Les bases militaires du bassin du lac Tchad visées par l’EIAO
Les avant-postes éloignés et mal équipés sont des cibles faciles et un angle mort des initiatives régionales contre le terrorisme.
Cette année, les avant-postes militaires dans la région du lac Tchad ont été la cible d’une quinzaine d’attaques de la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique (ou État islamique en Afrique de l’Ouest, EIAO). Ces attaques, appelées « Camp Holocaust » par le groupe, visaient des postes isolés, sans ressources, situés dans des zones frontalières où l’État est quasiment absent.
Les recherches de l’Institut d’études de sécurité (ISS) montrent qu’en mai, l’EIAO a pris le contrôle de la 27e brigade de la force opérationnelle du Nigeria à Buni Gari et du 50e bataillon à Marte. Il a aussi mené un double assaut contre la base conjointe Nigeria-Cameroun à Wulgo et l’avant-poste camerounais de la Soueram.
Ces localités, comme celles attaquées en début d’année à Malam Fatori et Goniri, sont situées loin des centres urbains fortifiés. Plusieurs d’entre elles ont été détruites par les insurgés et des avant-postes militaires y ont été installés pour stabiliser la zone. Il est difficile d’y envoyer du renfort en raison de l’état des routes, du risque d’embuscade et d’engins explosifs improvisés, ainsi que des vastes territoires qui échappent au contrôle de l’État.
Emplacements des bases militaires attaquées par l’EIAO
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Ces avant-postes sont devenus des cibles faciles pour l’EIAO et une ombre au tableau des initiatives régionales contre l’insurrection. Les tactiques du groupe ont évolué vers des assauts rapides menés par plusieurs combattants équipés d’armes légères mais sophistiquées, des raids nocturnes et l’utilisation de drones commerciaux modifiés pour larguer des explosifs.
Des transfuges, participant à un programme gouvernemental de déradicalisation à Maiduguri, ont déclaré à l’ISS que l’EIAO avait bénéficié des connaissances d’au moins six formateurs du Moyen-Orient mandatés par l’État islamique. Ces attaques ont pour objectif de s’emparer des armes des militaires, afin de moins dépendre des armes de contrebande et de consolider le contrôle territorial, et de permettre ainsi l’extorsion des civils et la sécurisation des ressources pour les opérations.
Deux vétérans nigérians de la guerre contre Boko Haram ont déclaré que les avant-postes se trouvaient « au milieu de nulle part » et manquaient d’effectifs, alors qu’ils devaient couvrir une vaste zone. Les bataillons, supposés compter environ 800 personnes, étaient en sous effectifs, ou sans ressources suffisantes.
Les responsables politiques du bassin du lac Tchad sont conscients du problème. Babagana Zulum, gouverneur de l’État de Borno, a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises et le Sénat a récemment demandé un redéploiement des troupes pour contrer la recrudescence des attaques. Toutefois, sans un recrutement massif, cela est difficile. L’armée est débordée et engagée dans des opérations anti-insurrectionnelles nationales.
L’objectif de l’EIAO est de s’emparer des armes et de consolider son contrôle territorial
La situation géographique représente un autre défi. Les îles, les marécages et la porosité des frontières du lac Tchad accordent une protection naturelle et une flexibilité opérationnelle à l’EIAO, tout en compliquant la logistique militaire. Les gouvernements des quatre pays du bassin du lac Tchad (le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Nigeria) ont cédé une grande partie de ces territoires, faute de capacités amphibies ou navales.
Le Nigeria a fait intervenir les forces aériennes dans les régions lacustres et les terres arides difficiles d’accès. Néanmoins, comme l’ont expliqué d’anciens combattants à l’ISS, les insurgés ont creusé des bunkers près de leurs lieux d’habitation et de leurs bases sur les îles du lac Tchad, afin d’éviter les frappes aériennes. Ces frappes sont efficaces sur la terre ferme, mais sont peu fréquentes.
Les renforts arrivent souvent trop tard en raison de l’éloignement des avant-postes, des distances qui les séparent et du manque de ressources humaines et logistiques. L’EIAO a attaqué le 149e bataillon nigérian à Malam Fatori, à la frontière du Niger, le 24 janvier, tuant au moins 20 soldats, dont le commandant. Selon les survivants, l’affrontement a duré trois heures, sans qu’ils voient l’arrivée des renforts terrestres ou aériens ; les insurgés se sont emparés des armes.
Cette méthode de défense standard est défaillante alors que, aux dires des militaires, chaque unité devrait pouvoir se défendre en attendant les renforts..
Non seulement l’EIAO renforce ainsi son arsenal, mais il étend son contrôle territorial dans une région délaissée par les pouvoirs publics. Le coût n’est pas seulement stratégique, mais aussi financier et politique. Les attaques ont entraîné de lourdes pertes d’équipement pour le Nigeria et le Cameroun, dont le remplacement est coûteux et lent. En outre, les attaques répétées des bases sapent le moral des troupes et la confiance des populations dans la capacité des États à les protéger.
Il faut doter les avant-postes en effectifs et en ressources suffisants
Les infrastructures et les services sont négligés, exposant les avant-postes éloignés au danger. Si les terroristes s’emparaient d’une ville comme Maiduguri, ils remporteraient une victoire symbolique qui coûterait cher au gouvernement nigérian sur le plan politique. Cependant, permettre à l’EIAO de consolider son contrôle sur les franges rurales est tout aussi dangereux, car elles pourraient devenir des points de rassemblement pour des attaques terroristes contre les centres urbains.
Une refonte en profondeur s’impose. Les pays, en particulier le Nigeria qui est au cœur du conflit, doivent reconsidérer le déploiement et les ressources dans les zones rurales. Ils pourraient créer des « garnisons jumelées » qui sont des bases rapprochées pour un renfort rapide.
Un dispositif similaire existe à Dikwa, au Nigeria, mais lorsque la ville de Marte, à une distance de 25 km, a été attaquée le 12 mars, Dikwa n’est pas intervenue faute de ressources, d’après les données de terrain et des sources de l’ISS. Multiplier les avant-postes n’est pas suffisant, encore faut-il les doter de ressources et prévoir des déploiements rapides.
En outre, le renforcement et l’expansion des capacités et des formations navales et amphibies sont essentiels dans le cadre d’une stratégie proactive. Le sanctuaire de l’EIAO dans les îles du lac Tchad — où son rival Boko Haram est également puissant — ne peut être démantelé uniquement par des frappes aériennes ou des forces terrestres déjà trop sollicitées. Les unités navales de la Force multinationale mixte pourraient perturber les activités des insurgés ou exercer une pression sur les zones de leurs centres de commandement.
Les troupes nigérianes et camerounaises doivent être mieux préparées aux attaques nocturnes
La coopération civile a diminué en raison des violations des droits de l’homme commises dans le cadre des mesures antiterroristes et la crainte des communautés de subir des représailles des insurgés. Dans certains cas, comme lors l’attaque de Malam Fatori en janvier, les habitants avaient vu que des militants se rassemblaient, mais ils n’ont pas alerté l’armée.
Cela traduit le manque de confiance dans l’armée et la défaillance du renseignement et montre l’importance de les renforcer. Pour cela, il faut collaborer avec les communautés en utilisant des protocoles de signalement sûrs et de protection des informateurs.
Les troupes nigérianes et camerounaises doivent être préparées à se protéger des attaques nocturnes qui sont fréquentes. Une surveillance accrue, un système de communication en temps réel entre les avant-postes et les unités aériennes, et une préparation constante peuvent améliorer les interventions.
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