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Les insurgés du bassin du lac Tchad font monter la pression

Le redoublement des attaques de l’EIAO par des drones armés marque un tournant dans la lutte antiterroriste dans la région.

L’attaque du 24 décembre 2024 contre la base opérationnelle avancée de Wajiroko, dans le nord-est du Nigeria, est la première utilisation connue de drones par un groupe terroriste dans la région.

Le groupe État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) a déployé quatre drones armés transportant des grenades fabriquées localement, dans le cadre d’un assaut coordonné qui a blessé au moins cinq soldats. Deux autres attaques de ce type ont eu lieu à Damaturu, dans l’État de Yobe, et à Abadam, sur le lac Tchad.

Le recours aux drones armés par l’EIAO constitue une escalade dans ses attaques et remet en cause les stratégies antiterroristes dans la région.

Localisation des attaques terroristes par drone, bassin du lac Tchad

Localisation des attaques terroristes par drone, bassin du lac Tchad

 

Alors que des forces armées africaines utilisent depuis des années des drones, notamment en Éthiopie et au Mali, depuis longtemps des voix s’élèvent pour mette en garde contre le danger de l’acquisition et de l’adaptation de cette technologie par des acteurs non étatiques. En 2023, l’Institut d’études de sécurité (ISS) avait averti que l’EIAO était sur le point de se servir de drones armés dans ses attaques.

Ce changement de tactique a été mis en évidence lors du Forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad, en janvier à Maiduguri. C’est un véritable tournant dans la lutte contre l’extrémisme violent dans la région. L’augmentation des capacités de l’EIAO exige une attention immédiate des forces de sécurité, des gouvernements et des partenaires de la région pour contrer efficacement l’évolution de cette menace.

Le groupe a d’abord employé des drones à des fins de propagande et de surveillance, suivant ainsi les traces des extrémistes et des insurgés en Somalie, en Libye, au Mozambique et en République démocratique du Congo.

L’utilisation de drones armés dans le bassin du lac Tchad montre que les acteurs non étatiques investissent désormais le domaine aérien pour renforcer leurs capacités opérationnelles. Elle représente une évolution inquiétante des tactiques et du niveau de sophistication, et soulève la question de savoir comment les forces armées de la région peuvent s’y adapter.

Et ce n’est pas la seule évolution : des signes inquiétants indiquent que l’armement de l’EIAO s’est perfectionné. Dans une vidéo récente, réalisée après l’attaque de Wajiroko, l’EIAO démontre sa capacité à recruter, à former et à équiper de jeunes combattants avec des armes de pointe. Les images montrent de jeunes recrues se former à la manipulation d’armes à feu sophistiquées, notamment des ArmaLite AR-10 Super SASS de fabrication américaine et des fusils russes de tireurs d’élite Orsis T-5000.

Les tactiques de l’EIAO ont évolué, mais aussi son armement et la formation de ses recrues

La présence de formateurs étrangers dans la vidéo confirme l’existence d’un soutien technique extérieur. Des entretiens menés récemment par l’ISS avec d’anciens combattants de l’EIAO à Borno, au Nigeria, ont révélé que les progrès des capacités militaires du groupe – voire même de leurs technologies de communication – ont été facilités par des formateurs déployés par l’État islamique.

Ces images montrent également que la planification stratégique de l’EIAO s’est renforcée. La tactique du groupe s’est spécialisée avec la présence de différentes catégories de combattants, dont des tireurs d’élite et des militants embusqués, et s’est engagée dans l’endoctrinement et la formation d’une nouvelle génération de combattants.

Malgré les efforts déjà déployés par les forces armées des pays africains et de la Force multinationale mixte (FMM), qui regroupe le Cameroun, le Tchad, le Nigeria et le Niger, cette évolution nécessite davantage d’attention et de ressources.

Lors du Forum de Maiduguri, le commandant de la FMM, le général de division Godwin Mutkut, a reconnu ne pas disposer de moyens de lutte contre les drones, notamment de systèmes de brouillage, ce qui expose les forces de sécurité et les civils aux menaces aériennes.

