Cheunghyo/Getty Images

L'Afrique doit tirer parti du traité sur la haute mer

Après avoir contribué à l'élaboration du traité, l'Afrique doit bénéficier de la récente dynamique qu’il a créée dans la gouvernance des océans.

La troisième Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC3), qui s’est déroulée en juin, a abouti à une déclaration politique ambitieuse qui marque un tournant dans la gouvernance mondiale des océans. Il s’agissait de mettre en lumière les progrès réalisés dans l'adoption de l'accord sur la Biodiversité au-delà des juridictions nationales (BBNJ) appelé plus communément « traité sur la haute mer ».

Cet accord historique comble les lacunes en matière de gouvernance et de réglementation dans les zones situées au-delà de la juridiction des pays, soit 64 % de la surface totale des océans. Ces eaux sont essentielles à la santé de la planète et au bien-être humain, mais elles sont souvent surexploitées, polluées et maltraitées en raison de l'absence d'un cadre réglementaire général.

Haute mer (en vert clair) et zones économiques exclusives (en blanc)
High seas (light green) and exclusive economic zones (white)

Source : Sumaila et al. The High Seas and Us: Understanding the Value of High-Seas Ecosystems, Global Ocean Commission, en prép. (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

 

Le traité comble ces lacunes en se concentrant sur quatre piliers : les ressources génétiques marines et le partage juste et équitable des bénéfices ; les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées ; les évaluations d'impact sur l’environnement ; le renforcement des capacités et le transfert de technologies.

L'UNOC3 a donné un élan significatif à l'accord. Il y a eu 28 ratifications dans les jours qui ont précédé la conférence et 22 pendant la conférence, portant le total à 51 ratifications sur les 60 requises pour son entrée en vigueur. Au total, 139 pays ont signé le traité BBNJ.

L’engagement de l'Afrique dans ce processus a été à la fois stratégique et sans allant. D'une part, le groupe africain des négociateurs a influencé l’élaboration du traité, défendant le principe du patrimoine commun de l'humanité dans les négociations, et avant cela, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

D'autre part, seuls sept des 55 pays africains ont officiellement achevé le processus de ratification. Le Kenya, la Sierra Leone et le Cap-Vert l’ont ratifié, mais doivent encore déposer leurs instruments auprès des Nations unies. Trente-quatre pays africains ont signé l'accord.

34 pays africains ont ratifié le BBNJ mais seuls 7 ont finalisé le processus

Toutefois, le seuil des 60 ratifications devrait être atteint lors de la réunion de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre. L'accord entrera alors en vigueur 120 jours plus tard, le 1er janvier 2026, ce qui laissera le temps pour sa traduction et sa publication, et permettra aux États de se préparer à son application. Une fois en vigueur, la première Conférence des Parties (COP) sera convoquée. La COP est l'organe décisionnel qui supervise la mise en œuvre du traité et son évolution.

Les obligations découlant de l'accord BBNJ ne s'appliquent qu'aux pays qui l'ont ratifié. Ceux qui ne l'ont pas fait, y compris la plupart des États africains, risquent d'être exclus de ses nombreux avantages. Il s'agit notamment du pouvoir de décision au sein de la COP, sans lequel les pays ne peuvent pas influencer les décisions clés relatives à la mise en œuvre et à l'allocation des ressources, ni désigner des zones protégées en haute mer. La ratification permet également aux pays d'accéder aux arrangements de partage des bénéfices liés à l'exploitation des ressources génétiques marines.

Avant la COP, une commission préparatoire formulera des recommandations sur des questions procédurales et institutionnelles clés. Elle se réunira à nouveau du 18 au 29 août à New York. Ces réunions sont ouvertes à tous les États membres de l'ONU, et les États africains doivent y participer s'ils veulent influencer les processus et les institutions créés pour la mise en œuvre du traité.

Il est essentiel de garantir une représentation équitable et un partage des avantages pour les États africains, en particulier en ce qui concerne les ressources génétiques marines, afin d'assurer la légitimité et l'efficacité du nouveau régime de gouvernance de la haute mer établi dans le cadre de l'accord BBNJ.

