La Communauté de l’Afrique de l’Est peut-elle stabiliser l’est de la RDC ?

Le premier déploiement militaire du bloc dans un État membre permettra de tester sa capacité à résoudre des conflits complexes.

Alors que les affrontements s’intensifiaient entre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et les forces armées de la République démocratique du Congo (RDC) au Nord-Kivu, l’Union africaine (UA) a appelé le 30 octobre à un dialogue urgent entre les deux parties. Les combats ont fait des morts et, provoqué des déplacements internes, les citoyens fuyant les violences.

Sous la direction du Kenya, la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) a pris des mesures audacieuses pour résoudre la crise dans l’est de la RDC. Cet engagement diplomatique du bloc régional intervient après que la RDC a rejoint la CAE en mars dernier, devenant ainsi son septième État membre.

Ce conflit qui dure depuis des décennies implique aujourd’hui plus d’une centaine de groupes armés actifs. Il trouve son origine dans la crise massive des réfugiés provoquée par le génocide de 1994 au Rwanda, qui a entraîné le déplacement de personnes et de génocidaires armés dans la région. En l’absence d’armée et d’un gouvernement congolais forts, les groupes rebelles ont prospéré. Les pays voisins, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, en ont profité pour poursuivre leurs ennemis et maintenir leurs intérêts économiques dans cette région agitée, en tirant parti de ses immenses quantités de ressources naturelles.

Le 20 juin, l’ancien président kenyan Uhuru Kenyatta, aujourd’hui envoyé pour la paix du Kenya, a convoqué une conférence de paix (le Processus de Nairobi) réunissant les dirigeants de la CAE. Ces derniers se sont engagés à déployer une force régionale dans l’est de la RDC pour appuyer les combats contre les groupes armés. Sous la direction de Kenyatta, le Kenya a pris la tête des efforts diplomatiques et militaires.

C’est la première fois que la CAE envoie des contingents militaires dans l’un de ses États membres. Ce déploiement sera un test décisif en permettant de jauger de la capacité du bloc à gérer des défis politiques et sécuritaires complexes.

Combiner l’action militaire et diplomatique est un avantage pour la CAE

La force régionale — qui comprend des contingents du Burundi, du Kenya, de l’Ouganda et du Soudan du Sud — aura pour mission d’aider les forces armées de la RDC à « contenir, vaincre et éradiquer les ʽforces négatives’ » dans l’est du pays. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) assurent le commandement général des opérations. Soutenues par les contingents de la CAE, les FARDC devraient se concentrer sur quatre provinces : le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Haut-Uélé et l’Ituri. La force de la CAE dispose d’un mandat de six mois renouvelable, soumis à des réévaluations stratégiques bimensuelles.

Cette décision a été motivée par la montée des tensions politiques et sécuritaires dans l’est de la RDC, où les groupes armés se multiplient, avec une résurgence notable du M23 qui aurait bénéficié du soutien du Rwanda et, dans une moindre mesure, de l’Ouganda.

Le processus de paix de la CAE met en lumière la capacité de résolution des conflits du bloc. La réussite des opérations dépendra de la résolution des difficiles problèmes politiques, sécuritaires et économiques qui prévalent dans l’est de la RDC, ce qui ne se produira probablement pas de sitôt.

La CAE présente cependant certains avantages. Contrairement aux différentes initiatives menées par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) depuis 1998 en RDC, son intervention s’inscrit pleinement dans le cadre politique de la subsidiarité. Ce principe donne la priorité au rôle des organes régionaux dans la résolution des crises qui relèvent de leur compétence.

Or, tous les pays qui bordent l’est de la RDC (le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi) sont membres de la CAE. Toute solution les impliquant devrait avoir plus de chances de succès, compte tenu de l’imbrication de leurs intérêts politiques, économiques et sécuritaires au fil des ans.

Le mandat offensif de la force de la CAE lui permet d’engager des groupes armés

Une recherche récente de l’Institut d’études de sécurité (ISS) montre que les dirigeants est-africains comprennent mieux la crise actuelle. Armés de la volonté politique nécessaire, ils sauraient quels leviers actionner et pourraient interpeller leurs homologues récalcitrants qui tentent de faire échouer le processus.

