Yanick Folly / AFP

Collaborer pour freiner la propagation du terrorisme en Afrique de l'Ouest

L'AES et la CEDEAO doivent surmonter leur méfiance réciproque pour faciliter le partage de renseignements et coopérer en matière de sécurité.

Le 8 janvier 2025, des combattants du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) ont attaqué une position fortifiée de l’opération anti-terroriste Mirador dans le nord du Bénin, au point triple dans le Parc W. Les médias ont fait état d’au moins 30 morts dans les rangs des forces armées béninoises, la perte la plus lourde qu’elles ont subie jusqu’alors.

Cette attaque rappelle celle du 20 juillet 2024 contre un poste avancé de l'armée togolaise à Kpekpakandi au nord du Togo et celle du 2 octobre 2024 contre des militaires togolais qui surveillaient la construction de tranchées le long de la frontière avec le Burkina Faso. La première aurait fait au moins une dizaine de morts au sein des forces armées togolaises et la seconde, la plus meurtrière survenue au Togo, a coûté la vie à neuf militaires et 10 civils.

Si la situation diffère d’un pays à l’autre, l’activisme de ces groupes au Sahel depuis 2012, puis au Bénin et au Togo depuis 2021, rappelle qu’aucun pays n’est à l’abri. Selon l'indice mondial du terrorisme publié le 5 mars, le Sahel en reste l'épicentre mondial, avec plus de la moitié des décès liés au terrorisme en 2024.

En ce qui concerne les États côtiers d'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire a été le pays à avoir été touché en 2016, à Grand-Bassam. Depuis fin 2021, une relative accalmie s’est installée après deux ans d'attaques répétées dans sa partie nord. Cela ne signifie toutefois pas que la menace a disparu. La Côte d'Ivoire partage une longue frontière avec le Mali et le Burkina Faso, deux pays où la sécurité ne cesse de se détériorer. 

Le Ghana est pour l'instant le seul pays à n’avoir pas officiellement enregistré d'attaques sur son territoire. Cependant, plusieurs incidents ont été notés à sa frontière avec le Burkina Faso. De plus, il souffre des mêmes vulnérabilités que celles exploitées par les groupes dans d’autres pays, telles que les conflits de chefferie, les rivalités foncières, un mécontentement croissant à l'égard de l'État ou diverses activités illicites comme l’orpaillage clandestin.

Face à la nature régionale de la menace terroriste, les pays de la CEDEAO et ceux de l'AES doivent collaborer

Par ailleurs, des recherches menées par l’Institut d’Études de sécurité (ISS) au Bénin et en Côte d’Ivoire ont révélé, par exemple, que le bétail volé au Sahel ou dans des pays côtiers ou l’or exploité de manière clandestine financent certains groupes au Ghana. Ceux-ci recrutent également des Ghanéens, comme l’ISS a pu le documenter.

Les travaux de l’ISS au Bénin et au Togo, et avant eux dans les trois pays du Liptako Gourma  (Burkina, Mali et Niger), soulignent l’importance d’éviter d'appréhender cette menace sous le seul angle des attaques qui ne sont que la partie visible du phénomène. En effet, les sources d’approvisionnement, de financement et de recrutement des groupes vont bien au-delà des zones où l’insécurité est visible.

Plusieurs dynamiques interdépendantes ont contribué à l’expansion du phénomène au-delà des frontières des pays sahéliens. Il s’agit pour ces groupes de déborder les mécanismes militaires et sécuritaires des États et de leurs partenaires pour étendre leurs zones d’opération et leurs sources d’approvisionnement (en ressources humaines, opérationnelles, financières) et  chercher de nouvelles zones de repli plus sûres.

À cet effet, les parcs et les forêts, tels que ceux du Complexe W-Arly-Pendjari, à cheval entre le Niger, le Burkina Faso et le Bénin, le Parc national de la Comoé en Côte d’Ivoire et le Complexe Oti-Kéran-Mandouri au Togo, offrent des conditions idéales (voir la carte).

Parcs et forêts exposés aux activités terroristes, Afrique de l'Ouest

Parcs et forêts exposés aux activités terroristes, Afrique de l'Ouest

Le contrôle et la sécurisation de ces zones boisées sont des défis pour les États. Leur étendue et leur nature transfrontalière rendent la surveillance aérienne difficile et facilitent l'accès des groupes aux diverses ressources dont elles regorgent.

