Les processus de paix à l’est de la RDC ratent leur cible
La détérioration de la sécurité en RDC soulève des interrogations quant aux processus de Nairobi et de Luanda.
Publié le 08 février 2023 dans
ISS Today
Par
Remadji Hoinathy
chercheur principal, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
Les dirigeants des pays d’Afrique de l’Est réunis à Bujumbura, la capitale du Burundi, le 4 février, ont de nouveau appelé à un cessez-le-feu immédiat dans le conflit de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). La région est plongée dans la violence depuis que le groupe rebelle M23 a relancé son offensive en mars 2022.
En pleine dégradation des relations diplomatiques entre pays voisins, la Communauté d’Afrique de l’Est a initié le processus de Nairobi en novembre 2022. C’est l’une des deux initiatives récentes visant à résoudre la crise, l’autre étant le processus de Luanda.
Les deux démarches sont différentes mais complémentaires. Alors que le processus de Nairobi se focalise sur les groupes armés, celui de Luanda aborde les relations politiques entre la RDC et le Rwanda. Il fonctionne donc comme une piqûre de rappel de l’accord-cadre de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région, qui n’a pas été appliqué.
Le processus de Nairobi appelle à un cessez-le-feu immédiat, au rapatriement des groupes armés étrangers et au respect, par les groupes armés locaux, du nouveau programme de Désarmement, démobilisation, redressement communautaire et stabilisation. C’est ce processus qui autorise le déploiement d’une force régionale dans l’est de la RDC pour débusquer les groupes qui refuseraient le désarmement.
Alors que le processus de Nairobi met l’accent sur les groupes armés, celui de Luanda aborde les dimensions politiques entre la RDC et le Rwanda
Le mini-sommet de Luanda de novembre 2022 a vu la Angola, de la RDC et du Soudan du Sud. L’absence du président Paul Kagame du Rwanda, représenté par son ministre des Affaires étrangères, aurait pu être interprétée comme un manque d’intérêt pour le processus.
Luanda a entériné les décisions de Nairobi et exigé la fin des hostilités dès le 25 novembre 2022, le retrait du M23 et des autres mouvements armés, ainsi que le déploiement de la force régionale de l’Afrique de l’Est. La réunion a également insisté sur la nécessité de mettre fin au soutien aux rebelles et de normaliser les relations diplomatiques.
En amont, le sommet tripartite de juillet 2022 entre l’Angola, la RDC et le Rwanda avait permis de signer la Feuille de route de Luanda pour la paix dans l’est de la RDC. La plupart des points de la Feuille de route de juillet ont par la suite été discutés et adoptés à Nairobi et à Luanda. Ce qui dénote un foisonnement de résolutions dont le suivi n’est pas vraiment assuré.
Compte tenu du soutien présumé du Rwanda au M23 et des difficultés auxquelles sont confrontées les forces armées de la RDC, il est peu probable qu’un cessez-le-feu soit effectif dans un avenir immédiat. Depuis novembre 2022, les atrocités commises par divers groupes se poursuivent dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri. On signale également la présence de mercenaires d’Europe de l’Est, ce qui complique cette situation déjà explosive.
La composition controversée de la force est-africaine limite son efficacité
Le contingent kenyan de la force de l’Afrique de l’Est a été déployé à Goma comme prévu. Les zones occupées à Rutshuru devraient également passer sous son contrôle. Quelque 600 soldats burundais sont en place et 750 Sud-Soudanais sont attendus. Des officiers rwandais faisaient également partie de cette force, mais comme il fallait s’y attendre, la RDC a exigé leur retrait immédiat.
La zone Est de la République démocratique du Congo Source: ISS (click on the map for the full-size image)
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Malgré le déploiement initial du contingent kenyan, la situation dans l’est du pays reste précaire. Bien que le M23 ait déclaré qu’il se retirerait de la ville de Kibumba en décembre 2022 et du camp militaire de Rumangabo (territoire de Rutshuru) le 5 janvier, certains signes indiquent que cela n’a pas été le cas.
Le communiqué de Nairobi du 4 février confirme que les troupes régionales interviendront militairement, si nécessaire, pour garantir le retrait du M23 et des autres forces négatives. Mais sur le terrain, aucune pression militaire n’a été exercée sur les groupes armés, ce qui a provoqué trois jours de manifestations de la société civile. Elles font écho aux frustrations des citoyens qui reprochent à la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) de ne pas être parvenue à améliorer la sécurité en plus d’une décennie.
La composition controversée de la force est-africaine limite son efficacité. Le gouvernement de la RDC s’est officiellement opposé à la participation du Rwanda. Certains politiciens congolais sont sceptiques quant à l’implication du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi en raison de leurs antécédents en RDC. En ce qui concerne l’Ouganda, la Cour pénale internationale lui a même ordonné de payer des réparations pour les crimes commis en RDC.
La participation du Soudan du Sud est également discutable, car le pays est confronté à des menaces récurrentes pour sa sécurité intérieure et à de graves problèmes économiques. Mobiliser des troupes et des fonds pour leur déploiement à l’étranger relève du défi. Ainsi, pour la population locale et certains politiciens de la RDC, la force est-africaine manque de légitimité.
La collaboration de la force avec la MONUSCO est un problème autrement plus complexe. L’ONU est confrontée à un problème de légitimité qui se manifeste par l’hostilité de la population locale à son égard. Dans le même temps, le gouvernement de la RDC a utilisé des rebelles congolais et étrangers, fournissant ainsi au Rwanda une excuse pour soutenir le M23.
La RDC doit cesser toute collaboration avec les groupes armés et le Rwanda ne doit plus soutenir le M23
Cette situation fait ressortir les limites des processus de Nairobi et de Luanda. Outre les éternels défis de mise en œuvre auxquels sont confrontées les initiatives est-africaines, ni la pression militaire ni la prolifération des accords de paix ne résoudront les problèmes de la région. Les solutions ad hoc ne sont pas non plus la panacée.
Tout cela remet en question les résultats des processus de consolidation de la paix en RDC au cours de ces vingt dernières années, et en particulier la réforme du secteur de la sécurité. Cela soulève des doutes quant à la capacité d’organisations telles que la Communauté d’Afrique de l’Est, qui est une organisation à visée économique, à servir de médiateur et à résoudre des conflits.
Les conflits complexes qui se déroulent en RDC sont profondément enracinés dans des griefs historiques, locaux, nationaux et régionaux. La crise actuelle exige des réponses immédiates, bien coordonnées et alignées. L’Union africaine, les Nations unies et d’autres partenaires extérieurs clés doivent aider la Communauté d’Afrique de l’Est à garantir la paix. La communauté internationale doit réévaluer les processus de réforme du secteur de la sécurité et de désarmement, démobilisation et réintégration en RDC.
Le plus important est de faire pression, d’une part, sur le gouvernement de la RDC afin de cesser toute collaboration avec les groupes armés et, d’autre part, sur le gouvernement rwandais pour qu’il mette fin à son soutien au M23. La MONUSCO a également un rôle à jouer, conformément à son mandat qui a été renouvelé en décembre 2022.
Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et Grands Lacs, ISS
Image : Rawpixel and Nicolas Raymond/Flickr
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