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Borno : un modèle de réintégration des ex-combattants de Boko Haram

Dans l'État de Borno, au Nigeria, une stratégie ancrée localement et plus humaine montre des résultats tangibles.

Le décès d’Abubakar Shekau en 2021 a déclenché une vague de départs au sein de la faction de Boko Haram qu’il dirigeait, le Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Dans l’État de Borno, dans le nord-est du Nigeria, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants affiliés au groupe ont commencé à se rendre à l’armée dans la région du bassin du lac Tchad.

Les premiers à se rendre étaient pour l’essentiel des non-combattants. Cependant, les combattants et les membres de l’autre faction de Boko Haram, la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique, ont également été incités à déserter à la suite de campagnes médiatiques, de largages de tracts, de négociations ciblées et d’affrontements entre factions. Selon les registres du gouvernement de Borno, environ 160 000 personnes avaient quitté les deux groupes en 2024.

La participation officielle de l’État de Borno à la gestion des déserteurs s’est d’abord limitée à l’accueil et à la réintégration des anciens combattants réhabilités dans le cadre de l’Opération Safe Corridor du gouvernement fédéral, un programme de déradicalisation géré par l’armée.

Cependant, compte tenu de l’ampleur et de la spontanéité des départs après la mort de Shekau, l’État de Borno s’est davantage impliqué. Le modèle de Borno a été présenté comme la contribution non militaire de l’État aux opérations de sécurité du gouvernement fédéral et de la Force multinationale mixte régionale.

État de Borno, bassin du lac Tchad


 

L’État a négocié deux niveaux d’accord avec ceux qui avaient quitté Boko Haram. Tout d’abord, il leur a assuré qu’ils ne seraient pas emmenés au tristement célèbre Centre d’enquête mixte de la caserne de Giwa à Maiduguri, un centre de transit de l’Opération Safe Corridor connu pour ses techniques d’interrogatoire musclées. De plus, il a permis aux familles de rester réunies dans des camps réservés aux déserteurs. (Le camp de la caserne de Giwa n’accueille que des anciens combattants de sexe masculin.)

Deuxièmement, l’État de Borno a conclu un accord avec l’armée qui permettait aux personnes qui se rendaient volontairement d’être transférées vers le programme de l’État, tandis que les captifs étaient pris en charge par l’Opération Safe Corridor.

Depuis des décennies, les Nations unies reconnaissent l’importance du défi que représente l’intégration économique et sociale des anciens combattants. L’expérience de l’Afrique, entre autres, confirme à quel point le désarmement et la réintégration peuvent être difficiles. Le processus est mis à mal par un manque de coordination, une appropriation minimale à l’échelle locale, un manque de transparence et une vision à court-terme, autant de problèmes que rencontre aussi le modèle de Borno.

Les nouvelles recherches du Global Public Policy Institute (GPPi) et de l’Institut d’études de sécurité (ISS) sur ce modèle offrent des informations précieuses pour surmonter ces défis.

Le caractère humain et volontaire du modèle est la clé de son succès. La militarisation a longtemps été la réponse dominante à Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, mais l’insurrection est tenace et prend de l’ampleur. L’abandon par le modèle de Borno des approches militarisées de l’Opération Safe Corridor constitue une avancée positive cruciale.

Les garanties d’inclusivité et de dignité ont réduit les obstacles à la désertion

Il convient de noter que le modèle de Borno se refuse d’utiliser des installations controversées telles que le Centre d’enquête mixte de la caserne de Giwa, dont Amnesty International et d’autres organisations ont recensé et condamné les détentions arbitraires et les techniques d’interrogatoire abusives. Les garanties d’inclusivité et de dignité du processus ont permis de réduire les obstacles à la désertion.

Le maintien des familles ensemble a cependant un inconvénient. Il peut entraîner un rapprochement de fait avec d’anciens ravisseurs ou agresseurs, car de nombreuses femmes et filles ont été kidnappées et mariées de force à des combattants. En pratique, le modèle de Borno pourrait perpétuer les abus sous couvert d’inclusivité. C’est pourquoi il est indispensable de mettre en place une évaluation appropriée des risques et des politiques centrées sur les rescapés.

