L’Afrique n’est pas prête pour un retrait des Casques bleus

La Somalie, le Mali et la RDC sont confrontés à d’importants vides sécuritaires, qui aggravent l’insécurité et la situation humanitaire.

Depuis plus de 60 ans, les opérations de maintien de la paix jouent un rôle crucial dans la stabilisation des situations fragiles en Afrique. En effet, depuis 2000, on recense plus de 13 missions dirigées par les Nations unies en Afrique et environ 27 opérations de soutien à la paix dirigées par l’Afrique qui se chiffrent en milliards de dollars par an et ont coûté la vie à des milliers de soldats de la paix.

Si ces missions n’ont pas répondu à toutes les attentes des pays hôtes, elles ont permis d’éviter l’effondrement de l’État, notamment en Somalie, au Mali et en République démocratique du Congo (RDC).

Les missions de maintien de la paix remplissent-elles pour autant leur mandat ? Au Mali, l’insécurité persistante et les exigences des putschistes de 2020 ont conduit au retrait des forces onusiennes. La poursuite des violences dans l’est de la RDC, malgré la présence continue de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) dans le pays depuis plus de 20 ans, suscite des appels similaires.  Des problèmes de financement et une impasse politique ont guidé la décision à mettre un terme à la Mission de transition de l’Union africaine (UA) en Somalie (ATMIS).

Dans ces trois pays, les appels au retrait ont été motivés par des pressions politiques locales et internationales, par des attentes nationales non satisfaites en matière d’amélioration de la sécurité et par la lassitude des bailleurs de fonds. Ces appels au retrait interpellent quant au maintien de la paix en Afrique, à l’efficacité de l’architecture mondiale du maintien de la paix et à la gestion de la perception de son rôle par l’opinion publique.

Le retrait des Casques bleus soulève des questions essentielles sur l’avenir de la gestion de la sécurité en Afrique

Le récent du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, sur les résultats des opérations de maintien de la paix, pose également ces questions. Il s’interroge sur le fait que les missions étaient ou non adaptées à leur objectif et sur la raison de l’existence d’un tel écart entre leurs mandats et leurs résultats.

Les conséquences du retrait des forces de maintien de la paix soulèvent des interrogations cruciales sur l’avenir de la gestion de la sécurité en Afrique. Le continent a-t-il la capacité de combler l’inévitable vide sécuritaire ? Les développements récents, notamment en Somalie, au Mali et en RDC, laissent à penser que le retrait des forces de maintien de la paix pourrait créer un vide sécuritaire important, entraînant une recrudescence de la violence et une détérioration de la situation humanitaire.

Depuis le début du retrait de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) en juillet dernier, l’insécurité s’est accrue dans le pays. Les affrontements entre les insurgés et l’armée nationale a repris et les insurgés ont multiplié les attaques. La situation sécuritaire fragile du Mali pourrait se détériorer pour revenir à la situation de 2012, lorsque les djihadistes ont tenté de s’emparer de plusieurs villes clés, dont Tombouctou.

Les affrontements violents se multiplient également dans l’est de la RDC. Plus de 600 personnes sont mortes dans des attaques perpétrées par des groupes armés entre avril et juin 2023. Outre la MONUSCO et la brigade d’intervention de la SADC, le déploiement militaire de la Communauté de l’Afrique de l’Est en 2022 n’a pas permis de résoudre la situation.

Les efforts nationaux et régionaux n’ont pas été à la hauteur de la gravité des menaces après le retrait des forces de maintien de la paix

En Somalie, Al-Shabaab a intensifié sa campagne de terreur contre les civils, le gouvernement et les forces de maintien de la paix depuis le début du retrait l’ATMIS en juin 2023. Parmi les incidents récents, on compte un attentat dévastateur au camion piégé à Beledweyne, qui a fait 18 morts ; des attentats suicides à la bombe à Mogadiscio, qui ont tué au moins sept civils ; et une embuscade tendue aux troupes éthiopiennes.

Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a récemment exprimé des inquiétudes quant à la possibilité pour Al-Shabaab d’exploiter les failles de sécurité à la suite du retrait de l’ATMIS. Il s’est également inquiété de la réduction et de l’arrêt prématurés des opérations de soutien à la paix de l’UA, en raison de contraintes financières, et de la fermeture de plusieurs opérations de maintien de la paix des Nations unies.

Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a récemment souligné ce point en évoquant le double attentat perpétré contre une base militaire et un ferry au Mali, alors que la MINUSMA quittait le pays. Il a déclaré que cette situation mettait en évidence la nécessité de trouver des solutions globales et durables pour éviter que la violence au Sahel ne fusionne avec les conflits de la région du lac Tchad ou ne s’étende à l’Afrique de l’Ouest.

L’aggravation de l’insécurité après le départ des forces de maintien de la paix montre la nécessité de faire preuve de circonspection dans les demandes de retrait des troupes. Il est également urgent de développer des alternatives solides pour combler le vide sécuritaire qui en résulte. Jusqu’à présent, les efforts nationaux et régionaux ne sont pas à la hauteur de la gravité des menaces qui pèsent sur le pays à la suite du retrait des forces de maintien de la paix.

Des considérations politiques, et non sécuritaires, ont influencé les appels au retrait des missions de paix

L’augmentation actuelle des opérations militaires nationales en Somalie, le déploiement de forces régionales telles que la Communauté de l’Afrique de l’Est en RDC et le recours à des entités telles que Wagner au Mali se sont révélés inadéquats. En outre, malgré près de deux décennies d’investissements, l’UA ne fait toujours pas appel à la Force africaine en attente pour diverses raisons, notamment le manque de volonté politique pour le déploiement. Et même si des contingents étaient mobilisés, des problèmes de financement entraveraient leur déploiement rapide et leur durabilité.

L’incapacité à gérer les répercussions montre que ce sont des considérations politiques plutôt que sécuritaires qui ont influencé les appels au retrait des missions de paix. Le moment choisi pour ces départs met en lumière une nouvelle réalité en matière de sécurité dans laquelle les acteurs non étatiques poursuivent leurs attaques tandis que les réponses restent insuffisantes.

Des réflexions sérieuses s’imposent. Tout d’abord, le dialogue entre l’ONU et l’UA sur le maintien de la paix devrait reconnaître que l’Afrique a besoin d’une plus grande capacité pour combler le déficit de sécurité à la suite des compressions d’effectifs. Les appels lancés par certains dirigeants et communautés d’Afrique en faveur du départ des forces de maintien de la paix ne doivent pas conduire au désengagement de la communauté internationale dans ces situations ni à l’abandon de l’Afrique à son propre sort.

Il faut envisager de mettre en place des approches continentales et régionales innovantes. Il est également urgent d’adopter une résolution-cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies pour orienter le financement par l’ONU des opérations de soutien à la paix de l’UA au moyen de contributions évaluées par l’ONU.

Deuxièmement, le moment est venu de mener un dialogue sincère entre les Nations unies et l’Union africaine, comme l’exigent le Nouvel agenda pour la Paix et le récent rapport de  Guterres sur le maintien de la paix des Nations unies. L’UA doit revoir et améliorer d’urgence son Architecture africaine de paix et de sécurité afin de préparer la Force africaine en attente à combler le déficit de sécurité. Le dialogue entre l’ONU et l’UA devrait aller au-delà du financement des missions de paix et comprendre la révision de l’approche militaire du maintien de la paix.

Dawit Yohannes, chef de projet et chercheur principal, Meressa Kahsu, chercheur principal et coordinateur de la formation Training for Peace, et Andrews Atta-Asamoah, responsable du programme Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba

Image : © JOHN WESSELS / AFP

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