La Chine, un partenaire attractif pour la sécurité de l’Afrique ?

Si l’Initiative pour la sécurité mondiale de Beijing est plus convaincante que les approches occidentales, elle s’accompagne de plusieurs défis.

La Chine approfondit ses engagements multilatéraux et offre à l’Afrique une alternative aux partenariats occidentaux traditionnels, ce qui pourrait avoir un impact considérable sur le continent en matière de gouvernance, de droits de l’homme et de coopération régionale. Mais un aspect demeure peu étudié, celui de la coopération croissante entre la Chine et l’Afrique dans le domaine de la sécurité.

Le troisième Forum Chine-Afrique sur la paix et la sécurité, qui s’est tenu à Beijing du 19 août au 2 septembre, a rassemblé plus d’une centaine de ministres de la Défense et de hauts représentants d’une cinquantaine de pays africains et de l’Union africaine (UA). Malgré cette participation impressionnante, cet évènement a été largement éclipsé par le sommet des BRICS, les élections contestées au Zimbabwe et les coups d’État au Niger et au Gabon.

Le Forum s’est concentré sur la mise en œuvre de l’Initiative pour la sécurité mondiale (GSI) proposée par le président chinois Xi Jinping en 2022. L’Initiative définit les principes politiques sur lesquels s’appuiera Beijing pour relever les défis complexes et interconnectés de la sécurité dans le monde. Elle vise à donner à la Chine un rôle plus important dans la gouvernance mondiale en soutenant les pays du Sud. Bien qu’elle soutienne déjà les forces de sécurité en Afrique ainsi que la formation militaire, et qu’elle intervienne en tant que médiateur lors de conflits, la GSI est le signe de la volonté d’efforts plus concertés de la part de la Chine.

Alors que les nations africaines recherchent des partenariats de part et d’autre de la fracture géopolitique mondiale, la GSI attire l’attention en mettant l’accent sur le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures. Or, les États africains ont exprimé leur frustration à l’égard d’un ordre international dominé par l’Occident et soutiennent de plus en plus l’engagement de la Chine sur le continent. Cet engagement s’étend maintenant au secteur de la paix et de la sécurité.

La GSI renforce le rôle de la Chine dans la gouvernance mondiale en soutenant les pays du Sud

L’approche de Beijing diverge de celle des partenaires occidentaux de l’Afrique sur plusieurs points. Outre la non-ingérence, elle préconise la résolution des différends par la consultation et la médiation, plutôt que par la fermeté ou l’interventionnisme. La GSI s’abstient également de soutenir le système des sanctions unilatérales ou d’oppositions collectives face aux pays qui enfreignent les règles établies.

L’approche de la GSI n’est pas nouvelle et, à certains égards, reflètent les positions occidentales (comme le renforcement des capacités par la formation). Cependant, elle représente un effort mieux coordonné de la part de Beijing pour promouvoir sa marque dans le soutien à la sécurité au niveau mondial. Certains observateurs estiment même que l’Afrique sera le terrain d’essai de ses aspirations.

La GSI encourage la non-ingérence, un point particulièrement convaincant pour les pays africains déçus par l’approche « paternaliste » des partenaires occidentaux dans la coopération sécuritaire. Les interventions françaises au Mali et au Burkina Faso en sont des exemples. Mais la politique chinoise pourrait nuire aux droits de l’homme en Afrique, en laissant les régimes autoritaires agir en toute impunité.

En outre, en fournissant des technologies et en formant des fonctionnaires et des militaires dans des pays autocratiques au bilan douteux sur le plan des droits de l’homme, la GSI pourrait mettre à mal la démocratie et la bonne gouvernance, notamment l’Agenda 2063 de l’UA.

La Chine s’abstient d’approuver des sanctions unilatérales ou des oppositions collectives

Ainsi, l’apport croissant d’outils numériques chinois dotés de capacités de surveillance à des régimes fermés et autoritaires pourrait renforcer la répression politique, le Zimbabwe étant un exemple notable. Bien que ces préoccupations ne concernent pas seulement la coopération chinoise en matière de sécurité sur le continent, ces comportements ne devraient pas devenir la norme.

Les États occidentaux insistent sur l’importance de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits de l’homme comme faisant partie intégrante de la coopération  sécuritaire. En outre, leurs partenariats de sécurité avec des pays africains comportent souvent des conditions afin de favoriser une gouvernance responsable, promouvoir des sociétés inclusives et contribuer à une paix durable. Bien que cette approche se soit parfois limitée à des vœux pieux, elle ne nie pas l’importance des droits de l’homme dans la coopération sécuritaire.

Pour obtenir des résultats positifs, la Chine doit traduire ses engagements en actes et réaliser des projets de sécurité qui favorisent les « solutions africaines » tout en restant consciente des problèmes de gouvernance du continent.

Il pourrait être nécessaire d’adopter une définition plus nuancée de la « souveraineté » qui tienne compte de la responsabilité des États de protéger les droits humains. Cela pourrait permettre de renforcer les cadres continentaux et régionaux en matière de paix et de sécurité et offrir une conception de la coopération sécuritaire davantage centrée sur les citoyens.

La politique chinoise pourrait donner aux régimes autoritaires une plus grande marge de manœuvre

La Chine et les gouvernements africains devraient veiller à ce que les parties prenantes de la société civile aux efforts régionaux de maintien de la paix puissent faire entendre leur voix lors des futurs forums. Cela permettra d’intégrer dans les discussions les réalités des personnes les plus touchées par les conflits et d’améliorer la coordination entre les parties prenantes. La GSI doit également compléter les stratégies existantes, en particulier la mise en œuvre des accords de paix et l’implication des factions rivales concernées.

Le renforcement de la coopération chinoise dans le domaine de la sécurité en Afrique pourrait être bénéfique, mais l’impact potentiel de la GSI n’est pas sans présenter des défis complexes, notamment au regard des droits de l’homme et de la gouvernance. Il est impératif que les parties prenantes sur le continent en évaluent les répercussions et trouvent une voie qui profite à la fois aux gouvernements africains et à leurs populations.

Jana de Kluiver, chargée de recherche, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria

Image : © Amb. Bankole Adeoye / Twitter

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