Amelia Broodryk/ISS

L'Afrique doit se faire entendre sur l'intégrité de l'information et la liberté des médias

L’Afrique du Sud doit prendre la relève du Brésil au G20 sur cette question qui est à la base de la bonne gouvernance.

Alors que les dirigeants des plus grandes économies du monde se préparent pour le sommet du G20 qui se tiendra en novembre à Johannesburg, les défenseurs de l'industrie de la presse sud-africaine font en sorte que l'intégrité de l'information et la liberté des médias ne soient pas négligées.

Ces deux questions sont inextricablement liées, selon Media Monitoring Africa et le South African National Editors' Forum (SANEF). Les deux organisations pilotent Media20 (M20) afin de mettre en lumière ces questions dans la perspective des discussions du G20.

Les principes mondiaux pour l'intégrité de l'information des Nations unies insistent sur la liberté d'expression, l'exactitude, et la fiabilité de l’information, l'indépendance, la liberté et le pluralisme des médias.

Le M20 révèle les zones d’ombre du nouveau paysage de l'intelligence artificielle (IA), en particulier dans la réception des actualités et les informations en ligne. Il avertit contre « les tendances [qui] laissent présager une prolifération de fausses informations et de mauvaise qualité, avec une multiplication des ‟hallucinations” de l'IA et de la production et de la diffusion de vidéotox ».

Le journalisme traditionnel est considéré comme un antidote à ces désinformations, car « il démystifie les mensonges et dénonce les opérations d'information, affirment les militants du M20. [Il] apporte [également] des informations fiables et des commentaires éclairés dans l'écosystème de l'information publique ». Pourtant, le journalisme traditionnel est menacé, les salles de rédaction ont du mal à rivaliser avec les plateformes numériques face à un ensemble complexe de défis commerciaux, techniques et de contenu.

 

Le M20 arrive à point nommé. De nombreux pays du G20 affichent un bas niveau de liberté des médias, en raison de facteurs politiques et économiques. Le dernier classement mondial de la liberté de la presse met en avant ceux des grandes démocraties, notamment les États-Unis et l'Inde (voir graphique).

La suppression du financement des médias et la fermeture de salles de rédaction, comme celle de Voice of America, sont très préoccupantes, compte tenu de leur rôle dans la diffusion des informations internationales auprès d'un large public et dans la lutte contre les infox.

Par ailleurs, les auteurs du classement affirment qu’il s’agit « du premier déclin significatif et prolongé de la liberté de la presse [aux États-Unis] dans l'histoire moderne », avec plus du double du nombre de journalistes arrêtés aux États-Unis par rapport à l'année précédente.

De même, le classement révèle que 80 % des réseaux d'information africains interrogés ont vu leurs indicateurs économiques « baisser ». Ce qui traduit une diminution de leurs subventions et de leurs recettes publicitaires au cours de l'année écoulée, et a conduit certains d'entre eux à s'autocensurer par crainte d’autres réductions. Cette situation n'augure rien de bon pour les efforts déployés par le M20 afin de promouvoir la liberté et l'intégrité des médias lors du G20.

Le G20 de l'année dernière au Brésil a mis l'intégrité de l'information au premier plan. Elle a fait l’objet d’une déclaration ministérielle indiquant que sans intégrité de l'information, la confiance dans les institutions publiques et la démocratie « pourrait être affectée, avec des effets négatifs sur la cohésion sociale, la prospérité économique » et les droits de l'homme. Beaucoup ont considérée cette déclaration comme  audacieuse.

Le journalisme traditionnel est considéré comme un antidote aux « infox »

En revanche, sous la présidence sud-africaine du G20, le sujet est à peine abordé dans l'ordre du jour. Les militants du M20 ne mentionnent qu'une seule « présentation de haut niveau » sur les vidéotox générées par l'IA lors d'un atelier du Groupe de travail sur l'économie numérique du G20, organisé en juin.

