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La quête de pertinence de l’Union africaine en 2024

L’UA doit éviter les lacunes de son prédécesseur, l’Organisation de l’unité africaine.

Selon Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA (CUA), l’Union africaine (UA) ne répond pas aux attentes, en partie du fait du comportement des États membres. Il affirme que l’exercice excessif de leur souveraineté entrave le transfert de pouvoirs à la Commission. La force de l’UA, en tant que groupement des pays africains, repose sur le pouvoir que les États membres lui confèrent pour mettre en œuvre leurs décisions.

Les faiblesses de l’UA se reflètent dans son incapacité à gérer les crises récentes, notamment les conflits en République démocratique du Congo et au Soudan, l’insurrection dans le nord du Mozambique et les coups d’État en Guinée, au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

Comment l’organe continental peut-il gagner en pertinence à l’aube d’une nouvelle année en Afrique ? Peut-il contribuer à offrir une stabilité accrue aux citoyens, ou 2024 sera-t-elle une autre année de conflit ? Et comment les États membres peuvent-ils œuvrer à la paix sur le continent ?

Ce n’est pas la première fois que Faki reproche aux États membres les échecs de la CUA. Lors de la Conférence de 2022 sur le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement à Malabo, il a imputé la détérioration de la sécurité sur le continent à un manque de solidarité africaine et au non-respect par les États membres de leurs engagements envers l’UA.

Pour les pays africains, le panafricanisme ou l’intégration régionale supposent souvent de choisir entre la création d’une entité continentale puissante et la préservation de la souveraineté, cette dernière l’emportant généralement.

La réduction du Secrétariat général à des fonctions administratives a posé problème à l’OUA

Face à l’instabilité persistante et au sous-développement en Afrique, l’UA semble afficher les mêmes faiblesses systémiques que son prédécesseur, l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

L’un des problèmes majeurs de l’OUA a été la réduction du Secrétariat général, en charge des activités quotidiennes, à des fonctions purement administratives. Incapable de mettre en œuvre les décisions de l’organisation, le secrétariat ne disposait pas des pouvoirs institutionnels ni des ressources humaines, financières et matérielles nécessaires en raison du refus des États membres de lui accorder l’autonomie requise.

Un exemple récent est le retard des pays à adopter des recommandations sur des sources de financement autonomes, qui pourraient réduire la dépendance de la CUA à l’égard des contributions des États et des dons des partenaires de développement.

Le Secrétariat général de l’OUA dépendait entièrement des États (et des puissances extérieures) pour son financement, le recrutement et d’autres fonctions de base. De nombreux États ne payaient pas leurs contributions annuelles, ce qui a amenuisé la capacité d’action de l’organisation. Le secrétariat pouvait organiser des réunions et produire des rapports, mais rencontrait des difficultés pour mettre en œuvre des décisions majeures en faveur de l’intégration continentale.

L’UA, lancée en 2002, devait corriger les faiblesses de l’OUA et former une organisation plus robuste, proactive et efficace, dont le secrétariat, la CUA, serait le pivot de l’intégration continentale. Cependant, les problèmes rencontrés par le secrétariat de l’OUA semblent réapparaître au sein de l’UA.

En renonçant à une CUA puissante, les dirigeants africains répètent les erreurs de l’OUA

Les chefs d’État africains ont visiblement abandonné l’idée d’une CUA puissante et adopté les attitudes qui ont précipité la chute de l’OUA. Les États membres nomment le président, le vice-président et les commissaires, et influencent les nominations des directeurs, laissant le président de la CUA impuissant et incapable de demander des comptes à des cadres supérieurs incompétents.

Les réformes récentes ont restreint le budget de la CUA et conduit à la suppression ou à la fusion de certains départements pour aboutir à une structure similaire à celle de l’OUA. Par exemple, le département Paix et sécurité et celui des affaires politiques ont fusionné. Ils avaient été séparés sous l’égide de l’UA afin d’intensifier l’action sur les conflits armés et les nouveaux défis sécuritaires, considérés comme les plus grandes menaces pour le développement de l’Afrique.

La fusion de ces deux départements peut conduire à négliger certaines questions. L’actuel commissaire du département a fait de l’observation des élections une priorité. Mais si les deux entités étaient distinctes, les affaires politiques pourraient donner la priorité à la surveillance des élections, tandis que le département Paix et sécurité se concentrerait sur la prévention, la gestion et le règlement des conflits.

Le maintien d’un personnel réduit au strict minimum a également affaibli la CUA. La Commission compte 1 720 employés pour desservir 55 pays. En comparaison, la Commission européenne dessert 27 pays avec 32 000 employés permanents, sans compter les consultants et le personnel temporaire. Certains analystes affirment que la qualité du personnel importe plus que la quantité, mais la CUA manque des deux.

Soixante et un pour cent du personnel de la CUA est sous contrat de courte durée, car le recrutement de personnel permanent a été impossible. La Commission compte seulement 1 000 employés permanents. Cette situation a entraîné une baisse de moral et une chute drastique de la productivité. Les États membres se plaignent de ne pas pouvoir financer une CUA « énorme », bien qu’ils contribuent à moins de 40 % du budget de l’UA, laissant aux partenaires de développement la majorité des coûts.

À l’heure actuelle, ni l’UA ni ses États membres ne peuvent concrétiser l’Agenda 2063

Les interminables projets de transformation et de réforme depuis 2003 ont rendu la CUA plus floue, moins productive et plus fragile. Le résultat est une Commission réduite à un simple secrétariat, comme ce fut le cas à l’OUA. Pourtant, la CUA est censée mener à bien les ambitieux objectifs de l’Agenda 2063 de l’Afrique et servir 55 pays comptant environ 1,4 milliard d’habitants.

En l’absence de mécanisme continental global pour contrôler et compléter les activités des pays, les États peuvent agir à leur guise, même lorsque ces actions menacent leur souveraineté, d’autres États membres, voire l’UA elle-même. Cette situation a affaibli les gouvernements, encouragé la fragmentation, sapé la redevabilité des États et favorisé les coups d’État ainsi que la corruption chronique et institutionnalisée.

L’adage « Plus ça change, plus c’est la même chose » résume les efforts de l’Afrique pour forger une intégration continentale au cours des 60 dernières années. Le régionalisme a toujours été un exercice d’équilibriste entre les États privilégiant leur souveraineté et ceux considérant l’intégration comme un moyen de préserver l’indépendance. Cette situation a entraîné des décisions continentales sans cohérence ni vision, compromettant la création d’institutions fonctionnelles. Les communautés et mécanismes économiques régionaux présentent des faiblesses similaires à celles de la CUA.

Aucune norme n’encadre la conduite des politiques étrangères ou des relations des États africains. Par exemple, les principes guidant l’accueil de bases militaires étrangères, surtout si elles menacent la souveraineté d’autres États, restent flous.

Une première étape cruciale serait de résoudre les problèmes de financement de l’UA et d’autoriser le président de la CUA à être seul comptable du travail de la Commission. La CUA devrait également être autonome dans le recrutement du personnel opérationnel et des cadres supérieurs, à l’exception du président et de son adjoint.

Dans la situation actuelle, ni l’UA ni ses États membres ne peuvent concrétiser l’Agenda 2063. Si ces questions ne sont pas traitées d’urgence, l’UA — comme l’OUA — risque de perdre sa raison d’être.

Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport sur le CPS de l’ISS.

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