Que révèlent les manifestations sur le maintien de la paix de l’ONU en Afrique ?

Les manifestations violentes en RDC et au Mali mettent en lumière des aspects fondamentaux des missions de paix qui doivent évoluer.

Ces derniers mois, deux missions de maintien de la paix des Nations unies en Afrique ont fait l’objet de violentes protestations de la part des populations locales qu’elles sont censées protéger. Au Mali et en République démocratique du Congo (RDC), les manifestants ont exigé le retrait immédiat de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

Même si ces manifestations reposent sur des motivations propres à chaque pays, elles sont révélatrices de la crise qui touche les opérations de maintien de la paix de l’ONU en Afrique et au-delà. Cette crise est due à deux facteurs sous-jacents : l’efficacité opérationnelle limitée des missions, en particulier contre les menaces non traditionnelles telles que le terrorisme, et l’érosion des principes fondamentaux du maintien de la paix de l’ONU, notamment le consentement du pays hôte et la légitimité des opérations aux yeux des populations locales.

Dans ce contexte de protestation, une dynamique se forme autour de l’appel du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, en faveur d’un nouvel agenda pour la paix qui incarne « un regain d’efforts pour convenir de réponses plus efficaces aux fins de la sécurité collective et d’un ensemble de mesures permettant de gérer les risques émergents ». Ce mouvement offre une excellente occasion d’évaluer le maintien de la paix de l’ONU sur la base d’un examen critique des défis auxquels les missions sont confrontées.

La MONUSCO a été déployée en RDC en 1999 et la MINUSMA au Mali en 2013, après des soulèvements dans les deux pays. Leur rôle était d’aider les pays hôtes à instaurer la paix et la stabilité. Elles ont toutes deux fait l’objet d’une reconnaissance et d’une coopération variables, et parfois limitées, de la part des gouvernements hôtes.

Aucune des deux missions ne donne la priorité au dialogue et à une approche de la protection axée sur les personnes

Le mandat actuel de la MONUSCO s’articule autour de deux priorités : la protection des civils et l’aide au renforcement des institutions de l’État. La mission mobilise 13 500 soldats, 1 600 policiers et 2 970 civils, avec un coût opérationnel annuel de plus d’un milliard de dollars US.

Les quatre priorités de la MINUSMA sont de soutenir la mise en œuvre de l’accord de paix et de réconciliation au Mali, d’aider à stabiliser le pays et à restaurer l’autorité de l’État, de protéger les civils et de fournir une assistance humanitaire. Cette mission réunit 13 289 soldats et 1 920 policiers. Comme la MONUSCO, elle peut utiliser tous les moyens nécessaires pour mettre en œuvre ses mandats.

Malgré la présence de ces missions de paix et d’autres déploiements d’acteurs internationaux en parallèle, l’instabilité reste forte dans les deux pays. L’escalade de la violence a engendré d’immenses souffrances pour les populations, qui s’élèvent aujourd’hui contre les missions.

En RDC, la MONUSCO se voit reprocher de ne pas avoir protégé la population contre les attaques de militants armés. De même, la MINUSMA a été accusée au Mali de ne pas avoir fait grand-chose pour protéger la population des attaques essentiellement menées par des groupes affiliés à l’État islamique. Dans la mesure où la protection des civils incombe en premier lieu à la police et à l’armée des deux pays, certains analystes estiment qu’il est malavisé de rejeter la responsabilité de l’insécurité sur les missions de paix.

Les deux missions ont été mêlées à des calculs politiques troubles dans leurs pays hôtes

Aucune des deux missions ne donne la priorité au dialogue politique et à une approche de la protection axée sur les personnes, contrairement aux recommandations du rapport 2015 du Groupe indépendant de haut niveau chargé d’étudier les opérations de paix de l’ONU et de l’Action pour le maintien de la paix. À un certain niveau, les critiques sont donc recevables.

Les deux missions se sont également trouvées mêlées à des calculs politiques troubles dans leurs pays hôtes, certains responsables locaux ayant attisé des sentiments hostiles à leur encontre dans certains segments de la population.