Les États de la région doivent déployer des systèmes de défense aérienne

Cela soulève trois questions importantes. Premièrement, comment l’EIAO a-t-il pu acquérir des drones, alors que la FMM admet ouvertement que cela constitue un défi majeur ? Les mesures antiterroristes auraient dû empêcher les insurgés de financer et de recevoir du matériel de cette nature.

Deuxièmement, quels sont les réseaux transnationaux et les chaînes d’approvisionnement qui permettent la fourniture de drones à l’EIAO ? Et troisièmement, comment les forces régionales peuvent-elles s’adapter rapidement pour éviter que les drones ne soient utilisés couramment par les insurgés de la région ?

Selon les entretiens de l’ISS avec d’anciens combattants, l’EIAO peut acquérir et armer des drones grâce aux routes de contrebande, aux réseaux de trafic d’armes et à la commercialisation de drones modifiés.

Grâce à la précision des drones, l’EIAO, s’il n’est pas rapidement arrêté, pourrait mener des assauts à fort impact tout en minimisant les pertes du groupe. Les avant-postes militaires et des localités civiles relativement sûres pourraient ainsi devenir des cibles précaires.

La guerre psychologique pourrait prendre de l’ampleur, en suscitant la peur au sein des communautés et même dans les postes militaires qui sont sous-équipés pour se défendre contre ce type d’assauts aériens. Elle pourrait avoir pour conséquence d’éroder la confiance des civils dans la protection de l’État et de renforcer involontairement le soutien aux insurgés, créant ainsi un dangereux cycle d’instabilité.

Il faut lancer des frappes préventives contre les sites d’assemblage et de lancement des drones de l’EIAO

L’exploitation de réseaux externes, comme en témoignent son programme de drones et sa vidéo, met en évidence l’aptitude de l’EIAO à s’adapter et à résister aux opérations des forces de sécurité. Le groupe continue également à recruter et à radicaliser de jeunes combattants afin d’assurer la survie de son idéologie extrémiste dans toutes les générations.

Pour répondre à la menace croissante de l’EIAO, il faut une stratégie solide et coordonnée sur plusieurs fronts. Tout d’abord, les gouvernements de la région doivent accorder la priorité au déploiement de technologies de lutte contre les drones, comme les dispositifs de brouillage et les systèmes de défense aérienne. La FMM l’a clairement exigé lors de la conférence de Maiduguri.

Il est également essentiel de renforcer l’échange de renseignements entre les agences de sécurité du Nigeria, du Tchad, du Niger et du Cameroun. Un effort coordonné pour suivre et perturber les chaînes d’approvisionnement et les réseaux de soutien extérieurs de l’EIAO pourrait affaiblir considérablement sa capacité opérationnelle.

Les recherches de l’ISS ont montré comment l’EIAO exploite les routes commerciales du bassin du lac Tchad pour se fournir en carburant, en pièces détachées de véhicules, en armes, en matières premières pour les explosifs et en nourriture. Les forces de sécurité doivent renforcer les fouilles aux points de contrôle afin de détecter les mouvements suspects d’équipements et d’accessoires.

Des frappes préventives contre les sites d’assemblage et de lancement de drones de l’EIAO sont également importantes. Ces installations doivent être repérées et démantelées en priorité afin d’empêcher les insurgés de développer la puissance de frappe de leurs drones.

Bien que la menace soit réelle et exige une action immédiate, les États ne doivent pas perdre de vue les interventions à plus long terme, tout aussi importantes. L’EIAO se nourrit des vulnérabilités socioéconomiques et des lacunes en matière de gouvernance, pour recruter, radicaliser et établir des bases.

Il faut s’attaquer à ces facteurs en renforçant la présence de l’État dans les zones rurales et reculées à travers l’amélioration de la sécurité et de la gouvernance, la création d’opportunités socioéconomiques et des programmes de lutte contre la radicalisation.

Une plus grande collaboration avec les partenaires internationaux permettrait également d’obtenir l’assistance technique et les renseignements nécessaires pour faire face à l’évolution des tactiques de l’EIAO.

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