Les pays qui l’auront ratifié bénéficieront d'un libre accès aux mécanismes financiers établis dans le cadre de l’accord. À cette fin, la Coalition pour une ambition élevée sur le BBNJ, coprésidée par l'Union européenne (UE), Palau et les Seychelles, rassemble plus de 40 pays afin de promouvoir la ratification et l’application rapides du traité.

Une représentation équitable et un partage des bénéfices pour les États africains sont essentiels

La coalition partage son expertise et favorise la coopération mondiale en matière de gouvernance des océans. L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en assure le secrétariat et fournit un soutien scientifique et juridique afin que les membres atteignent les objectifs du traité. Elle facilite le programme mondial pour les océans, financé par l'UE à hauteur de 40 millions d'euros, afin d’appuyer la participation des États aux processus liés à la biodiversité en haute mer.

Une fois en vigueur, la COP rendra le traité opérationnel, créera ses institutions et commencera à désigner des zones marines protégées en haute mer. Plusieurs zones d'importance écologique adjacentes à l'Afrique sont susceptibles d'être retenues, notamment la dorsale de Walvis dans l'Atlantique au large des côtes sud-ouest de l'Afrique et le banc Saya de Malha, entre les Seychelles et Maurice.

Ces zones sont essentielles pour les espèces migratrices, la productivité halieutique et la connexion entre les écosystèmes. La création de zones marines protégées pourrait favoriser la protection de la biodiversité, la durabilité des pêcheries et la résilience des écosystèmes, tout en soutenant les moyens de subsistance des communautés côtières.

Les pays africains peuvent se préparer à la phase qui suivra la ratification de deux manières. Tout d'abord, les ministères chargés de l'économie bleue et de la pêche, de l'environnement, des sciences, des relations internationales et de la sécurité maritime doivent se coordonner et habiliter des points focaux. Les politiques et stratégies océaniques doivent être alignées sur les objectifs du traité.

Certains commentateurs décrivent l'accord BBNJ comme le premier cadre mondial pour la gouvernance en haute mer. Cependant il existe déjà des organisations régionales de gestion des pêches comme la Commission des thons de l'océan Indien, et d’autres structures comme l'Organisation maritime internationale et l'Autorité internationale des fonds marins. Cependant, chacune d'entre elles a ses propres mandats sectoriels ou régionaux, ce qui entraîne des lacunes et des chevauchements dans la gouvernance.

Les pays qui ratifient le traité bénéficieront des mécanismes financiers de l’accord BBNJ

Le traité BBNJ fournit un cadre global et juridiquement contraignant qui coordonne et renforce les régimes existants. Cette approche est cruciale pour la désignation et la gestion des zones marines protégées dans les eaux internationales. La COP peut établir ces zones et d'autres outils, mais doit consulter les organisations régionales de pêche lorsque les mandats se chevauchent. Les États parties au BBNJ et ces organismes régionaux doivent promouvoir les objectifs des deux instruments.

Les pays africains peuvent aussi se préparer à l’aspect de l’accord BBNJ concernant le coût probablement élevé de la gestion des zones marines protégées. Les zones strictement protégées sont généralement moins coûteuses à administrer que les zones à usages multiples. En effet, la complexité augmente le coût du suivi, de la surveillance et de l'application de la loi, activités que les pays africains ont traditionnellement du mal à mener à bien. Une solution innovante consiste à utiliser des navires de surface et des sous-marins sans équipage, qui permettent une surveillance continue et rentable de vastes zones.

Toutefois, quand une menace est détectée, des mesures coercitives doivent être prises, et les responsabilités supplémentaires peuvent s'avérer coûteuses. Une coopération régionale et internationale, des patrouilles conjointes et le partage d'informations seront nécessaires, notamment dans le cadre de l'Union africaine et des marines régionales. Cela signifie que l'Afrique doit élaborer des stratégies solides en matière de sécurité maritime et renforcer la coopération régionale.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré aux délégués de l'UNOC3 que l'Afrique était au cœur de l'action en faveur des océans. La dynamique autour du traité BBNJ offre aux États africains la possibilité d'influencer la gestion et la protection de la haute mer, en s'appuyant sur leur longue tradition en gouvernance des océans.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié