La SADC tente de revenir dans l’est de la RDC

Insatisfaite des opérations de la force est-africaine dans l’est de la RDC, la SADC pourrait envoyer un contingent militaire.

La décision de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) de déployer des troupes dans cette région en proie à des troubles s’explique par de profondes réticences et divergences concernant le mandat et les intentions de la force de l’Afrique de l’Est en République démocratique du Congo (RDC).

De prime abord, la décision surprend à plusieurs égards. D’abord, parce que la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EACRF) n’est arrivée dans l’est de la RDC que depuis quelques mois. Ensuite, parce que la SADC y dispose déjà de troupes, la Brigade d’intervention (FIB), avant-garde de la mission de maintien de la paix des Nations unies, MONUSCO, présente en RDC depuis plus de 10 ans.

Lors du sommet tenu à Windhoek le 8 mai, malgré ces interventions diverses, l’Organe de sécurité de la SADC ainsi que les pays contributeurs à la FIB « ont approuvé le déploiement d’une force de la SADC dans le cadre de la force en attente de la SADC à titre de réponse régionale en soutien à la RDC pour rétablir la paix et la sécurité dans l’est de la RDC ».

Derrière cette décision masque les inquiétudes de la SADC quant à l’action de l’EACRF dans l’est de la RDC. Elles reflètent, probablement sans surprise, les préoccupations exprimées par le président de la RDC, Félix Tshisekedi, qui était présent à cette réunion. Récemment, il a déclaré vouloir le départ de l’EACRF du pays d’ici juin, estimant qu’elle n’accomplit pas sa mission d’attaquer et d’expulser les rebelles du M23. Tshisekedi a aussi, à maintes occasions, dénoncé le soutien constant du Rwanda au M23.

La SADC propose une force de réserve, dotée d’hélicoptères d’attaque et d’artillerie

De lourds soupçons pèsent également sur le Burundi et l’Ouganda, membres de l’EACRF aux côtés du Kenya et du Sud-Soudan, principalement parce qu’ils traquent leurs propres rebelles cachés à l’est de la RDC.

À la veille du sommet de Windhoek, lors d’une réunion du sous-comité de la défense de l’Organe de la SADC, certains responsables se sont montrés sévères à l’égard de l’EACRF. Ils semblaient partager la position de la RDC selon laquelle la force n’est pas fidèle à sa mission et devrait se retirer.

Ils ont exprimé leur mécontentement face à la bienveillance excessive de l’EACRF envers les « terroristes du M23/RDF » (RDF, forces de défense rwandaises), une attitude mal vue par la population locale. Les responsables de la SADC ont déclaré que la population locale considérait que l’EACRF était passive, restant à l’écart, alors que des soldats rwandais prenaient le contrôle de la région. D’où le retour du M23 dans les territoires qu’il avait autrefois occupés, avec l’intention d’attaquer Goma, comme en 2012, ce qui avait alors provoqué l’intervention de la FIB.

Ils ont également rappelé un discours controversé prononcé par le président rwandais Paul Kagame à Cotonou le mois dernier. Kagame aurait déclaré que les puissances coloniales avaient cédé des parties du Rwanda à la RDC et à l’Ouganda, et que la rébellion du M23 était une question de « Congolais revendiquant leur héritage rwandais ». Les responsables de la SADC y ont vu le signe que, tout en niant soutenir le M23, Kagame tente de s’emparer du territoire de l’est de la RDC, qu’il considère comme étant rwandais.

La SAMIM fait face à des insuffisances notables sur le plan militaire

Par ailleurs, la proposition de création d’une nouvelle force par la SADC soulève la question de sa nécessité, la FIB étant déjà en place. Les membres du sous-comité de la défense ont noté l’inefficacité de la FIB due, entre autres, à l’impopularité de la MONUSCO auprès des Congolais et à la diminution des capacités de la FIB. D’autre part, le mandat de la MONUSCO, qui englobe la FIB, prend fin en 2024.

Il a été néanmoins suggéré que la SADC fasse de nouveau appel à l’ONU pour renforcer les capacités de la FIB — probablement à titre de mesure provisoire. Il a également été préconisé que la FIB soit la dernière à se retirer quand la MONUSCO quittera le pays.

Le rapport recommande la mise en place d’une force de réserve de la SADC, composée d’une brigade et dotée d’hélicoptères d’attaque et d’artillerie, pour lutter contre le M23 et d’autres groupes rebelles armés qui sévissent dans la région. C’est cette recommandation, du moins en principe, que le sommet a adoptée. Les participants n’ont pas indiqué quels pays de la SADC devraient fournir des troupes ni quand la force devrait être déployée, bien que l’accent ait été mis sur l’urgence de stabiliser l’est de la RDC avant les élections nationales de décembre.

De nombreuses interrogations demeurent, en particulier sur les capacités de la SADC. En effet, la mission de la SADC au Mozambique (SAMIM), déployée en juillet 2021 pour neutraliser les insurgés à Cabo Delgado, connaît des difficultés liées à des insuffisances militaires. Pierre Boisselet, chercheur au Congo Research Group, s’interroge sur le soutien de tous les pays de la SADC à la force d’interposition. Le Mozambique pourrait s’y opposer, étant donné qu’il dépend des forces rwandaises pour contenir les insurgés. Quant au président angolais Joao Lourenco, il a participé activement à des tentatives de réconciliation entre Tshisekedi et Kagame.

Existe-t-il une stratégie politique régionale pour une d’intervention militaire ?

Reste l’éternelle question du financement, qui domine actuellement les débats au Conseil de sécurité des Nations unies sur les missions de paix africaines. D’où viendrait l’argent puisque la SADC a déjà fait appel à des sources extérieures pour financer la SAMIM ? Pour Boisselet, le véritable enjeu réside dans l’après-MONUSCO. Il semble que la SADC veuille faire partie du tableau, voire prendre le relais de la MONUSCO et hériter de son financement.

Le rapport du sous-comité de la défense va bien au-delà d’une simple allusion à ce sujet. Il note qu’en septembre 2022, les ministres de la Défense de la SADC ont demandé la révision et la finalisation d’un plan visant le déploiement d’une force de la SADC en RDC, de la taille d’une division, suite au retrait de la MONUSCO et de la FIB.

La proposition du 8 mai pourrait s’expliquer par l’ambition de l’Afrique du Sud de retrouver son influence dans la région. Il est difficile de savoir dans quelle mesure les points de vue exprimés dans le rapport du sous-comité de la défense sont partagés par la hiérarchie. De plus, de nombreuses autres questions restent en suspens.

Tshisekedi serait-il en pleine « course judiciaire », cherchant désespérément qui, entre l’EACRF et la SADC, pourrait l’aider à vaincre le M23 et augmenter ainsi ses chances de réélection en décembre ? Et la SADC se laissera-t-elle prendre au jeu ? Le bloc régional a-t-il une stratégie politique qui sous-tend sa proposition d’intervention militaire ?

Ce qui est certain, c’est que le grand sommet que la troïka de la SADC a proposé pour coordonner toutes les interventions et qui réunira la SADC, la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), pourrait donner lieu à des débats complexes et houleux.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Guerchom Ndebo/AFP

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