L’Afrique du Sud tente de donner un nouveau souffle à ses relations est-africaines
Pretoria a négligé ses liens bilatéraux avec l’Afrique de l’Est ainsi que les questions régionales.
Ce n’est pas une coïncidence si l’Afrique du Sud reçoit deux visites officielles coup sur coup, du président ougandais Yoweri Museveni, il y a quinze jours, et de la présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan, cette semaine. « Nous essayons de revitaliser nos relations avec l’Afrique de l’Est », a déclaré un fonctionnaire sud-africain qui a demandé à rester anonyme. « Elles ont été négligées pendant trop longtemps. »
En effet, la dernière visite officielle de Museveni en Afrique du Sud remonte à onze ans. Dans le cas de la Tanzanie, le dernier voyage de son président qui était alors Jakaya Kikwete date de 2011. Les tendances pour le moins autarciques de son successeur, feu le président John Magufuli, ont probablement contribué à l’absence de contacts de haut niveau depuis lors. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’était toutefois rendu à Dodoma en 2019.
Les visites officielles entre l’Afrique du Sud et le Kenya ont été un peu plus régulières. Le président de l’époque, Uhuru Kenyatta, était venu à Pretoria en novembre 2021, et Ramaphosa lui avait rendu la pareille en rencontrant le nouveau président, William Ruto, un an plus tard.
Compte tenu de l’importance économique de l’Afrique du Sud et de l’Afrique de l’Est sur le plan régional, cette « négligence » s’est révélée très coûteuse. Dans un communiqué conjoint publié à l’issue de leur rencontre, Ramaphosa et Museveni ont déploré le déclin de la présence commerciale de l’Afrique du Sud en Ouganda et ont créé un mécanisme pour y remédier.
« Négliger » les relations avec l’Afrique du Sud et l’Afrique de l’Est est coûteux
Des sources ont déclaré à ISS Today, sous le couvert de l’anonymat, qu’environ la moitié des quelque 70 entreprises sud-africaines en Ouganda avaient fermé ces dernières années. Principalement en raison de l’introduction par Museveni de mesures pour protéger les entreprises ougandaises, notamment en imposant que certains produits soient fabriqués localement.
Les deux présidents ont également déploré que l’accord sur la zone de libre-échange tripartite (TFTA) ne soit toujours pas opérationnel, et ce, huit ans après sa signature, en raison du nombre insuffisant de ratifications. Cet accord vise à fusionner la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et le Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA). Le manque apparent d’enthousiasme pour le libre-échange n’augure rien de bon pour la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Ramaphosa, Museveni et Hassan ont déclaré espérer que leurs pays bénéficieraient du libre-échange.
Les acteurs du commerce sud-africain présents en Afrique de l’Est affirment en privé ne pas rencontrer les mêmes problèmes de protectionnisme en Tanzanie ou au Kenya qu’en Ouganda, tout en reconnaissant que les échanges commerciaux entre les deux pays pourraient s’améliorer. Lors de la visite de Hassan, la présidente tanzanienne, 220 chefs d’entreprise des deux pays ont participé à un forum d’affaires.
Hassan a certainement permis aux deux pays de relancer le dialogue politique et de la société civile en assouplissant les mesures répressives imposées par Magufuli. On ne peut pas en dire autant de Museveni, et Ramaphosa s’est exposé aux critiques des défenseurs des droits humains pour avoir accueilli un dirigeant qui réprime les opposants politiques et la communauté homosexuelle.
En assouplissant la répression de Magufuli, Hassan a permis le dialogue avec l’Afrique du Sud
La politique régionale regorge également de sujets à aborder. Les soldats tanzaniens et sud-africains se battent côte à côte au sein de la Brigade d’intervention de la force des Nations unies dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et de la Mission de la SADC au Mozambique (SAMIM). Pourtant, l’Afrique du Sud a semblé surprise par la décision de la Tanzanie de déployer 300 policiers dans la province mozambicaine de Cabo Delgado, déchirée par les conflits, à la fin de l’année dernière.
