, la jeunesse sud-africaine a mené la campagne #CancelCoal, à laquelle participait l’Alliance africaine pour le climat. La campagne a remporté un procès historique devant la Haute Cour qui a annulé les projets de construction d’une centrale au charbon de 1 500 MW. Le juge a estimé que les droits de l’enfant étaient lésés, notamment le droit à un environnement sain.
En 2012, un groupe d’enfants mineurs en Ouganda a déposé une plainte dans l’affaire Mbabazi et autres contre le procureur général et l’autorité nationale de gestion de l’environnement pour avoir omis de lutter contre le changement climatique. Treize ans plus tard, l’affaire n’est toujours pas conclue.
L’avis de la CIJ rend légitimes les demandes des jeunes africains auprès de leurs gouvernements, en fournissant un point de convergence pour encadrer les litiges climatiques. Ces jeunes devraient mener des plaidoyers stratégiques et créer des coalitions transnationales.
L’archipel du Vanuatu compte environ 300 000 habitants. L’élévation du niveau de la mer dégrade ses territoires et ses terres arables. Malgré sa dimension, le pays est à l’avant-garde de la justice climatique depuis des décennies.
Durant la première réunion de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 1991, le Vanuatu a appelé en faveur d’un mécanisme juridique pour les pays qui contribuent le moins au changement climatique et sont les plus touchés. Les États insulaires en développement d’Afrique, du Pacifique et des Caraïbes ont collaboré pour maximiser leur influence.
Il faut explorer les possibilités pour les pays africains de demander réparation
L’avis de la CIJ est important pour l’Afrique. Bien que le continent ne contribue qu’à hauteur de 3 à 4 % aux émissions historiques, il en subit les pires conséquences notamment la perte de biodiversité, la pénurie d’eau, la réduction de la production alimentaire, les décès et le ralentissement économique. En fin 2024, l’on comptait 9,8 millions de déplacés internes en raison d’événements liés au climat, principalement en Afrique.
L’avis de la CIJ devrait encourager les acteurs africains à mettre en avant cette irrégularité comme étant une question de justice climatique qui exige une responsabilité et des réparations mondiales. Ils devraient également s’en servir pour obtenir un financement plus équitable lors des négociations sur le climat.
En considérant le changement climatique comme une question de droits de l’homme, la CIJ préconise de renforcer les lois sur le climat. Les systèmes juridiques africains ont peu d’intérêt pour le changement climatique en raison de la rareté des précédents, des retards dans les procédures et des moyens limités.
En mai 2025, une coalition de juristes africains et de groupes de la société civile a sollicité un avis consultatif à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples sur les obligations des États face à l’urgence climatique.
L’affaire de la CIJ est la plus importante à ce jour, avec 91 déclarations écrites et 107 déclarations orales. Le Cameroun, le Burkina Faso, le Ghana, la Namibie et le Kenya ont fait valoir que le changement climatique est préjudiciable aux droits de l’homme. Les émetteurs historiques de gaz à effet de serre et les États pétroliers ont réfuté l’existence de liens entre les droits de l’homme et les impacts climatiques et plaidé pour que des traités comme l’Accord de Paris régissent le changement climatique.
L’Afrique du Sud, qui est le plus gros pollueur d’Afrique avec 7 % des émissions mondiales, s’est également opposée à une approche fondée sur les droits, affirmant que ses vulnérabilités climatiques et la complexité de sa situation socio-économique constituaient pour elle une charge injuste. La Chine et l’Inde ont abondé dans ce sens pour éviter de contribuer aux fonds climatiques, qui ont été ensuite utilisés par des pays comme les États-Unis pour se retirer des accords sur le climat.
Il reste à voir quel sera l’application de l’avis de la CIJ et comment les États réagiront. Il restera à explorer les possibilités pour les pays africains d’exiger des réparations ou l’annulation de leur dette.
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.