Des alliances alternatives face aux défis à la sécurité en Afrique de l'Ouest ?
Le Conseil de l'Entente, politiquement neutre, pourrait rapidement relancer les partenariats sécuritaires entre le Sahel et les États côtiers.
Publié le 23 juillet 2025 dans
ISS Today
Par
Sampson Kwarkye
chef de projet, États Littoraux d'Afrique de l'Ouest, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
La coopération sécuritaire et économique en Afrique de l'Ouest a subi un coup dur avec le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en janvier. Les trois pays, gouvernés par des putschistes, ont formé un partenariat alternatif en matière de sécurité en septembre 2023 : l'Alliance des États du Sahel (AES).
Une coopération bilatérale pragmatique s'est mise en place entre l'AES et d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, tels que le Sénégal et le Togo, et, en mai, l'AES et la CEDEAO ont convenu de la nécessité de lutter ensemble contre le terrorisme. Il s'agit là de mesures positives, mais insuffisantes par rapport aux avantages des alliances institutionnelles en matière de sécurité dans une région instable.
Plusieurs régions d'Afrique de l'Ouest sont victimes du terrorisme transfrontalier, de la criminalité organisée et des conflits entre communautés locales dans les régions frontalières. L'indice mondial du terrorisme de 2025 classe le Mali, le Burkina Faso et le Niger parmi les cinq pays les plus touchés par le terrorisme dans le monde, et la violence se propage vers le sud.
La détérioration du climat sécuritaire souligne l’urgence de relancer la coopération régionale. Deux plateformes, outre la CEDEAO, pourraient contribuer à atteindre cet objectif : l'Initiative d'Accra et le Conseil de l'Entente.
L'Initiative d'Accra regroupe le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Togo, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Elle a été créée pour lutter contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée. Elle repose sur trois piliers : les opérations militaires conjointes, le partage de renseignements, et la formation du personnel de sécurité et de renseignement.
Le Conseil de l'Entente est une alternative prometteuse aux organisations régionales
Cependant, cette initiative est restée plutôt inactive ces dernières années. La dernière opération militaire conjointe remonte à 2021, et aucune future action n'est prévue. Les activités liées aux deux autres piliers ont pris fin depuis longtemps, et les représentants des États membres en poste au Secrétariat exécutif à Accra sont retournés dans leur pays d'origine.
Son immobilisme est attribuable entre autres à sa dynamique interne. Les diplomates interrogés par l'Institut d'études de sécurité (ISS) ont constaté une méfiance entre les États de l'AES et leurs voisins côtiers. Elle résulte en partie des décisions de la CEDEAO de créer une force régionale pour lutter contre les coups d'État, à la suite des renversements des gouvernements au Mali en 2020 et 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en juillet 2023.
Après le coup d'État au Niger, la CEDEAO a menacé d'intervenir militairement pour rétablir l'ordre constitutionnel. En septembre 2023, les relations se sont détériorées après que le Niger a accusé le Bénin d'avoir autorisé des déploiements pour rétablir le président déchu Mohamed Bazoum au pouvoir.
Néanmoins, la coopération reste essentielle. Les recherches de l'ISS montrent que les groupes extrémistes violents au Sahel utilisent des réseaux illicites qui opèrent à travers les États côtiers. Y mettre un terme affaiblirait considérablement les extrémistes et bénéficierait sur le plan de la sécurité tant aux pays du Sahel qu’aux pays côtiers.
Compte tenu de l'affaiblissement de la CEDEAO et de l'inactivité de l'Initiative d'Accra, le Conseil de l'Entente devient une alternative prometteuse pour une collaboration renouvelée. Basé à Abidjan et fondé en 1959, le Conseil comprend presque tous les membres de l'Initiative d'Accra, à l'exception du Ghana. Le Mali a le statut d'observateur.
En raison de sa neutralité, le Conseil est vu comme un partenaire et non comme un organe coercitif
Tout comme l'Initiative d'Accra, il est composé de trois organes principaux : la Conférence des chefs d'État et de gouvernement, le Conseil des ministres et le Comité d'experts. Son principal objectif est la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité.
L'un de ses principes fondamentaux est l'égalité souveraine et l'indépendance des États membres. Contrairement à la CEDEAO, il ne suspend ni ne sanctionne ses membres à la suite de coups d'État ou de crises constitutionnelles. Cette position politiquement neutre a probablement contribué au maintien de l'adhésion du Burkina Faso et du Niger, en parallèle à la nécessité d'une intégration économique. Il est à noter que son secrétaire exécutif adjoint est originaire du Niger.
Cet engagement en faveur de la neutralité est renforcé par le style diplomatique discret et consensuel du Conseil de l'Entente. Il engage souvent les États membres au plus haut niveau politique sur des questions sensibles tout en évitant la pression publique. Un diplomate a déclaré à l'ISS que cette approche favorise la confiance à long terme, ce qui garantit que les États membres considèrent l'organisation comme un partenaire et non comme un organe coercitif.
Le Conseil a l'habitude de réunir les acteurs régionaux pour discuter des défis communs en matière de sécurité. Depuis 2016, il organise des réunions annuelles des ministres en charge de la sécurité, précédées de consultations d'experts auxquelles participent les responsables de la police, de la gendarmerie et des agences de gestion des frontières. Ces rencontres ont permis de discuter de la menace croissante de l'extrémisme violent dans le Sahel et les régions côtières.
Au-delà de l'engagement des gouvernements, l'organisation a soutenu le partage des connaissances et des expériences entre les responsables locaux, les acteurs de la société civile et les autres parties prenantes concernées par l'extrémisme violent. Avec le soutien technique de l'ISS et le financement de la Suisse, le Conseil a organisé des ateliers régionaux sur la prévention de l'extrémisme violent à Abidjan (2018), Ouagadougou (2019) et Lomé (2023).
Le Conseil est bien placé pour lancer des processus de médiation pour rétablir la coopération
Compte tenu de sa neutralité et de ses liens durables avec l'AES et les États côtiers, le Conseil est bien placé pour initier une médiation qui pourrait progressivement rétablir la coopération. Des projets dans ce sens sont déjà en cours, de même que des réunions ministérielles et d'experts se sont tenues en 2025 afin d'examiner la mise en œuvre des stratégies nationales de prévention de l'extrémisme violent.
Des discussions ont également débuté concernant l'adhésion potentielle du Ghana à l'organisation. Cela créerait une base de membres similaire à celle de l'Initiative d'Accra, mais avec un mandat plus large et une approche opérationnelle différente. Des représentants ghanéens, dont l'actuel envoyé spécial auprès des États de l'AES, ont déjà participé aux activités du Conseil de l'Entente.
La participation continue du Burkina Faso et du Niger au Conseil révèle un certain degré de confiance dans sa neutralité et une ouverture à un dialogue renouvelé. Le Conseil est donc particulièrement bien placé pour faciliter la relance d'une coopération régionale durable en matière de sécurité.
Toutefois, il est essentiel de procéder à une évaluation indépendante et exhaustive des relations bilatérales au sein de l'organisation ainsi que de sa capacité institutionnelle à servir de médiateur dans le contexte de tensions qui prévaut. Les conclusions pourraient servir de base à un soutien ciblé pour renforcer le rôle du Conseil de l'Entente dans la paix et la sécurité régionales.
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