La combinaison de l’action militaire et de l’action diplomatique est une autre caractéristique positive de l’initiative de la CAE. Le dialogue politique et le consensus sont essentiels – et peuvent être soutenus par le Processus de Luanda lancé en juillet. Facilité par l’Angola, ce processus est une initiative de médiation entre la RDC et le Rwanda. Sa composante militaire vient compléter les efforts entrepris pour stabiliser la région et mettre sur pied des FARDC efficaces et professionnelles, capables de sécuriser leurs frontières.

La force de la CAE dispose d’un mandat fort et offensif, lui permettant d’engager des groupes armés. C’est l’opportunité de s’attaquer aux limites de la Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUSCO) et des forces de la Brigade d’intervention de la force qu’elle a absorbées.

Cependant, la force de la CAE doit tirer les leçons des expériences de déploiements similaires, notamment des missions de l’UA en Somalie et de la SADC au Mozambique, du G5 Sahel et de la Force multinationale mixte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Elle doit se pencher en particulier sur la nécessité de se doter d’une coordination stratégique, de partenaires locaux, d’un soutien à la consolidation de la paix et de ressources adéquates.

Dans une région aussi complexe que l’est de la RDC, les défis que doit relever la CAE pourraient bien l’emporter sur les avantages. Il faut, entre autres, garantir les ressources financières, techniques et humaines à un processus politique solide qui puisse s’attaquer aux causes profondes de la crise, à savoir les problèmes de gouvernance et institutionnels de la RDC.

Toute solution durable doit impliquer le Rwanda, qui est exclu de la force régionale de la CAE

Un autre test consistera à répondre aux préoccupations des pays en matière de sécurité tout en s’attaquant aux épineux problèmes d’appartenance ethnique, d’accès à la terre, de justice et d’équité dans l’est de la RDC. Les engagements pris auprès des communautés devront compléter la médiation internationale et la consolidation de la paix.

La tâche la plus difficile consistera probablement à restaurer la confiance entre les pays. Les relations entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda sont mauvaises, la RDC accusant ses deux voisins de soutenir le M23. Il sera nécessaire de s’investir dans des efforts diplomatiques de grande envergure et de longue haleine pour inverser cette situation.

Les tensions actuelles entre le Rwanda et la RDC, qui ont conduit à l’expulsion de l’ambassadeur du Rwanda en RDC, ne sont d’aucun secours. L’incapacité à résoudre le conflit pourrait déclencher une nouvelle crise. Toute solution durable doit impliquer le Rwanda, qui a été exclu de la force régionale de la CAE. Et si les relations du Rwanda avec l’Ouganda s’améliorent, ses liens avec le Burundi restent médiocres, bien que la frontière entre les deux pays ait été récemment rouverte.

Sur le terrain, la dynamique militaire est tout aussi délicate. Les déploiements de contingents ougandais et burundais dans l’est de la RDC en novembre et décembre 2021  — pour combattre leurs ennemis respectifs, à savoir les Forces démocratiques alliées et RED Tabara — ont été officialisés dans le cadre du Processus de Nairobi de la CAE. Mais le Rwanda reste sensible à leur présence dans une zone qu’il considère comme vitale pour sa sécurité. En outre, le gouvernement de la RDC a autorisé l’Ouganda à déployer des militaires dans l’est de la RDC, mais pas le Rwanda, compliquant ainsi la situation.

La force régionale de la CAE doit définir son champ d’engagement, clarifier les rôles des différents contingents, mettre en place des structures de commandement et de contrôle, établir des mesures de supervision et assurer la coordination avec la MONUSCO et la Brigade d’intervention de la force.

Il convient également d’expliciter les allégations selon lesquelles les FARDC auraient collaboré avec des « forces négatives », notamment avec certains groupes Maï-Maï et avec les rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, dans le cadre de leurs opérations anti-M23.

Pour que le processus de la CAE réussisse, il doit être coordonné avec d’autres initiatives régionales et internationales dont la RDC fait partie. Cela peut se faire sous l’égide du Cadre de paix et de sécurité de la RDC et de la région des Grands Lacs, actuellement présidé par le président de la RDC, Félix Tshisekedi.

Ces mesures diplomatiques sont vitales. À défaut, l’engagement de la CAE risque de mettre de l’huile sur le feu dans l’est de la RDC, déjà surmilitarisé, sans pour autant contribuer à rétablir la paix et la stabilité.

Koffi Sawyer, consultant principal en recherche, ISS Pretoria

Image : Presidence_RDC/Twitter

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