L’insécurité croissante au Nigeria exige plus qu’un état d’urgence
La sécurité du pays est confrontée à des défis de longue date qui compromettent sa capacité à lutter contre la violence et l'insécurité.
Publié le 04 décembre 2025 dans
ISS Today
Par
Sampson Kwarkye
chef de projet, États Littoraux d'Afrique de l'Ouest, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Face à l’insécurité, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a déclaré, le 26 novembre, l'état d'urgence à l’échelle nationale et ordonné, entre autres, de recruter des membres supplémentaires des forces de l'ordre.
Cette annonce reflète la pression croissante que subit le gouvernement à la suite de la montée des violences de Boko Haram et des enlèvements massifs par des bandits. La violence continue de s'étendre vers le sud du pays, comme en témoignent les attaques dans l'État de Kwara, qui était jusqu'alors épargné.
La déclaration de Tinubu répond aux accusations du président américain Donald Trump du 21 novembre, selon lesquelles le Nigeria a perdu le contrôle de sa sécurité et tolère le génocide des chrétiens. Le gouvernement nigérian et les experts ont rejeté cette accusation, la qualifiant de simplification excessive et partiale d'un problème complexe.
La situation exige en effet une action immédiate et notamment de s'attaquer aux problèmes de longue date qui affaiblissent la capacité du pays à lutter contre la violence.
La déclaration ordonne à la Force de police nigériane de recruter 20 000 agents supplémentaires. Cela porterait le recrutement prévu pour 2025 à 50 000 agents, soit seulement une fraction des 190 000 recommandés par l'inspecteur général de la police, Kayode Egbetokun, en 2023. La police compte actuellement près de 370 000 agents.
Les mesures prises par Tinubu s'attaquent au manque de personnel dans les avant-postes de sécurité
Tinubu a également enjoint à l'armée d’augmenter ses effectifs. Quelques jours plus tôt, le chef d'état-major de l'armée, le lieutenant-général Waidi Shaibu, avait fait part de son projet d’engager 24 000 soldats.
Le président a en outre exigé de réaffecter rapidement dans les zones touchées par la violence et l'insécurité les policiers chargés de la protection des personnalités, afin d'améliorer l'efficacité des services de police.
Il a demandé au Département de la sécurité d'État (DSS), l'agence de renseignement interne, de déployer immédiatement des gardes forestiers formés pour lutter contre les bandits et les terroristes. Il a également posé une requête à l'Assemblée nationale pour qu’elle modifie la loi nigériane de 2020 sur la police afin de permettre la création de forces de police étatiques indépendantes.
Ces mesures vont dans le bon sens et reflètent une tentative manifeste de relever un défi majeur : le manque de personnel dans les avant-postes de sécurité chargés de surveiller de vastes régions pratiquement inaccessibles, en particulier dans le nord-est et le nord-ouest. Cependant, les récents enlèvements et actes de violence terroristes révèlent des lacunes de longue date en matière de renseignement, d'opérations et de capacités qui limitent la réponse du Nigeria au banditisme et à l'extrémisme violent.
L'enlèvement de plus d'une vingtaine d'étudiants, le 18 novembre, par des bandits armés dans l'État de Kebbi, situé au nord-ouest, en est un exemple. Plusieurs témoignages, dont celui du gouverneur de l'État, suggèrent que le DSS avait partagé des renseignements sur la planification de l'attaque avec le gouvernement de l'État et d'autres services de sécurité. Des militaires ont été déployés, qui se sont finalement retirés, permettant aux ravisseurs d’attaquer 30 minutes plus tard.
Boko Haram a pu prendre le contrôle de plus de 15 avant-postes militaires en 2025
Trois jours après, le 21 novembre, le Nigeria a connu son pire enlèvement massif depuis 2020, lorsque des hommes armés ont capturé plus de 300 élèves et membres du personnel de l'école St Mary's dans l'État du Niger. Avant l'attaque, les familles des élèves, inquiètes d'éventuels enlèvements, auraient demandé la protection de la police, de l'armée et des corps de défense civile. Ce fait, ajouté au redéploiement du personnel à Kebbi, montre que les forces de sécurité, débordées, laissent les écoles et les communautés sans défense.
L'enlèvement et l'exécution par Boko Haram, le 15 novembre, du brigadier général Musa Uba, commandant de la 25e brigade de la force opérationnelle, ont également mis en lumière les défis auxquels est confronté le secteur de la sécurité au Nigeria. Le groupe terroriste a tendu une embuscade à un convoi de la brigade, après une patrouille dans l'État de Borno, causant la mort de quatre membres des forces de sécurité, dont deux soldats.
Les forces de sécurité semblaient ne pas être conscientes que Boko Haram, s'appuyant sur sa connaissance du terrain et peut-être sur un réseau d'informateurs, avait suivi le convoi et piégé la zone. Lorsque Boko Haram a remarqué qu'Uba n’était pas sur le lieu de l'embuscade, l'absence de renforts pour le convoi leur a laissé le temps de le rechercher, pour finalement le capturer et l'exécuter.
Ces difficultés des services de sécurité sont évidentes dans leur impuissance répétée à détecter, à déstabiliser ou à empêcher les attaques. Les combattants parcourent de nombreux kilomètres à moto, échappant à leur détection en grande partie en raison des capacités limitées de renseignement et de surveillance à différents niveaux. Et ce, malgré la possibilité de collaborer avec les communautés qui pourraient fournir des informations précieuses sur les mouvements et les activités des insurgés.
Les lacunes en matière de détection et de prévention ont permis aux factions de Boko Haram de prendre d'assaut plus de 15 avant-postes militaires en 2025.
L'utilisation limitée des technologies affaiblit les capacités des forces de sécurité
Les forces de sécurité sont limitées en partie par une utilisation restreinte des technologies pour la planification opérationnelle, la surveillance et la reconnaissance. Cette situation, combinée à la faiblesse des renseignements humains, a contraint les troupes du convoi d'Uba à se mettre précipitamment en position défensive. Elles n'ont réagi que lorsque les combattants de Boko Haram ont atteint leurs retranchements.
L'absence de communications sécurisées a participé à la tentative ratée de sauvetage d'Uba. Les forces de sécurité s'appuyaient sur les réseaux de téléphonie mobile commerciaux et la messagerie WhatsApp pour coordonner leurs mouvements, perméables aux interceptions.
Par ailleurs, les forêts, les montagnes et les îles du bassin du lac Tchad rendent la circulation difficile pour les forces de sécurité et permettent aux groupes de se dissimuler. Il a été prouvé que certains groupes, en particulier la faction Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique de Boko Haram, utilisaient de plus en plus des drones commerciaux modifiés et d'autres technologies pour leurs opérations.
Pour lutter efficacement contre la violence et l'insécurité, le Nigeria doit aller au-delà de la déclaration de l'état d'urgence sécuritaire national et du recrutement de personnel de sécurité supplémentaire. Il doit investir dans le renforcement des capacités technologiques et de renseignement de la police et de l'armée.
Les relations avec les communautés des zones touchées sont essentielles pour améliorer le renseignement humain, qui permet en fin de compte de détecter, de déstabiliser et d’empêcher les attaques terroristes et de bandits. Des communications sécurisées et l'utilisation d'outils technologiques modernes pour la surveillance sont également indispensables.
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