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Minéraux critiques et dépendance technologique : un enjeu majeur du G20 pour l'Afrique

Alors que les puissances mondiales et l'industrie technologique se disputent les minéraux africains, le continent a besoin de diplomates pour négocier des accords plus équitables.

Trente pour cent des minéraux critiques du monde proviennent de l'Afrique, et le gouvernement sud-africain accorde la priorité à leur accès pendant sa présidence du G20 cette année. Cette question devrait être au cœur des discussions lors du sommet du G20 à Johannesburg en novembre.

L'industrie technologique, gros consommateur de minéraux critiques, a-t-elle un rôle à jouer pour garantir l'équité ? Après tout, les minéraux tels que le cuivre, le cobalt, le coltan, le lithium et le silicium alimentent les systèmes intelligents et électrifiés du futur.

Le coltan sert à fabriquer des condensateurs pour téléphones portables, ordinateurs et appareils photo, et les batteries au lithium alimentent les véhicules électriques. Le platine, dont l'Afrique du Sud détient 80% des réserves mondiales, est utilisé pour produire des écrans haute résolution pour smartphones, tablettes et ordinateurs.

En juin, lors du Sommet sur la sécurité ITWeb 2025 à Johannesburg qui a réuni les plus grands noms du secteur technologique, ISS Today a sollicité les avis des experts sur le rôle de l'industrie à l’égard des minéraux africains. En effet, les minéraux critiques, matière première des produits technologiques, constituent aussi un catalyseur pour l'industrialisation et des conditions commerciales plus équitables avec les pays riches en ressources.

Selon certaines prévisions, les dépenses mondiales en matière de technologie atteindront 11 470 milliards de dollars américains d'ici 2026, et ce chiffre ne cesse d'augmenter. Pourtant, la valorisation des minéraux critiques s’effectue surtout à l'extérieur des pays sources.

L'Afrique du Sud va élaborer un cadre pour les minéraux critiques afin de permettre aux pays sources de créer leurs chaînes de valeur, comme la transformation locale. Cela aboutirait à ce que le président Cyril Ramaphosa a décrit lors du Forum économique mondial de Davos en janvier comme une « relation additive et non extractive » et contribuerait à stimuler la croissance économique.

Noelle van der Waag-Cowling, responsable de la formation au Cyber Security Institute, craint que l'Afrique ne soit prise dans une « course aux armements » pour les minéraux critiques. Deux questions la préoccupent : l'accès aux ressources et la dépendance technologique de l'Afrique.

Elle estime que l'Afrique doit s’exprimer lors des négociations sur l'accès aux minéraux critiques, suggérant de rattacher les accords à « l'aide au développement des infrastructures informatiques du continent ». Avec les promesses de l'intelligence artificielle (IA) et de la numérisation des services publics, le continent a besoin de capacités de stockage.

Les accords pourraient être formulés comme suit : « Construisez-nous des centres de données exceptionnels basés sur l'IA (des serveurs informatiques en réseau qui stockent, traitent et distribuent de grandes quantités de données) et discutons des avantages mutuels que nous pouvons en tirer », explique-t-elle.

La majeure partie de la valeur des minéraux critiques ne provient pas des pays où ils sont extraits

Outre l'accès aux ressources, « notre forte dépendance aux technologies étrangères rend le continent vulnérable à l'influence des puissances mondiales », ajoute Van der Waag-Cowling. Elle cite l’accord entre les États-Unis et l'Ukraine sur les minéraux critiques ou la décision des États-Unis d'interdire les puces informatiques chinoises utilisées pour fabriquer des systèmes d'armes avancés. En réponse, la Chine a interdit les exportations de minéraux de terres rares vers les États-Unis.

C'est pourquoi l'Afrique devrait négocier fermement pour tirer profit de ses gisements de minéraux critiques et de sa dépendance vis-à-vis des entreprises technologiques étrangères telles qu'IBM et Microsoft. « Pouvez-vous imaginer ne pas avoir accès aux technologies dont 98% d'entre nous dépendent ? » La technologie et les minéraux sous-jacents sont des outils géopolitiques importants et « la situation actuelle est une forme de conflit de faible intensité », prévient-elle.

Outre l'impact sur l'environnement et les droits humains, souligné par des organisations telles que RAID, le sujet des minéraux est préoccupant en raison des accords de sécurité conclus en Afrique. En juin, l’appui des États-Unis à la conclusion d'un accord de paix en République démocratique du Congo (RDC) et son aide militaire contre les rebelles du M23 lui ont permis d'accéder aux minéraux de lithium.

Cette gestion transactionnelle ne résoudra pas forcément un conflit qui a causé une hécatombe et laissé des milliers de personnes sans abri dans l'est de la RDC.

L'industrie technologique nécessite de gros volumes de minéraux critiques et doit garantir l'équité

Les entreprises technologiques devraient œuvrer à garantir l'équité et la justice même si l’Afrique, source de leurs matières premières, est éloignée. La sensibilité de l'industrie textile aux ateliers clandestins au Bangladesh sert d'avertissement sur la manière dont les pratiques déloyales peuvent entacher la réputation d’une marque.

De plus, les industries technologiques et minières sont en train de se mélanger. Le Financial Times rapporte que KoBold Metals, soutenu par Bill Gates, suit de près l'accord entre les États-Unis et la RDC. Selon des experts du secteur, KoBold utilise l'IA « pour collecter et analyser des flux de données – des anciens résultats de forage aux images satellites – afin de découvrir de nouveaux gisements».

Ces innovations technologiques pourraient profiter à l'Afrique – le type de contrepartie mentionné par Van der Waag-Cowling ci-dessus -parallèlement à l'échange de connaissances technologiques pour stimuler les chaînes d'approvisionnement locales.

Selon Gilbert Nyandeje, fondateur de l’Africa Cyber Defense Forum, le secteur technologique mondial peut également protéger les entreprises minières des intrusions numériques. « Les grandes entreprises technologiques peuvent exploiter leur expertise en cybersécurité pour protéger les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques contre les cyberattaques préjudiciables à la sécurité opérationnelle. »

Contrairement à la cyberdiplomatie, le pouvoir de la diplomatie technologique réside dans le secteur privé

Le secteur extractif n'est pas à l'abri des cyberattaques. Nyandeje souligne que le piratage de SolarWinds en 2020 a été l'une des plus grandes attaques contre les chaînes d'approvisionnement mondiales, touchant de nombreuses entreprises minières. Il estime que les grandes entreprises technologiques devraient « promouvoir des accords plus équitables pour l'Afrique » dans le cadre de leurs engagements en matière de responsabilité sociale.

Compte tenu de la course mondiale aux minéraux critiques et des considérations économiques, morales et géopolitiques, de nombreux experts estiment que l'Afrique devrait créer un groupe d’ambassadeurs technologiques. Le Danemark et la France ont nommé de tels envoyés afin de garantir la prise en compte de leurs intérêts et valeurs nationaux.

La cyberdiplomatie est un domaine connexe et émergent axé sur les interactions des États dans le cyberespace. Cependant, la diplomatie technologique est une sphère d'influence différente, dont une grande partie du pouvoir réside dans le secteur privé.

Les grandes entreprises technologiques étant de plus en plus comparées à des États-nations, les représentants africains au G20 devraient évoquer les rapports de force entre les fournisseurs de minéraux critiques du continent et les clients technologiques des pays riches. À ce jour, Van der Waag-Cowling déplore le fait que « l'Afrique n'ait pas du tout abordé ces questions ».

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