Direction de la Communication de la Présidence du Faso

Le Sénégal peut-il rapprocher la CEDEAO et les États de l'AES ?

Les nouvelles autorités sénégalaises, compte tenu de leur position favorable auprès des pays de l'Alliance, pourraient contribuer à résoudre la crise régionale

Depuis sa prise de fonction le 2 avril, le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a été particulièrement actif sur le plan diplomatique en Afrique de l'Ouest. En moins de deux mois, il a effectué deux séries de visites qui s'inscrivent dans une tradition diplomatique, reposant sur les principes de bon voisinage et de l'attachement à l'intégration régionale.

Ses premiers voyages en Mauritanie, en Gambie, en Guinée-Bissau, en Guinée et au Cap -Vert visent à renforcer la coopération avec les pays du voisinage immédiat. Les visites en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Ghana, au Mali et au Burkina Faso semblent s’inscrire dans la dynamique de réconciliation que le Sénégal veut impulser entre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et ses trois pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES).

L’Alliance est une organisation de défense commune créée en septembre dernier par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, pays qui ont annoncé, le 28 janvier, leur retrait de la CEDEAO. Cette annonce a suscité un choc et des interrogations sur l’opportunité de cet acte et ses conséquences potentielles aussi bien sur l'organisation régionale, que sur les trois pays concernés. Selon l’article 91 du Traité révisé de la CEDEAO, le retrait ne deviendrait effectif que douze mois après la notification officielle.

A sept mois de la fin de cette période, cette crise devrait être résolue. Dans le cas contraire, elle risque de remettre en cause les acquis de l’intégration et d'affaiblir davantage la région face aux menaces sécuritaires transnationales et aux enjeux géopolitiques.

Le Sénégal doit s'assurer que les dirigeants de la CEDEAO et de l’AES acceptent le compromis

La CEDEAO, malgré les difficultés qu'elle traverse, est un outil indispensable qui doit être préservé. La libre circulation des personnes et des biens est un acquis majeur qui distingue l’Afrique de l’Ouest des autres régions du continent. L’organisation communautaire a joué un rôle important dans le rétablissement de la paix et de la sécurité ainsi que dans la promotion du processus de démocratisation de l’Afrique de l’Ouest. Elle a contribué à la résolution des guerres civiles au Libéria, en Sierra Léone, en Guinée Bissau (dans les années 1990), en Côte d’Ivoire (2002 - 2010), et en Gambie (2016) grâce à la menace d’une intervention militaire.

Les nouvelles autorités sénégalaises, s’appuyant sur les efforts déjà consentis par des États de la région, sont bien placées pour apporter une contribution utile, au regard du sentiment favorable dont elles jouissent auprès des dirigeants des pays de l'AES. Bénéficiant d’une légitimité acquise par les élections, elles n’entretiennent pas, contrairement aux autres dirigeants de la région, des relations difficiles avec les États de l’AES. En outre, il existe une convergence de vues sur des questions liées au respect de la souveraineté des États africains. Les étapes de Bamako et de Ouagadougou du 30 mai dernier semblent avoir permis au président Faye de poser les jalons d’une initiative de médiation avec les pays de l’AES.

Pour persuader les États de l’AES de reconsidérer leur décision de retrait, la diplomatie sénégalaise doit d’abord s’assurer que les dirigeants de la CEDEAO ainsi que ceux des États membres de l’Alliance sont prêts à faire des compromis. Pour l’instant, les dirigeants de la CEDEAO semblent conscients des conséquences éventuelles d’un retrait de ces trois pays sur le processus d’intégration régionale, tandis que ceux de l’AES semblent concentrés sur le renforcement de l’Alliance. L’avant-projet de texte de création d’une confédération, finalisé en mai 2024, serait en attente de validation par les trois chefs d’États.

Leur décision de se retirer semble être mise à profit par les trois États pour se soustraire aux exigences statutaires de l’organisation pour des transitions courtes et de non-candidature des responsables des transitions. Les élections présidentielles prévues en 2024 au Mali et au Burkina Faso ont été reportées sine die et la durée des transitions prolongée, avec l’adoption au Burkina d’une charte révisée qui autorise explicitement le chef de la transition de se présenter aux élections. Au Niger, aucun chronogramme n’a encore été établi depuis le renversement du président Mohamed Bazoum en juillet 2023.

