L'Afrique de l'Ouest doit s’approprier la lutte contre la piraterie
Forts de leur expérience, les États du golfe de Guinée disposent des atouts nécessaires pour renforcer leur autonomie en matière de sécurité maritime.
Publié le 29 septembre 2025 dans
ISS Today
Par
La piraterie dans le golfe de Guinée est à son niveau le plus bas depuis 30 ans, mais chaque attaque laisse dans son sillage un lourd tribut matériel et humain.
Plutôt qu’une multitude de déploiements épars et d’exercices sous tutelle étrangère, une riposte régionale intégrée et durable s’impose face à une menace en constante évolution.
Les efforts de coopération antérieurs ont fait leurs preuves. En 2020, 10 des 12 États riverains du golfe de Guinée ont lancé au moins une riposte navale. Depuis, les marines de la région poursuivent le déploiement de navires de guerre et d’équipes d’abordage, tout en renforçant les mécanismes de partage d'informations pour contrer la piraterie et les agressions maritimes.
Selon les récentes évaluations et analyses régionales des Nations unies (ONU), ces États mobilisent désormais leurs marines à une échelle inimaginable il y a dix ans, traduisant progressivement leur volonté politique en actions concrètes.
Ce tournant remonte à 2012, lorsque l'ONU a qualifié la flambée inquiétante de la criminalité maritime en Afrique de l'Ouest de « menace évidente », soulignant le lien entre piraterie, vol de pétrole et trafic de stupéfiants et d'armes. Le président du Bénin de l'époque, Thomas Boni Yayi, avait plaidé pour une intervention internationale urgente, alertant sur les conséquences désastreuses de l’inaction pour les économies régionales.
La mission d'évaluation des Nations unies qui en avait résulté avait souligné l'efficacité des patrouilles conjointes Nigeria-Bénin comme solution provisoire, et appelé à une stratégie régionale durable combinant coordination solide, législation harmonisée et ressources pérennes.
Zones maritimes du golfe de Guinée
|
En 2024, les progrès étaient tangibles : les États de la zone E ont lancé l'opération « Safe Domain » en octobre 2023, la zone F assure des patrouilles conjointes depuis 2021 et les chefs d'état-major des marines et garde-côtes de la zone G se sont réunis récemment.
La Présence maritime coordonnée de l'Union européenne assure actuellement la rotation des forces de sécurité, comme le patrouilleur espagnol Meteoro, renforçant ainsi les patrouilles régionales et contribuant à la dissuasion. Toutefois, cela ne suffit pas à constituer une réponse sécuritaire intégrée, locale et équitablement partagée.
La transformation des cadres régionaux en patrouilles opérationnelles capables de s’attaquer de manière décisive à la piraterie, aux enlèvements, aux trafics et à la pêche illégale endémique constitue un défi supplémentaire. Leur succès repose sur leur capacité à détecter rapidement les menaces maritimes et à déployer sans délai des navires pour intercepter, embarquer et, si nécessaire, arrêter pirates et trafiquants.
Les infrastructures de sécurité maritime en Afrique de l'Ouest restent fortement tributaires de partenaires extérieurs, ce qui a contribué à la multiplication d’accords maritimes, de centres de communication et d’exercices multinationaux dans la région au cours de la dernière décennie.
Dans le golfe de Guinée, les États-Unis ont organisé l'exercice Obangame Express tandis que le Grand African Nemo est prévu pour le second semestre 2025, et que l'Union africaine (UA) prépare enfin l’exercice Amani Africa III après plusieurs retards.
Réussir l'opération suppose identifier les menaces maritimes et déployer rapidement des patrouilles navales
La Force opérationnelle maritime combinée (CMTF) prévue dans le golfe de Guinée pourrait mener des patrouilles plus intégrées, comme l’indique le communiqué du Conseil de paix et de sécurité de l'UA d'avril 2025, marquant une évolution par rapport aux patrouilles ad hoc par zone instaurées dans le cadre du Code de conduite de Yaoundé sur la sécurité maritime.
Ces dispositions antérieures (dans les zones E, F et G) reposaient sur une coordination lâche et un commandement national, sans quartier général ni force permanente. En revanche, la CMTF est conçue comme une structure unique intégrée, avec un quartier général à Lagos, au Nigeria, un concept d'opérations convenu et un mandat lui permettant de mobiliser rapidement les ressources navales et côtières régionales lors des interventions transfrontalières.
Cette désignation officielle du commandement, le soutien juridique et technique ainsi que le projet de force multinationale déployable constituent un niveau d'institutionnalisation sans précédent, et pourtant quelques défis persistent.
Premièrement, l’évolution des priorités des États-Unis et de l'Union européenne en matière de politique étrangère suscite des inquiétudes quant au financement durable et à l’assistance technique.
Parmi les principaux outils de collecte et de partage d’informations maritimes figurent SeaVision et le Système régional d’information de l’architecture de Yaoundé (YARIS) : le premier, développé dans le cadre d’une initiative mondiale américaine, bénéficie de capacités permanentes et externes ; le second est adapté à la région grâce au soutien européen.
Les infrastructures de sécurité maritime ouest-africaines restent fortement dépendantes de partenaires extérieurs
Sans appropriation locale ni budgets nationaux, ces technologies risquent de s’éroder lorsque les cycles de financement prendront fin. Cela suppose des investissements publics dans la formation d’opérateurs, les infrastructures et l’intégration des systèmes. Chaque État devra, à terme, financer la maintenance du YARIS, son interconnexion avec les systèmes d’identification automatique, la surveillance des navires, les communications par satellite ainsi que les analystes et les opérateurs.
Deuxièmement, la Chine, l'Inde et la Russie ont montré qu'elles étaient prêtes à déployer des moyens navals dans la région pour servir leurs intérêts, ce qui pourrait intensifier la concurrence géopolitique. Leurs visions divergentes de la gouvernance maritime pourraient compliquer les initiatives existantes.
Troisièmement, bien que le Centre de coordination interrégional basé à Yaoundé ait élargi son mandat pour inclure le partage d'informations et la facilitation de cadres opérationnels communs, il ne commande pas directement les unités navales. Les arrestations, les interdictions et les détentions restent du ressort des forces nationales et des centres de coordination maritime multinationaux. Cela met en évidence une lacune persistante dans l'application de la loi maritime et illustre pourquoi le code de conduite de Yaoundé, qui sous-tend le Centre de coordination interrégional, doit être révisé de toute urgence.
Conformément aux appels lancés par l'ONU et l'UA en faveur d'un système multilatéral redynamisé et fondé sur des cadres régionaux solides, le golfe de Guinée doit adopter une coopération flexible et financer intégralement les mesures de sécurité maritime de la région.
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.