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Redoubler d’efforts après la neutralisation des dirigeants de Boko Haram

Les forces de sécurité du bassin du lac Tchad doivent maintenir leur vigilance sur les groupes terroristes ayant survécu à la perte de leurs chefs.

Ces trois derniers mois, les forces de sécurité des pays du bassin du lac Tchad (Nigeria, Niger, Tchad et Cameroun) ont annoncé l’arrestation ou la neutralisation de figures clés dans les factions de Boko Haram. Malgré leur affaiblissement, les groupes terroristes font montre de leur capacité à surmonter la perte de leurs dirigeants et à se réinventer. Les forces de sécurité doivent donc rester vigilantes et proactives.

En août, la police tchadienne a annoncé l’arrestation à N’Djamena de Muslim Yusuf, fils du fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf. Le frère aîné de Muslim, Habib Yusuf, également connu sous le nom d’Abou Musab al-Barnawi, est l’actuel chef de la faction de Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO).

Le même mois, l’armée nigériane a annoncé la neutralisation de Bakura Doro, chef de l’autre faction de Boko Haram, le Jama’atu Ahlis-Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Toujours en août, les services de sécurité nigérians ont arrêté Mahmud Mohammed Usman et Mahmud al-Nigeri, les deux dirigeants d’Ansaru, un groupe dissident du JAS. En parallèle, des dizaines de combattants de Boko Haram ont été tués lors d’opérations militaires menées dans toute la région.

De toute évidence, les forces de sécurité sont parvenu à cibler les dirigeants, une tactique qui affaiblira considérablement les groupes jusqu’à leur remplacement. Dans l’intervalle, il est probable que l’on assiste à un regain de désordre et à une nouvelle démobilisation des membres de Boko Haram, combattants comme non combattants, comme cela s’est produit lorsque le chef du JAS, Abubakar Shekau, a été tué en 2021.

Les dirigeants arrêtés pourraient aussi fournir des renseignements stratégiques utiles dans la lutte actuelle contre l’extrémisme violent.

Trois ans après la mort d’Abubakar Shekau, le JAS est redevenu une menace importante

Des progrès ont également été réalisés dans d’autres domaines. Les opérations militaires telles que Nalewa Dole (au Niger) et Hadin Kai (au Nigeria) donnent des résultats. Au Nigeria, l’intensification des frappes aériennes et une plus grande réactivité ont considérablement ralenti la campagne « Camp Holocaust » de l’EIAO. Le bataillon d’intervention rapide du Cameroun a repoussé plusieurs attaques dans le cadre de cette campagne, comme celle contre un camp militaire à Fima (à Fotokol), qui a permis de neutraliser plus d’une douzaine de combattants de l’EIAO.

À ce jour, l’EIAO n’a pas reconnu l’arrestation de Muslim Yusuf et le JAS a nié la mort de Bakura Doro. Aucune autre source indépendante n’a confirmé son décès et, à ce jour, il n’a pas été remplacé. Même s’il était confirmé, l’histoire montre que l’élimination des chefs ne conduit pas nécessairement à la dissolution de leurs groupes. Lorsque Shekau est mort, on s’attendait à l’effondrement du JAS, mais Bakura Doro s’est rapidement imposé comme son nouveau chef.

Malgré les pertes humaines et matérielles subies par le JAS et la pression militaire exercée par sa rivale, l’EIAO, sur ses positions, Bakura Doro a réussi à affaiblir progressivement l’emprise de l’EIAO et à reconstruire sa force de frappe. Trois ans après la mort de Shekau, le JAS s’est reconstitué et est redevenu une menace importante.

Les armées de la région doivent désormais tirer parti des récents progrès en matière de sécurité afin de véritablement affaiblir les factions.

Les armées de la région doivent tirer parti des récents acquis pour affaiblir Boko Haram

Dans le cas du Tchad, Muslim Yusuf semble avoir été arrêté par hasard. Il s’était infiltré dans le pays avec un petit groupe et menait des activités criminelles, notamment des vols à main armée et des enlèvements contre rançon, afin de financer l’EIAO. Sa présence démontre que le groupe continue de tenter d’établir des cellules dormantes et des opérations à N’Djamena.

Il a été arrêté avec quatre autres personnes, dont un membre des forces de sécurité tchadiennes, selon les autorités. D’autres membres de l’EIAO sont probablement toujours en liberté dans la ville.

De toutes les capitales du bassin du lac Tchad, N’Djamena est la plus proche de l’épicentre du conflit. Avec Maiduguri, capitale de l’État nigérian de Borno, elle a été attaquée au moins deux fois par Boko Haram en 2015. La situation actuelle reflète cette dynamique, qui a vu le groupe mettre en place une cellule chargée de coordonner la logistique des attaques de juin 2015.

L’arrestation de Muslim Yusuf et de ses complices permettra certainement d’éviter que les événements de 2015 ne se reproduisent, mais la vigilance reste de mise. Cela est d’autant plus vrai que, selon un communiqué publié le 1er octobre par la Force multinationale mixte (FMM), l’EIAO surveille les prisons et les centres de détention de N’Djamena dans le but de libérer Muslim Yusuf.

Les deux factions de Boko Haram devraient lancer des frappes de représailles

Les deux factions de Boko Haram lanceront probablement des frappes de représailles afin de démontrer qu’elles sont toujours en mesure de causer des dommages. L’EIAO pourrait choisir de menacer directement N’Djamena. Et si Bakura Doro a effectivement été tué, le nouveau chef du JAS devrait lancer des actions spectaculaires pour marquer son empreinte. Cela mettra encore plus à rude épreuve les armées et les communautés du bassin du lac Tchad.

La pression des forces de sécurité dans les quatre pays ne doit pas se relâcher. En collaboration avec la FMM, elles doivent conserver l’avantage et renforcer la collecte de renseignements afin de garder une longueur d’avance sur les factions de Boko Haram. Cela implique notamment de tirer parti de l’emprisonnement de chefs tels que Yusuf Muslim et ses complices, qui pourraient fournir de précieuses informations.

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