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Des barrages routiers terroristes étranglent les économies du Mali et de ses voisins

Les blocus du JNIM sont devenus une arme stratégique qui menace le commerce régional et l'armée malienne, et nuit aux civils.

Depuis le 3 septembre, le Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, entrave la circulation sur les routes stratégiques reliant le Mali au Sénégal et à la Mauritanie. Le groupe terroriste met à exécution sa menace de blocus des villes de Kayes et Nioro en représailles au soutien présumé des populations locales à l'armée malienne.

Malgré les efforts déployés par les autorités, les blocus routiers se poursuivent. Parallèlement à des blocages occasionnels, plusieurs camions-citernes et bus ont été incendiés entre le 3 et le 14 septembre, et des voyageurs ont été enlevés sur les routes en provenance du Sénégal et de la Mauritanie. La route reliant Bamako à la Côte d'Ivoire a également été prise pour cible entre les villes de Zégoua et Sikasso. Les combattants du JNIM ont incendié trois citernes de carburant.

Pour échapper aux frappes aériennes des Forces armées maliennes (FAMa), les djihadistes ont abandonné certains barrages au profit d’attaques surprises qu’ils lancent contre les convois à partir des zones boisées qui jouxtent les routes. Cette tactique perturbe les échanges commerciaux avec le Sénégal, la Mauritanie et la Côte d'Ivoire, d'où proviennent les produits essentiels au Mali, notamment le carburant.

Itinéraires et zones ciblés par le JNIM

 

Le JNIM a utilisé les barrages routiers comme arme stratégique à partir de 2020, ciblant d'abord la ville de Farabougou, au nord-est de Bamako. Depuis lors, plusieurs villages de la région ont subi le même sort, privant les habitants de services essentiels : nourriture, eau, électricité et communication.

Pour établir un blocus, les terroristes prennent le contrôle des routes principales menant à la localité ciblée et mettent en place des barrages pour empêcher toute entrée et sortie. Ils interdisent aux habitants de cultiver leurs champs pendant la saison des pluies et de s'approvisionner auprès d'autres localités. Les hausses de prix qui en résultent rendent les conditions de vie insoutenables, obligeant les populations à fuir ou à négocier leur cohabitation avec les djihadistes.

Le JNIM génère également des revenus par le prélèvement de taxes informelles sur les populations en échange de services de protection, ainsi que par la vente du bétail volé. Cette stratégie d’extorsion s’étend aux infrastructures industrielles étrangères dont les propriétaires sont contraints de payer pour la sauvegarde de leurs locaux. Depuis juin, sept sites industriels étrangers, , ont été attaqués dans le centre et l'ouest du Mali.

Les blocus du JNIM poursuivent divers objectifs. Dans certains cas, ils visent à punir les civils qui résistent au groupe ou collaborent avec les forces armées dans la lutte contre le terrorisme. Ce mode opératoire permet au JNIM d'exercer un contrôle indirect sur de nouveaux territoires sans avoir à les conquérir militairement.

Les blocus visent également à discréditer les forces armées, en montrant leur incapacité à sécuriser les voies de transport vitales, pour ainsi exercer une certaine pression sur le gouvernement. Le blocage des routes menant à Bamako depuis le 3 septembre vise à asphyxier la capitale. En ciblant les camions-citernes en provenance du Sénégal et de la Côte d'Ivoire, le JNIM cherche à paralyser l'activité économique à Bamako et au Mali dans son ensemble.

Les pénuries de carburant risquent de déclencher des troubles sociaux et politiques au Mali

Des pénuries de carburant se font déjà sentir dans certaines zones et pourraient, si elles persistent, déclencher des troubles sociaux et politiques susceptibles de déstabiliser les autorités de transition du Mali. En exerçant cette pression, le JNIM tente de forcer le gouvernement à négocier pour garantir l'accès des camions fournissant des biens essentiels. Le groupe cherche également à restreindre les mouvements des FAMa pour ainsi créer un vide sécuritaire favorable à ses opérations.

Face à cette menace stratégique, les autorités maliennes ont réagi sur plusieurs fronts pour briser les blocus et sécuriser les corridors d’approvisionnement vers Bamako et les autres localités.

Les FAMa ont d’abord lancé le 6 septembre une vaste opération terrestre et aérienne dans les régions de Diéma, Nioro et Kayes. Selon le porte-parole de l'armée, le colonel-major Souleymane Dembélé, plusieurs bastions terroristes ont été détruits et des dizaines de combattants ont été neutralisés. À partir du 10 septembre, les FAMa ont mis en place des patrouilles et des escortes sur différents axes stratégiques, permettant à plusieurs camions-citernes et véhicules civils en provenance des pays voisins de rejoindre Bamako.

En outre, le Premier ministre, le général Abdoulaye Maïga, a annoncé le 16 septembre des mesures de grande ampleur pour sécuriser les voies d'approvisionnement lors d'une réunion avec le Groupement des professionnels du pétrole du Mali. Il a déclaré que l'État déploierait tous les moyens nécessaires pour protéger les convois.

Malgré ces mesures, les attaques se poursuivent. Le 21 septembre, trois camions-citernes sont tombés dans une embuscade et ont été incendiés entre Sikasso et Bamako, sur la route de la Côte d'Ivoire. Deux chauffeurs ivoiriens et un apprenti ont été tués.

Les blocus du JNIM mettent à l’épreuve le Mali et la nouvelle force unifiée de l'Alliance des États du Sahel

Alors que le JNIM mise sur l'usure, la viabilité des escortes de convois sur la durée demeure incertaine. Cette option coûteuse nécessite d'importantes ressources logistiques – véhicules blindés, carburant, personnel nombreux – et ne peut être mise en œuvre simultanément sur plusieurs routes que pour une durée limitée.

La seule solution durable consiste à éloigner les combattants du JNIM des corridors d'approvisionnement stratégiques et des zones industrielles. La priorité devrait être de les déloger des forêts et des zones adjacentes aux routes et sites industriels.

La menace d'effondrement économique qui plane sur le Mali sera un test pour l'Alliance des États du Sahel (AES) et sa force unifiée de 5 000 soldats, déclarée opérationnelle le 30 septembre par le président nigérien Abdourahamane Tchiani. Un succès du JNIM au Mali pourrait l’inciter à répliquer cette stratégie au Burkina Faso et au Niger.

La réduction de ce risque concerne directement les pays voisins du Mali, tels que la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Sénégal et la Mauritanie, dont les ports dépendent fortement du trafic malien. La sécurité des usagers, des commerçants et des flux commerciaux vers Bamako et d'autres villes du pays exige une concertation régionale, au-delà des seules opérations militaires maliennes.

L’absence de réaction officielle des voisins du Mali au sujet des blocus reflète les tensions diplomatiques actuelles. Les cinq pays doivent transcender leurs divergences politiques en faveur d'une coopération sécuritaire face à cette menace pour leurs économies et leur stabilité.

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