« Nous entretenons de bonnes relations avec le gouvernement sud-africain », déclare William Bird, directeur de Media Monitoring Africa, soulignant que Pretoria a accueilli favorablement la campagne du M20. Il précise : « Nous voulons que l'intégrité de l'information soit officialisée dans l'un des volets du G20 à l'avenir ». Cela pourrait être difficile à réaliser compte tenu de l'éventail de sujets liés à l'économie et au développement débattus actuellement au G20.

Cependant, le M20 a trouvé un allié dans la représentation française en Afrique du Sud. L'ambassadeur David Martinon a récemment organisé un dialogue avec d'autres organisations africaines chargées de la politique des médias afin de « placer la durabilité des médias, le journalisme indépendant et l'intégrité de l'information à l'ordre du jour mondial ». Alors que le M20 sera maintenu en marge du sommet des chefs d'État, la délégation française pourrait transmettre cette question et lui donner de l’ampleur, même de manière informelle.

À l'ère de ce que l'on appelle souvent les « infox » – mais que les experts préfèrent qualifier de « comportement coordonné non authentique » –, le langage du paysage de l’information a adopté une définition plus réfléchie. Il souligne non seulement les contenus mensongers, mais aussi la manière dont les algorithmes, les discours haineux et les vidéotox générés par l'IA peuvent polluer l'espace informationnel, en modifiant les contenus et leurs présentations.

Le niveau de liberté des médias a baissé dans de nombreux pays du G20

Les efforts de Bird pour attirer l’attention sur cette problématique lors du G20 à Johannesburg sont en quelque sorte un prélude au sommet de l'année prochaine qui se déroulera aux États-Unis. « C'est une façon de jeter des bases de réflexion », explique-t-il, craignant que sous la présidence américaine du G20, la question soit minimisée ou ignorée.

Il estime que le bilan du soutien de l'administration américaine aux médias indépendants, notamment les décrets relatifs au financement des radiodiffuseurs du service public, n'inspire pas confiance.

Bien que le G20 de cette année ne dispose pas d'un groupe de travail dédié à l'intégrité de l'information, le groupe de travail sur l'économie numérique aborde l'innovation numérique et l'IA équitable, inclusive et juste.

Bien sûr, le G20 n'est pas le seul forum à soulever ces questions. Une enquête de la Commission sud-africaine de la concurrence identifie l'IA générative, la publicité numérique, les réseaux sociaux et les moteurs de recherche comme des problèmes pour la viabilité des médias en termes de gestion des entreprises médiatiques et de diffusion d'un journalisme d'intérêt public.

L'intégrité de l'information a du mal à s’imposer sous la présidence sud-africaine du G20

Dans le cadre de cette enquête, Research ICT Africa (RIA) a fourni un témoignage d'expert qui montre que l'absence de conditions de concurrence équitables désavantage les pays du Sud. L’étude parle des grandes plateformes telles que Meta, X et TikTok, dont les « algorithmes favorisent les médias étrangers par rapport aux sources locales, les modèles d'abonnement par rapport aux contenus gratuits, et YouTube par rapport aux radiodiffuseurs sud-africains ».

Ce contexte nuit au journalisme local et privilégie les valeurs et les priorités des pays du Nord. « Ce que nous essayons de faire, c'est de pérenniser notre journalisme, affirme Izak Minnaar, du SANEF. Nous souhaitons que les questions relatives au développement des médias internationaux se concentrent sur l'Afrique et les pays du Sud ».

L'enquête de la Commission de la concurrence donne du poids à certaines préoccupations soulevées par le M20. Les initiateurs de la campagne veulent mettre en avant l'aspect journalistique du nouveau paysage médiatique, sans se limiter aux questions d'équité commerciale et de viabilité des médias.

Le M20 prévoit d’organiser un sommet sur l'intégrité de l'information en septembre à Johannesburg. D'autres analyses sont également en cours sur la violence sexiste, la sécurité en ligne et la protection des enfants, et sur le journalisme en tant que bien public.

Dans ce contexte, le sommet du G20, l'un des événements annuels les plus importants de l'agenda géopolitique, aura sans aucun doute pour toile de fond l'intégrité de l'information.

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