La SADC et le Rwanda ne devraient pas faire cavalier seul au Mozambique

Toutes les forces armées en présence doivent s’entendre sur une vision commune pour mettre fin à la crise dans le Cabo Delgado.

Les contingents militaires déployés par le Rwanda et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont enregistré d'importants succès dans le nord du Mozambique, où une insurrection sévit depuis la fin de l’année 2017. Certaines routes ont été rouvertes, et un semblant de calme est revenu dans plusieurs districts clés pour des projets d’exploitation de gaz naturel liquéfié, comme Palma et Mocímboa da Praia.

Cependant, des attaques sont encore à déplorer dans la province du Cabo Delgado, et l’Agence des Nations unies pour les réfugiés a déclaré qu’il serait prématuré d’encourager les personnes déplacées à rentrer chez elles.

Afin de dénouer la crise en cours, il est nécessaire d’adopter une vision commune de la stabilité à long terme de la région, qui intégrerait toutes les parties prenantes au Mozambique. Actuellement, environ 2 000 soldats rwandais assurent la sécurité des districts de Palma et de Mocímboa, qui abritent des projets gaziers (voir la carte ci-dessous). La Mission de la SADC au Mozambique (SAMIM) est quant à elle à l'œuvre dans trois autres districts, les forces mozambicaines étant responsables de sécuriser le reste de la province.

Répartition territoriale des activités entre la SAMIM et les forces rwandaises (mars 2022)

 Répartition territoriale des activités entre la SAMIM et les forces rwandaises (mars 2022) Source : Institut d’études de sécurité
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Selon les documents officiels de l’Union africaine (UA), le déploiement de la SADC entre dans le cadre de la Force africaine en attente. Cependant, il n’y a eu jusqu’ici que peu de concertation entre la SADC et l’UA à ce sujet.

Ce n’est que récemment, c’est-à-dire six mois après le déploiement du contingent régional, alors que les fonds commençaient à manquer, que l’organisation de l’Afrique australe a pris attache avec l’Union africaine. Ce faisant, la SADC a fait abstraction de sa méfiance historique à l’égard de l’UA et de son fort attachement au principe de subsidiarité — ce qui implique, en l’occurrence, que la SADC assume en général un rôle de leadership sur les questions de sécurité.

La SADC n’a pas non plus eu de discussions de haut niveau avec le Rwanda au sujet de sa présence à Cabo Delgado. Le Rwanda estime que l’éradication du terrorisme dans la province est essentielle à sa sécurité. Les tensions entre la SADC et le Rwanda sont apparues au début de l’année 2019 à l'issue du processus électoral en République démocratique du Congo. Bien que le président Paul Kagame ait tendu la main à diverses reprises à certains pays clés de la SADC, les inquiétudes persistent.

La SADC n’a pris attache avec l’UA que six mois après le déploiement de la SAMIM, lorsque les fonds commençaient à manquer

Le 3 avril 2022, les ministres de l’Organe de la SADC pour la coopération en matière de politique, défense et sécurité se sont réunis à Pretoria pour discuter de la mission avec des représentants des principaux pays fournisseurs de contingents et du Mozambique. Il est probable que les chefs d’État de ces pays approuveront une prolongation de la mission pour trois mois supplémentaires, jusqu’au 15 juillet 2022.

Comme ce fut le cas pour chacune des réunions précédentes de la SADC concernant la situation dans le nord du Mozambique, le Rwanda n’a pas été convié. Le chef de la SAMIM, le professeur Mpho Molomo, a rassuré les États membres sur la coordination des contingents militaires de la mission et les forces rwandaises sur le terrain. Toutefois, aucune discussion politique de haut niveau n’a eu lieu entre les chefs d’État des pays concernés.

Les recherches de l’Institut d’études de sécurité révèlent de profondes divisions au sein de la population mozambicaine concernant le déploiement des troupes rwandaises et de la SADC. Les organisations de la société civile questionnent notamment la transparence et le financement du déploiement rwandais.

L’UA peut contribuer à la réussite des « solutions africaines » au Mozambique. En effet, elle dispose de l’expérience requise en la matière et la plupart de ses résolutions soulignent la nécessité de s’attaquer aux causes de l’extrémisme violent. Néanmoins, ses États membres adhèrent rarement à de telles politiques et certains considèrent la coordination entre les communautés économiques régionales (telles que la SADC) et l’UA comme un écueil et non comme une opportunité.

Le CPS a approuvé de manière rétroactive le mandat de la mission et a demandé un financement et une assistance matérielle adéquats

Le premier débat du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA sur la SAMIM n’a eu lieu qu’en janvier 2022, six mois après son déploiement. Le CPS a approuvé de manière rétroactive le mandat de la mission et a demandé à ce que ses contingents militaires bénéficient d’un financement et d’une assistance matérielle adéquats.

L’UA considère la SAMIM comme l’un des premiers déploiements de la Force africaine en attente — un rouage essentiel de son dispositif de paix et de sécurité. Les protocoles de la Force africaine en attente stipulent qu’une coordination, notamment de la part du président de la Commission de l’UA, est nécessaire en cas de déploiement. Dans le cas du Mozambique, une telle coordination est pour l’heure inexistante.

La SADC n’a sollicité le soutien de l’UA que lorsqu’elle a eu besoin de fonds pour prolonger le mandat de la mission au-delà de ses six premiers mois. Au début du mois d’avril, elle a finalement reçu un premier versement de 2 millions d’euros de la part de l’Union européenne par le canal du mécanisme de réaction rapide de l’UA. La SADC espère également obtenir un financement du Fonds pour la paix de l’UA, qui dispose de plus de 230 millions de dollars US provenant des contributions de ses États membres.

La SADC s’est engagée à rechercher des solutions globales et à long terme à la crise en cours. Le mois dernier, une mission d’évaluation de la SADC s’est ainsi rendue à Cabo Delgado pour discuter de la mise en œuvre de projets de renforcement des capacités avec les acteurs locaux et les organisations internationales. La SADC a également chargé le chef de la SAMIM de coordonner l’aide humanitaire aux personnes déplacées à l’intérieur du pays et les États membres ont promis une aide alimentaire et humanitaire aux victimes des violences.

Les protocoles de la Force africaine en attente stipulent qu’une coordination est nécessaire en cas de déploiement

Compte tenu de son orientation régionale et de ses efforts pour adopter une approche multidimensionnelle, le déploiement de la SAMIM constitue une première pour la région, ce qui est encourageant. Son succès dépend toutefois de l’adhésion des populations locales et de la bonne coordination avec le Mozambique et le Rwanda.

Par ailleurs, la concentration de ressources naturelles considérables à Cabo Delgado contribue à accroître les enjeux. L’année dernière, les menaces que l’insurrection faisait peser sur les investissements de la filière du gaz naturel liquéfié, estimés à environ 60 milliards de dollars US, ont conduit TotalEnergies à suspendre ses activités. La société demande la mise en place d’un périmètre de sécurité de 30 kilomètres autour de ses projets avant d’envisager une reprise.

Alors que l’UA réfléchit à différentes options pour lutter contre le terrorisme en Afrique, les décisions adoptées devront tenir compte des contextes locaux et les mesures prises devront être modulables. En outre, la coordination entre toutes les parties prenantes est indispensable. Au Mozambique, les contingents militaires sont déployés dans une zone relativement restreinte où les groupes extrémistes violents, tout comme les populations locales, se déplacent constamment. La mise en œuvre de stratégies conjointes et concertées entre ces acteurs permettrait d’obtenir de bien meilleurs résultats.

Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale, ISS Pretoria

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