Ramaphosa a examiné la question de l’instabilité chronique dans l’est de la RDC avec Museveni et Hassan, sans toutefois révéler le contenu de leurs discussions. L’une des conséquences de ces communications plutôt distantes est que l’Afrique du Sud – et une grande partie de la SADC – a semblé prise au dépourvu lorsque la force de maintien de la paix de la CAE dans l’est de la RDC a été annoncée l’année dernière.
Il est difficile d’imaginer que les discussions sur l’est de la RDC n’aient pas également porté sur le Rwanda, que la RDC et d’autres pays accusent de fournir, entre autres, un soutien militaire aux rebelles du M23, revigoré. Lorsque la Brigade d’intervention de la force avait combattu dans l’est de la RDC il y a dix ans, elle avait été considérée comme un soutien de la SADC à un de ses États membres, la RDC, pour repousser le Rwanda en s’attaquant à son intermédiaire, le M23 – et la brigade d’intervention y était parvenue.
Il semble que l’on soit revenu dix ans en arrière, le Rwanda étant à nouveau accusé de soutenir le M23 dans une région toujours aussi chaotique. L’agression apparente du Rwanda est un problème pour beaucoup d’acteurs, en particulier pour l’Afrique du Sud, en raison des nombreuses tentatives d’assassinat par Kigali de ses opposants politiques exilés dans le pays.
Il est difficile d’imaginer que les discussions sur l’est de la RDC n’aient pas porté sur le Rwanda
Pretoria n’a pas caché son mécontentement concernant l’intervention du Rwanda dans la province mozambicaine de Cabo Delgado, avant même l’arrivée de la SAMIM. « Ils s’inquiètent certainement du fait que le Rwanda est en train de sécuriser toutes les zones où se trouvent les ressources minières au Mozambique », a observé un analyste qui a exigé de rester anonyme. « Le Rwanda est également présent en République centrafricaine. Le Rwanda fait cavalier seul sur le front du maintien de la paix et c’est là, je pense, que réside la plus grande menace pour l’Afrique du Sud. »
Welile Nhlapo, ancien diplomate sud-africain, a déclaré à ISS Today qu’il semblait désormais que l’Angola – qui a participé aux efforts de paix dans l’est de la RDC par l’intermédiaire de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) – pourrait également déployer une force de maintien de la paix dans cette région. Cela viendrait compliquer davantage la situation.
Il a noté que l’instabilité dans l’est de la RDC, qui dure depuis près de 30 ans, est à l’origine des problèmes de l’ensemble de la région. Elle découle de l’incapacité du Rwanda et aussi de la RDC à étendre leur gouvernance à l’ensemble de leur territoire. « Nous devrions donc tous nous préoccuper de ce qui se passe en RDC », déclare Nhlapo, en particulier à l’approche des élections, dont on ne sait pas exactement comment elles vont se dérouler.
Selon le diplomate, les Nations unies, l’Union africaine (UA) et les organismes régionaux – la SADC, la CAE, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et la CIRGL – devraient se mettre d’accord sur un mécanisme permettant de coordonner les réponses et de trouver une solution commune. Cela ressemble fort au Cadre de paix, de sécurité et de coopération de 2013 pour la RDC et la région, accepté par toutes les parties la dernière fois que le M23 avait fait parler de lui dans l’est de la RDC.
Dans le communiqué publié à l’issue de leur rencontre du 16 mars, Ramaphosa et Hassan ont félicité la SADC et la CAE pour avoir déployé des forces en RDC et ont salué la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’UA du 17 février. Cette réunion a permis de réaffirmer que le cadre de 2013 était « un instrument viable » et a demandé à l’UA, en collaboration avec les organismes régionaux et les Nations unies, de « travailler d’urgence à la revitalisation de l’accord-cadre ».
Paul-Simon Handy, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant de l’Institut d’études de sécurité (ISS) auprès de l’UA, a récemment demandé que ce cadre soit correctement mis en œuvre. Peut-être que, comme le suggère Nhlapo, ce qu’il faut maintenant, c’est décider rapidement qui exactement doit coordonner cet effort.
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : © Twitter-PresidencyZA
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