Défendre la démocratie à la sénégalaise
Le peuple sénégalais s’est battu pour protéger sa démocratie, sans attendre l'armée ou une aide extérieure.
Après trois années tumultueuses, les présidentielles sénégalaises de mars se sont soldées par l'élection de Bassirou Diomaye Faye à la tête du pays. La crise politique était liée à l'incertitude concernant la candidature de l'ancien président Macky Sall à un troisième mandat, en raison d'interprétations divergentes de la limite de deux mandats stipulée dans la Constitution.
La décision de Sall de reporter les élections, initialement prévues pour février, a aggravé les tensions politiques. Elle a provoqué des affrontements et des manifestations qui ont fait 16 morts en juin de l'année dernière et trois en février de cette année, mettant à l’épreuve la stabilité et l’image du Sénégal, perçu comme un emblème de la démocratie en Afrique de l'Ouest.
Nombreux ont été ceux, au Sénégal ou ailleurs, qui ont alors perdu confiance en la démocratie sénégalaise. Selon Afrobaromètre, bien que 84 % des Sénégalais préfèrent cette forme de gouvernement, seuls 48 % d'entre eux étaient satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays en 2022, contre 64 % en 2014. En effet, plus de la moitié des personnes interrogées pensent que le Sénégal est moins démocratique qu'il y a cinq ans. Seuls 24 % des Sénégalais s'attendent à plus de démocratie dans cinq ans.
La démocratie sénégalaise est un brillant exemple en Afrique de l'Ouest. Son effondrement aurait été catastrophique non seulement pour la démocratie dans la région, mais aussi pour la paix et la stabilité. L'Afrique de l'Ouest traverse une période de turbulences, avec plusieurs prises de pouvoir militaires et une détérioration de la sécurité. Depuis 2020, on a pu assister à six coups d'État réussis, notamment au Niger, en Guinée, au Mali et au Burkina Faso. La Guinée-Bissau et la Sierra Leone ont connu des tentatives de coup d'État.
Le nouveau gouvernement doit rétablir la confiance dans la démocratie
L'augmentation des abus commis par les dirigeants de la région qui, malgré les protestations de l'opinion publique, ont modifié leur constitution et se sont disputés des troisièmes mandats controversés, a également nui à la gouvernance. La Guinée et la Côte d'Ivoire en sont des exemples.
Les citoyens sénégalais ont fait preuve de résilience au milieu de l'incertitude et leur défense de la démocratie a été louable. Les protestations et manifestations de masse de la société civile, des partis d'opposition, des femmes, des jeunes, des syndicats et du monde universitaire ont contribué à la décision de Sall d'abandonner toute intention de briguer un troisième mandat. Les protestations contre le report des élections ont peut-être influencé la décision du Conseil constitutionnel de faire respecter la loi et de s'opposer à l'élection présidentielle.
Cela met en évidence l'importance et le pouvoir des citoyens pour sauvegarder leur constitution et leur démocratie. Les Sénégalais n'ont pas attendu l'intervention de l'armée et n'ont pas demandé d'aide extérieure. Au contraire, un soulèvement civil a contraint les autorités compétentes à prendre les mesures qui s'imposaient. Il s'agit là d'une leçon utile pour les autres pays de la région, en particulier lorsque des violations constitutionnelles similaires se produisent.
Une nouvelle étude sur le Sénégal réalisée par le programme Afriques futures et innovation de l'Institut d'étude de sécurité montre qu'une meilleure gouvernance, grâce à plus de sécurité, au renforcement des capacités gouvernementales et à une plus grande inclusion, peut conduire à un développement durable. D'ici 2043, l’amélioration de la gouvernance conduirait à une augmentation du PIB du pays de 558 dollars US, soit une hausse de 8,4 % par rapport aux prévisions de la trajectoire actuelle, ou un scénario de maintien du statu quo.
Les contrôles législatifs et judiciaires sur l'exécutif et les équilibres sont faibles
De même, elle permettrait à 1,1 million de Sénégalais supplémentaires de sortir de l'extrême pauvreté d'ici 2043. Pour y parvenir, il faudra mettre en œuvre de vastes réformes visant à combler le déficit de confiance du gouvernement et à renforcer les institutions.
Le nouveau gouvernement doit d'abord rétablir la confiance dans la démocratie. Bien que le Sénégal dispose d'institutions relativement solides et d'une armée apparemment apolitique, de nouvelles réformes de la gouvernance renforceraient sa démocratie.
Les événements qui ont précédé les élections ont révélé la faiblesse des mécanismes de contrôle, en particulier des contrôles législatifs et judiciaires sur l'exécutif. La décision de Sall de reporter les élections, confirmée par l'Assemblée nationale, en est la preuve. Cela confirme également les résultats de l'Afrobaromètre selon lesquels, en 2022, 57 % des Sénégalais pensaient que leur président ignorerait toujours les tribunaux. L'indice Ibrahim de la gouvernance africaine confirme que les contrôles législatifs et judiciaires sur l'exécutif ont diminué au fil des ans.
Pour inverser cette tendance, des réformes constitutionnelles et institutionnelles sont nécessaires afin de renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire et législatif. Cela permettra d'améliorer l'équilibre des pouvoirs et de limiter les abus de l'exécutif. Par ailleurs, le pouvoir du président de fixer une date d'élection sur la base d'une proposition de l'administration électorale devrait être aboli. Les dates des élections, et pas seulement la période pendant laquelle les élections doivent se tenir, devraient être inscrites dans la Constitution afin d'éviter les reports.
La Commission électorale nationale autonome devrait avoir plus de pouvoir
Le rôle du ministère de l'Intérieur dans le processus électoral devrait également être réduit. Le pouvoir qui lui est conféré de dissoudre les partis peut être utilisé abusivement pour cibler les partis d'opposition. Davantage de pouvoirs devraient être dévolus à la Commission électorale nationale autonome pour gérer les élections et superviser l'administration des processus électoraux.
Au-delà de ces mesures, le nouveau gouvernement doit renforcer les institutions anti-corruption et leur donner les moyens de lutter contre la corruption. Il doit également créer un environnement favorable aux médias et aux organisations de la société civile afin de protéger durablement la démocratie sénégalaise.
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