Al Jazeera a rapporté en juillet que « les manifestations en RDC étaient dirigées par une faction de l’aile jeunesse du parti au pouvoir du président Félix Tshisekedi [l’Union pour la démocratie et le progrès social] ». Selon les responsables de l’ONU, la mission en RDC a été victime d’une campagne de désinformation bien organisée visant à la stigmatiser, voire la contraindre à un départ prématuré.

De même, des manifestations contre la MINUSMA auraient été organisées par Yerewolo Standing on the Ramparts, un mouvement de la société civile hostile à l’Occident et à la MINUSMA et favorable au gouvernement militaire qui s’est emparé du pouvoir en 2020. Les manifestants ont accusé la mission de paix de porter atteinte à la souveraineté du Mali. Yerewolo a également organisé des manifestations contre la présence militaire de la France au Mali qui ont pu contribuer au retrait des soldats français au début de 2022.

Les manifestations montrent les limites des grands principes du maintien de la paix de l’ONU, en particulier le consentement

Les rivalités géopolitiques mondiales ont exacerbé le mécontentement local à l’égard des missions de paix. L’Afrique est devenue un champ de bataille dans un ordre mondial en pleine mutation – opposant la France à la Russie, dans le cas du Mali. Yerewolo soutient la présence de paramilitaires et de mercenaires russes dans le pays. Lors d’un rassemblement organisé le 22 septembre à Bamako, les manifestants ont brandi les drapeaux du Mali et de la Russie et ont scandé des slogans contre la MINUSMA.

Les deux missions ont également dû faire face à des rivalités régionales et à des environnements difficiles sur le plan de la sécurité. En RDC, le gouvernement du Rwanda est accusé d’attiser les flammes du conflit. Au Mali, l’ancrage régional du terrorisme et de l’extrémisme violent au Sahel a posé des difficultés à la mission de l’ONU.

Les protestations amplifient le sentiment de crise dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU en Afrique, soulevant des questions essentielles sur leur avenir. Confrontées à la résistance locale, au manque de coopération des gouvernements hôtes et à l’insécurité croissante causée par les insurgés et les terroristes, les deux missions ont peiné à mettre en œuvre leur mandat.

Ces manifestations montrent également les limites des principes cardinaux du maintien de la paix de l’ONU, à savoir le consentement, l’impartialité et le non-recours à la force. Le consentement des principales parties au conflit est essentiel pour donner aux missions de paix la légitimité et la liberté dont elles ont besoin pour exécuter leurs tâches. Or, ce consentement semble s’amenuiser.

Pour lever les obstacles opérationnels auxquels se heurtent les missions de l’ONU telles que la MONUSCO et la MINUSMA, il faut un dialogue politique entre les acteurs nationaux et internationaux et les populations locales. Une telle démarche est essentielle pour assurer une meilleure protection, favoriser la compréhension et renforcer la confiance. Les normes de maintien de la paix devront être révisées pour intégrer ces enseignements.

À l’heure où l’ONU élabore un nouvel agenda pour la paix, un point s’impose sur l’état de ses opérations de maintien de la paix. Le rapport d’António Guterres constate que la paix et la sécurité collectives sont menacées par des risques émergents auxquels les formes traditionnelles de prévention, de gestion et de résolution sont mal adaptées.

Les efforts pour modifier l’approche actuelle du maintien de la paix doivent intégrer la primauté de la politique, l’importance de la diplomatie préventive et une perspective axée sur les personnes. La planification d’un nouvel agenda pour la paix constitue un bon point de départ pour réviser les principes et les méthodes d’un maintien de la paix efficace.

Meressa K Dessu, chercheur principal et coordinateur de la formation, et Dawit Yohannes, chef de projet et chercheur principal, ISS Addis-Abeba

Image : © Moses Sawasawa/AP

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Cet article est publié dans le cadre du programme de formation pour la paix (TfP), financé par le gouvernement norvégien. l’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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