Le Sénégal devrait plaider en faveur d’un appui plus significatif de la CEDEAO à la lutte contre le terrorisme

Malgré la posture, pour le moment rigide, des pays de l’AES, le Sénégal ne doit pas cesser d’œuvrer pour rétablir le dialogue entre la CEDEAO et ces trois pays, et faciliter la recherche d’une solution régionale aux questions à l'origine de la rupture.

En plus des reprochent qu’ils lui font dans sa gestion des coups d’État, les dirigeants des États de l’AES indexent la CEDEAO pour son manque d’assistance dans leur lutte contre le terrorisme. S’il est vrai que l’organisation a apporté un soutien au Mali à travers le déploiement de contingents au sein de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) en 2013, sa contribution à la lutte contre le cycle d’insécurité actuel est limitée. Les États de l’AES ayant comme priorité la lutte contre les groupes extrémistes violents, le Sénégal doit plaider auprès de la CEDEAO pour qu’elle fournisse un appui matériel plus significatif, aligné sur leurs besoins réels.

La volonté affichée des régimes militaires de rester de façon durable au pouvoir, en faisant fi de leurs engagements initiaux de diriger des transitions de courte durée est de plus en plus remise en cause par les acteurs politiques et de la société civile. Cette situation combinée à un rétrécissement de l’espace public et des performances économiques peu reluisantes constitue un risque pour la stabilité des pays et des régimes militaires eux-mêmes.

Afin d’éviter des transitions à durée illimitée, le président Faye devrait obtenir de la CEDEAO qu’elle accepte une prolongation raisonnable des transitions en cours, y compris au Niger, avec des indicateurs clairs pour les étapes à suivre. Un compromis pourrait ensuite être trouvé avec les pays de l’AES, avec le principe d’un accompagnement de la CEDEAO, afin qu’ils atteignent les objectifs qu’ils se seront fixés dans ce nouveau chronogramme consensuel. Ceci sous-entendrait l’ouverture de l’espace public pour une participation inclusive de l’ensemble des acteurs sociopolitiques.

Les efforts de médiation avec les pays de l'AES pourraient accélérer la réforme de la CEDEAO

Les efforts de médiation et de réconciliation avec les pays de l’AES pourraient également être l’occasion d'accélérer le processus de réforme de l’organisation régionale. Depuis au moins une dizaine d’années, l’adoption du protocole amendé avec l'interdiction des manipulations constitutionnelles et la limitation des mandats, entre autres, a été bloquée par certains dirigeants.

Les nouvelles autorités sénégalaises, qui ont marqué leur volonté de réformer la CEDEAO, peuvent persuader les autres dirigeants d’acter la révision du protocole révisé. Son adoption serait un préalable à la finalisation du processus de réforme plus globale de l'organisation régionale. Cette réforme devrait être orientée vers le renforcement des capacités politiques, institutionnelles et financières de la CEDEAO à prévenir les coups d’État et à répondre aux aspirations démocratiques et économiques des populations. Elle représenterait en outre l’opportunité de repenser la réponse aux changements anticonstitutionnels de gouvernements en tirant les enseignements des crises actuelles, surtout celle au Niger.

Le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, s’il devait se matérialiser, remettrait en cause des avancées majeures réalisées durant les 49 ans d’existence de l’organisation. Les pays de l’AES, revenant sur leur notification de retrait de la CEDEAO, pourraient donc contribuer à rectifier les faiblesses pour que l’organisation communautaire tire des enseignements et sorte plus forte de cette crise.

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Cet article a été publié avec le soutien du Projet d’Architecture et d’Opérations de Paix et de Sécurité (EPSAO) de la CEDEAO, cofinancé par l’Union européenne (UE) et le Ministère fédéral allemand du Développement économique et de la Coopération (BMZ), et mis en oeuvre par la GIZ. Les idées exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UE, du BMZ et de la GIZ. Le SSI remercie les membres du Forum de partenariat du SSI pour leur soutien : la Fondation Hanns Seidel, l’Union européenne, l’Open Society Foundations et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suède.
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