La résurgence du JAS dans le bassin du lac Tchad
Les forces de sécurité de la région ne peuvent plus se concentrer uniquement sur la faction EIAO de Boko Haram.
Publié le 11 septembre 2025 dans
ISS Today
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Après avoir été affaibli par des années d'affrontements avec la faction rivale de Boko Haram, l'État islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO), le Jama'tu Ahlis Sunna Lidda'awati wal-Jihad (JAS) fait son retour dans le bassin du lac Tchad.
L'intensification des opérations anti-terroristes nationales et les assauts aériens et terrestres coordonnés par le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria ont ralenti la campagne Camp Holocaust de l'EIAO. Cependant, la concentration des efforts sur l'EIAO a permis au JAS de se regrouper et de se renforcer.
À cela s'ajoute l'échec des programmes de réinsertion qui n'ont pas réussi à fournir un soutien adéquat aux anciens insurgés. Sans perspectives d'avenir significatives, les anciens combattants rejoignent le JAS, ce qui n’est pas possible avec l'EIAO. Selon les déclarations d'anciens combattants aux chercheurs de l'Institut d'études de sécurité (ISS), l'EIAO exécuterait les déserteurs de ses rangs. À Borno, au Nigeria, les rapatriés rejoignent la branche Ghazwah du JAS, tristement célèbre pour ses vols et demandes de rançon.
Le JAS a également pu s'étendre au-delà de la région du lac Tchad, en implantant une cellule à Shiroro, près de la capitale nigériane Abuja. L'ISS a vu des images des combattants du JAS quittant Shiroro pour rejoindre le groupe Lakurawa dans la zone frontalière entre le Nigeria, le Niger et le Bénin. Selon certaines sources, Lakurawa aurait officiellement prêté allégeance au JAS en août.
Zones d’activités et d’attaques du JAS
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Depuis juin, le JAS a attaqué au moins trois positions militaires. Le 18 juin, il a saisi une importante cache d'armes à la base navale nigériane de Baga. L’attaque, d'abord attribuée à l'EIAO, a été revendiquée par le JAS qui en a publié des photos, témoignant d’une guerre des images entre les deux groupes.
Le 2 août, le JAS a rasé un poste militaire camerounais à Goldavi, près de Talakatchi, s’emparant des armes. Une semaine plus tard, il a attaqué la position de la Force multinationale mixte à Kirawa, à Gwoza, tuant quatre soldats. Bien qu'aucun drone n'ait été aperçu, ces assauts rapides reproduisaient la tactique de l'EIAO. À l'instar de cette dernière, le JAS diffuse désormais des images et des vidéos soigneusement montées de ses attaques spectaculaires et des armes saisies.
Jusqu'à ces attaques, le JAS visait principalement les civils. Le 15 mai, le groupe a massacré une centaine d'habitants dans les villages voisins de Mallam Karamti et Kwatandashi, dans l'État de Borno, les accusant d'espionnage pour le compte de l'EIAO. Le 5 septembre, à Dar Jamal, dans l'État de Borno, il a tué plus de 60 personnes qu’il soupçonnait de coopérer avec l'armée nigériane.
Ces massacres illustrent le dilemme auquel sont confrontés les civils. Les insurgés, tout comme les agences de sécurité de l'État, exigent des dénonciations qui exposent ceux qui les font, ou qui en sont soupçonnés, à des sanctions de la part des deux camps.
Les dernières attaques du JAS ont pris principalement pour cible des civils
Les recherches de l’ISS montrent que les attaques du JAS contre les civils s'accompagnent d'une recrudescence des vols et des demandes de rançon, y compris dans les camps de déplacés. La branche Ghazwah du JAS est tristement célèbre pour cela.
Ghazwah, « bataille » en arabe, a été créée par des combattants du JAS qui ont rejeté l'EIAO après que ce dernier a pris le contrôle de la forêt de Sambisa à la mort du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, en 2021. Désormais dirigée par Alhaji Kale, c’est essentiellement un gang criminel qui affronte rarement les soldats et qui subvient à ses besoins grâce à ses activités.
Le système de commandement peu structuré du JAS facilite ces activités, contrairement à l'EIAO. Il permet aux unités de combiner la prédation criminelle au djihadisme et de se financer de manière indépendante.
Les chercheurs de l'ISS ont constaté une augmentation des enlèvements et des vols à Mafa, Bama, Konduga, Gwoza, Mobbar et Monguno, et des incursions dans des camps de personnes déplacées à Bama. Toute résistance était punie par l'exécution. De même, dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, l'ISS a recensé 43 enlèvements et 103 victimes entre juin et août.
Le JAS se finance en combinant la prédation criminelle au djihadisme
Le JAS utilise la criminalité comme outil de recrutement. Les combattants sont motivés par le butin des opérations criminelles, ce qui permet de maintenir les effectifs malgré la pression de l'EIAO.
Selon des sources locales, le rôle de Bakura Doro — un des chefs basé au lac Tchad — dans l'approvisionnement en armes et la coordination des activités du groupe a été déterminant dans la renaissance du JAS. Le Niger a annoncé avoir tué Doro lors d'une frappe aérienne en mi-août, mais aucune preuve n'a été fournie. Selon plusieurs sources de l'ISS, il serait toujours en vie.
L'escalade des enlèvements, y compris des déplacés internes, pourrait compromettre les progrès humanitaires réalisés, tels que la réinstallation des personnes déplacées et l'accès des travailleurs humanitaires et au matériel de secours.
Parmi les attaques du JAS contre des organisations humanitaires, celle du 8 août, où une grenade a été propulsée par roquette depuis les monts Mandara, a tué trois enfants près du bureau de Malteser International à Gwoza, dans l'État de Borno. Le 1er juin, le JAS a tendu une embuscade au convoi d'une organisation non gouvernementale, pourtant protégé par une escorte militaire, le long de la route Gwoza-Limankara, tuant un employé et permettant l’enlèvement d’un autre.
Les stratégies de sécurité doivent traiter le JAS comme une menace indépendante capable de s’adapter
La résurgence du JAS nécessite des ajustements politiques urgents de la part du Nigeria, du Cameroun, du Tchad et du Niger. Tout d'abord, les stratégies de sécurité doivent être rééquilibrées afin de traiter le JAS comme une menace indépendante capable de s’adapter, plutôt que comme un simple rival affaibli de l'EIAO. Cela nécessite de perturber les opérations logistiques du JAS et de surveiller les réseaux (notamment en dehors du lac Tchad) qui contribuent à son financement.
Deuxièmement, les capacités amphibies doivent être renforcées pour contrer le groupe dans les zones lacustres où il est puissant. La coordination air-sol doit également être maintenue et étendue au-delà des menaces de l'EIAO.
Troisièmement, les gouvernements devraient renforcer les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration dans la région afin de dissuader les déserteurs de rejoindre le JAS. Il faut améliorer le suivi des combattants libérés et fournir un meilleur soutien économique afin de réduire l'attrait d'un nouveau recrutement.
Enfin, il faut mettre fin à l'économie prédatrice qu’exploitent les extrémistes violents. Il est essentiel de mener des opérations fondées sur le renseignement et d’effectuer des raids ciblés, tout en réduisant la rentabilité des vols et des enlèvements. Sans ces mesures, le JAS continuera à recruter des combattants et à financer sa résurgence.
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