Un autre facteur est à l’origine de la réussite du modèle de Borno. Ce dernier repose sur l’appropriation et la dynamique à l’échelle locale, ce qui permet des boucles de rétroaction rapides et crée des opportunités d’adaptation et d’amélioration. Cela se traduit par une évolution de la collaboration des responsables du programme qui, auparavant, n’interagissaient avec les communautés que peu de temps avant la réintégration des déserteurs, et qui, dorénavant, organisent des réunions bihebdomadaires avec les membres de la communauté et les anciens membres de Boko Haram.

Les administrateurs du programme affirment que ce changement réduit la méfiance à l’égard des déserteurs, favorise le dialogue et donne aux communautés le temps de poser des questions et de se préparer au retour des anciens insurgés. Dans plusieurs localités autrefois hostiles aux déserteurs, une acceptation prudente a remplacé la peur. Un habitant a déclaré aux chercheurs du GPPi et de l’ISS : « Ce sont nos enfants [...] s’ils ont compris qu’ils avaient tort et qu’ils peuvent revenir, nous les acceptons ».

Une précédente étude de l’ISS soutient que les programmes échouent parce que « les communautés ne sont pas placées au cœur des processus de réintégration, même si elles facilitent le désengagement et constituent le premier point de contact pour les anciens membres de Boko Haram ».

Le modèle de Borno peine à fournir un soutien économique suffisant aux déserteurs

Malgré ses succès, le modèle de Borno est confronté à des défis persistants, notamment l’insuffisance d’un soutien économique aux déserteurs. De nombreux anciens membres de Boko Haram, interrogés en mars et en juin 2025, ont déclaré avoir quitté le groupe avec peu de compétences professionnelles, peu de capital de départ et aucun outil pour gagner leur vie.

L’État a mis en place des formations professionnelles dans les camps dans les domaines de la menuiserie, de la couture, de la soudure et de la mécanique. Il verse également une aide unique de 100 000 nairas (environ 67 dollars), mais qui ne permet pas de recommencer une nouvelle vie après des années passées dans la brousse.

La faiblesse des fonds disponibles pour les programmes de subsistance risque de compromettre les acquis du modèle. Les administrateurs du programme ont déclaré craindre que le ralentissement des départs soit en partie dû à des rumeurs affirmant que les promesses d’aide économique n’étaient pas tenues.

Le manque de suivi des déserteurs est un autre point faible. Actuellement, seules quelques personnes sont concernées dans le cadre d’une approche basée sur des études de cas, plutôt que d’un suivi systématique de tous les inscrits et des tendances observées. Un système de suivi post-libération solide et fondé sur des données pourrait améliorer la sélection et la programmation des camps, avec de meilleurs résultats à long terme, non seulement à Borno, mais dans toute la région.

La transparence est tout aussi essentielle. Les déserteurs sont classés de manière incohérente dans les catégories « combattants » ou « agriculteurs », et certains auraient contourné la déradicalisation en se présentant à faible risque, ce qui souligne la nécessité d’améliorer le processus de sélection.

En tirant le bilan de ses limites et de ses acquis, le modèle de Borno devient non seulement une étude de cas sur l’innovation sous pression, mais aussi un modèle de progrès. Alors que les États touchés par des conflits cherchent à trouver un équilibre entre sécurité et réconciliation, l’expérience de Borno offre des indications précieuses sur la manière de tracer une voie plus humaine et plus ancrée localement pour l’avenir.

Le gouvernement fédéral nigérian devrait créer un cadre juridique national qui harmonise les efforts au niveau des États avec des normes claires en matière de sélection, de responsabilité et de suivi après la libération. Les partenaires régionaux et internationaux devraient renforcer leur soutien, non pas en imposant de nouveaux modèles, mais en comblant les lacunes de financement et dans les capacités afin d’améliorer les modèles existants.

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