Enfin, la porosité des frontières et l'absence de coopération, sur fond de divergences géostratégiques, entre les pays de l’Alliance du Sahel (AES), qui regroupe le Burkina, le Mali et le Niger, et ceux de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) permettent aux groupes de s’étendre. Elles suscitent une méfiance entre les pays qui ne facilite ni le partage de renseignements, pourtant essentiel pour déjouer les attaques, ni la coordination des opérations militaires, pour éviter qu’ils soient utilisés comme zone de repli.

L’absence d'une coopération régionale cohérente pourrait pousser certains pays de la CEDEAO à privilégier une collaboration bilatérale avec leurs voisins de l’AES pour des raisons sécuritaires et économiques. Ces initiatives sont nécessaires pour enrayer la tendance expansionniste des groupes. Toutefois, au regard des crises multidimensionnelles que la région traverse et de la couverture géographique de la menace, ces initiatives doivent tenter aussi de s’inscrire dans un cadre régional.

En mars 2024, les pays de l’AES ont annoncé le déploiement d’une force antiterroriste conjointe pour répondre à l'insécurité dans le Liptako Gourma. Toutefois, il n’est pas question pour l’instant de l'étendre vers les zones frontalières des pays côtiers.

La CEDEAO et l'AES pourraient utiliser les canaux de communication existants pour relancer le dialogue

Dans un contexte où les ressources des États sont limitées, les pays de l’AES et leurs voisins côtiers doivent explorer les cadres adaptés pour une collaboration sécuritaire qui prenne en compte leurs zones frontalières tout en évitant de proposer une solution compartimentée et de multiplier les cadres ad hoc.

Lors de la 43e réunion des chefs d’état-major de la CEDEAO, qui s’est tenue du 11 au 13 mars 2025 à Abuja, la CEDEAO a rappelé l’importance d'une action collective pour répondre aux défis sécuritaires multiples de la région. À cet effet, les pays de l’AES et de la CEDEAO pourraient capitaliser sur les canaux de communication existants pour relancer le dialogue et matérialiser leur volonté partagée de coopérer.

Le Togo, le Sénégal et la Sierra Leone ont été désignés par la CEDEAO en juillet 2024 pour négocier avec les pays de l’AES. Le Togo a d’ailleurs joué un rôle dans la libération des soldats ivoiriens détenus au Mali et est le seul pays côtier à avoir participé aux manœuvres militaires conjointes des armées de l'AES et du Tchad de mai à juin 2024 au Niger.

Par ailleurs, le Sénégal et le Ghana ont nommé des envoyés spéciaux pour le Sahel, respectivement en juillet 2024 et en janvier 2025. Les présidents sénégalais et ghanéen ont également effectué des visites d’État dans les pays de l’AES avec comme objectif affiché la recherche de solutions pour rapprocher la CEDEAO et l'AES. Toutefois, le succès de ces efforts dépendra de la capacité des deux organisations à parvenir à un compromis sur le maintien du dialogue et de la coordination des réponses en matière de sécurité et de développement.

La zone des trois frontières entre le Bénin, le Niger et le Nigeria ne doit pas devenir un nouvel épicentre du terrorisme

La collaboration régionale est également nécessaire pour répondre à la menace sécuritaire du groupe Lakurawa qui opère depuis au moins 2016 dans le nord-ouest du Nigeria en proie au banditisme et à la criminalité. Initialement constitué comme un groupe d'autodéfense, il a été qualifié cette année par le gouvernement nigérian de groupe terroriste. Il opère également dans certaines parties du Niger et a été accusé d’avoir saboté l'oléoduc Niger-Bénin.

Ces pays doivent travailler ensemble pour éviter que la zone des trois frontières entre le Bénin, le Niger et le Nigeria ne devienne un nouvel épicentre du terrorisme en Afrique de l’Ouest.

Les pays affectés doivent également tirer profit des expériences de leurs homologues africains qui ont affronté le même phénomène comme l’Algérie, la Mauritanie, le Nigeria et le Niger, et qui ont mis en place des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration. Malgré leurs limites, ces initiatives ont permis de démobiliser des membres de ces groupes, contribuant ainsi à les affaiblir.

Ils doivent continuer à investir dans des réponses multidimensionnelles combinant approches sécuritaires et non-sécuritaires et dont l'efficacité doit être évaluée en temps réel pour les adapter à une menace en constante évolution. Enfin, il y a encore un travail important à faire sur les multiples manières d’affaiblir les groupes en s’attaquant à leurs chaînes d’approvisionnement, de financement et de recrutement.

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