© AFP Photo

Mauvaise gouvernance et fraudes électorales expliquent le recul de l’Afrique

L’UA pourra-t-elle accorder à la vingtaine de scrutins de cette année l’attention nécessaire ?

Comment expliquer les revers de l’Afrique en matière de développement et de gouvernance ? Les raisons de cet apparent effondrement de la sécurité sont complexes. Cependant, les insurrections, les coups d’État et l’instabilité puisent leur origine dans un développement trop lent, une mauvaise gouvernance et la nature même des transitions démographiques en Afrique.

La géopolitique, marquée par une concurrence accrue, donne lieu à un environnement international défavorable. De plus, si le contexte mondial peut effectivement avoir une influence sur les conflits en Afrique, c’est son histoire, faite d’instabilité, qui est le premier indicateur des futures dissensions dans un pays.

Les conflits sur le continent ont atteint leur paroxysme au plus fort de la guerre froide. Aujourd’hui, le pouvoir mondial se déplace vers l’est et les partenaires traditionnels de l’Union africaine (UA) (l’Union européenne et les États-Unis) sont trop préoccupés par d’autres enjeux et perdent du terrain en Afrique. La Chine n’est pas intervenue pour combler ce vide, malgré l’Initiative pour la sécurité mondiale lancée par Beijing. Divers pays du Golfe étant actifs dans la Corne de l’Afrique, il en résulte une prolifération d’initiatives bilatérales, régionales et internationales qui permettent aux belligérants de choisir le forum qui leur convient le mieux.

Tout cela intervient alors que l’UA est en plein marasme. Elle a fait un pas en arrière depuis la Convention de Lomé de 2000 et son engagement à condamner les coups d’État. Ainsi elle a choisi d’interpréter de manière différente le coup d’État de 2017 au Zimbabwe pour éviter de suspendre le régime du président Emmerson Mnangagwa de l’UA. Puis, elle a réitéré cette erreur après la prise de pouvoir au Tchad en 2021. En 2019, au Soudan, l’UA avait accepté que les auteurs du coup d’État participent au processus ultérieur devant rendre le pouvoir aux civils.

Ces exemples ont laissé penser aux militaires d’autres pays qu’ils pouvaient prendre part à des accords de transition sans respecter les calendriers électoraux ni se retirer de la scène politique. Les élections entachées d’irrégularités et les manipulations de constitutions visant à permettre la survie d’un régime sont chose courante.

Élections frauduleuses et manipulations constitutionnelles pour la survie du régime sont chose commune

L’UA a en effet fait un pas de côté par rapport à l’architecture de paix et de sécurité africaine, un document complet établi dans le cadre du protocole du Conseil de paix et de sécurité (CPS) destiné à « faire taire les armes ». Même son unité d’alerte rapide a été dissoute.

Hormis plusieurs instituts de formation, les résultats des cinq forces régionales en attente constituant la Force africaine en attente sont peu convaincants, y compris sur le plan logistique. La conceptualisation du maintien de la paix par l’UA ne permet en rien de répondre aux défis en matière de sécurité. Le groupe des sages, censé être l’outil de médiation des conflits le plus important de l’UA, n’est pas appelé à jouer son rôle d’intermédiaire, alors que la médiation est plus que jamais nécessaire.

Les bureaux des Envoyés spéciaux, sous-financés, ne sont pas non plus utilisés à bon escient. Le Fonds pour la paix est désormais mieux abondé, avec environ 400 millions de dollars US. Cependant, le décaissement est complexe et les montants insuffisants pour couvrir les opérations de maintien de la paix, même les plus modestes. Pendant ce temps, les Nations unies (ONU) hésitent à assumer la responsabilité financière des opérations de maintien de la paix de l’UA, désormais plus nombreuses que les siennes.

Loin de renforcer l’UA, les réformes du président rwandais Paul Kagame et diverses sociétés de conseil l’ont fait régresser en fusionnant son département des Affaires politiques avec le département de la Paix et de la Sécurité, revenant ainsi à l’architecture qui prévalait du temps de l’Organisation de l’unité africaine. Le potentiel du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs à fournir une évaluation par les pairs des pratiques de bonne gouvernance a également été réduit à néant.

L’UA est confrontée à des divisions et à un manque d’efficacité au sein de son Bureau et du Comité des représentants permanents, qui assurent le contrôle politique et la mise en œuvre des décisions du Comité exécutif et de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement.

Les militaires croient pouvoir participer aux accords de transition sans respecter les calendriers

Au sommet de l’architecture de paix et de sécurité de l’UA, le CPS détourne les yeux de l’instabilité dans les grands pays comme l’Éthiopie et le Soudan. Il ne surveille pas efficacement les élections et ne se prononce pas quant aux changements anticonstitutionnels de gouvernement et autres élections truquées.

Le CPS semble débordé, reportant les décisions sur les régions, comme par exemple sur la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) lors du coup d’État de juillet 2023 au Niger. L’UA et son architecture de sécurité et de gouvernance ne font que réagir au lieu de diriger. L’Afrique est désormais membre du G20, ce qui nécessitera des interventions proactives et un travail de fond sur diverses questions complexes.

En résumé, la gouvernance nationale, régionale et internationale en Afrique s’affaiblit au lieu de se renforcer.

À première vue, la démocratie a échoué en Afrique. En réalité, les Africains croient toujours dans la promesse de la démocratie, mais ils veulent que les élections soient libres et équitables. L’UA et les communautés économiques régionales (CER) devraient en convenir.

Si les Africains insistent pour que les étrangers ne critiquent pas les abus commis sur le continent, ils devraient les dénoncer eux-mêmes. Au lieu de cela, l’UA et bon nombre de ses CER détournent le regard lorsque des responsables en place prolongent leur séjour au pouvoir en manipulant la constitution et en volant les élections.

Les dirigeants africains semblent vouloir le droit d’abuser de leurs citoyens sans être sanctionnés

Les dirigeants africains semblent vouloir avoir le droit d’abuser de leurs citoyens sans être sanctionnés par quiconque – une situation dans laquelle la souveraineté nationale est absolue. Il en résulte que les élections et les gouvernements qui en découlent manquent de légitimité. En réaction, les citoyens se rebellent ou font simplement ce qu’ils veulent.

Il faudra du temps pour inverser ces tendances. Une croissance économique inclusive et une bonne gouvernance sont essentielles, comme le souligne l’analyse de l’Institut d’études de sécurité sur son site web Afriques futures.

Entre autres réformes, l’UA et les CER devraient clarifier et revoir le modèle de subsidiarité qui régit leurs relations. Certaines CER réagissent aux conflits sans véritable engagement de la part de l’UA, et le mantra « des solutions africaines » ne se révèle pas toujours utile, car il semble autoriser l’ingérence des pays voisins.

Plus important encore, l’UA doit se recentrer sur les principes de la bonne gouvernance, tout particulièrement sur les élections régulières, libres et équitables.

Elle devrait également examiner les défis auxquels elle est désormais confrontée afin d’y apporter une réponse cohérente. C’est ce qui a été fait avec la Déclaration de 1990 sur la situation politique et socioéconomique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent dans le monde, qui a conduit à la Déclaration du Caire de 1993 sur la mise en place d’un mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits.

La Déclaration du Caire a finalement débouché sur l’architecture de paix et de sécurité de l’UA, en 2002, lorsque le protocole du CPS y afférent a été adopté. Il est temps de revigorer ce protocole et de s’y investir plus avant, et de réviser en profondeur et de mettre en œuvre la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blog du programme Afriques futures et innovation de l’ISS.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié