La présidence sud-africaine du G20 sous pression
L’Afrique du Sud devra défendre les intérêts de l'Afrique et gérer un G20 dont l'un des membres les plus puissants se désengage.
Le sommet du G20 cette année aura lieu pour la première fois sur le sol africain, en Afrique du Sud. Il s’agit d’une étape importante qui coïncide avec un tournant géopolitique et qui donnera une résonnance particulière à la capacité de Pretoria à surmonter les fractures mondiales, en particulier avec le retour de Donald Trump à la présidence américaine.
L'Afrique du Sud peut-elle en profiter pour redéfinir l’ordre du jour du G20 ou sa présidence sera-t-elle submergée par les fragilités intérieures, les tensions régionales et les changements de pouvoir à l'échelle mondiale ?
Certes, accueillir le G20 lors de la première année d'une présidence Trump 2.0 serait un défi pour n'importe quel pays. Toutefois, ce sera une épreuve particulièrement difficile pour l’appareil diplomatique sud-africain.
La question de savoir si l’Afrique du Sud peut réellement représenter les intérêts du continent au G20 reste ouverte. Si Pretoria a joué un rôle central dans la coordination continentale lors de la pandémie du COVID-19 et a dirigé la mission de paix Ukraine-Russie en 2023, elle est là confrontée à une situation plus complexe.
Bien que l'admission de l'Union africaine (UA) au G20 en 2023 signifie que l'Afrique du Sud ne représente plus seule le continent, son influence reste notoire en tant que membre fondateur du G20. Cependant, il lui est devenu difficile d’être la voix de l'Afrique en raison de ses relations tendues avec des acteurs régionaux clés, notamment le Nigeria, le Maroc et le Rwanda.
Les tensions avec le Rwanda ont été ravivées par la détérioration de la situation sécuritaire dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), Pretoria et Kigali soutenant pour l’essentiel des camps opposés. Les critiques publiques éhontées du président rwandais Paul Kagame à l'encontre du président sud-africain Cyril Ramaphosa nuisent à la crédibilité de Pretoria dans la diplomatie continentale.
Les tensions avec le Nigeria, le Maroc et le Rwanda compliquent la position de l’Afrique du Sud
Le Maroc représente un autre enjeu majeur. En désaccord avec Rabat, l’Afrique du Sud soutient depuis longtemps la cause sahraouie, mais il ne s'agit plus d'un différend seulement bilatéral. Alors que le Maroc renforce son alignement sur les États-Unis et les principaux pays européens, l'influence de l'Afrique du Sud dans les affaires continentales semble s'affaiblir.
Le rôle de Jared Kushner, gendre de Trump, dans la négociation des accords d'Abraham a cimenté la position géopolitique de Rabat. Les accords ont permis au Maroc de normaliser ses liens avec Israël en échange de la reconnaissance par les États-Unis de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Cette rivalité se manifeste de plus en plus dans les institutions régionales et multilatérales.
Le Nigeria pose un autre problème, quoique tout aussi important, malgré l'amélioration récente des relations bilatérales. Alors que les deux pays se sont toujours disputés l'influence en tant que les plus grandes économies d'Afrique, l'évolution des alignements mondiaux pourrait exacerber les tensions. L'approche transactionnelle de Trump en politique étrangère et les relations d'affaires de sa famille avec le Nigeria suggèrent que les liens entre les États-Unis et le Nigeria pourraient se resserrer et remettre en question le rôle de l'Afrique du Sud.
La position stratégique du Nigeria dans la lutte contre le terrorisme au Sahel en fait également un partenaire indispensable pour les États-Unis en matière de sécurité. Si Washington privilégie les liens bilatéraux avec Abuja au détriment d'un engagement africain plus large, l'Afrique du Sud pourrait être de plus en plus isolée dans le processus décisionnel continental.
Si ces tensions ne sont pas nouvelles, elles prennent aujourd'hui de l’ampleur, en particulier sous une deuxième administration Trump. Ces divisions entraveront également l'intégration continentale, notamment dans le cadre de la zone de libre-échange continentale africaine.
L'Afrique du Sud parviendra-t-elle à gérer les intérêts divergents ?
L'Afrique du Sud doit gérer ces relations bilatérales dans un contexte de tensions parallèlement à d'autres enjeux de politique étrangère, tels que sa position sur le conflit russo-ukrainien et ses actions en justice contre Israël en ce qui concerne Gaza.
La position antagoniste de Trump à l'égard de l'Afrique du Sud ajoute au défi de Pretoria à la présidence du G20. L'affaire de la Cour internationale de justice contre Israël avait déjà placé l'Afrique du Sud en opposition avec Washington en 2024, avec des répercussions potentielles sur les accords commerciaux tels que la loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique.
La semaine dernière, le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, a déclaré qu'il ne participerait pas aux réunions des ministres des Affaires étrangères du G20 des 20 et 21 février en raison de la position « anti-américaine » de Pretoria. On peut se demander si Trump assistera au sommet des chefs d'État du G20 de novembre, où l'Afrique du Sud est censée céder la présidence aux États-Unis pour l'année 2026.
L'Afrique du Sud pourrait être confrontée à un scénario inédit : une présidence du G20 où les États-Unis seraient peu présents, combatifs ou totalement absents. Si les précédentes présidences du G20 sous l'égide de l'Inde, de l'Indonésie ou du Brésil ont également dû trouver un équilibre entre les priorités nationales et mondiales, aucune n'a eu à naviguer entre les écueils d’un ordre multilatéral fracturé sous une présidence Trump.
Il ne s’agit pas seulement de défendre les intérêts de l'Afrique, mais aussi de gérer un G20 dans lequel l'un de ses membres les plus puissants est activement désengagé.
Sous le second mandat de Trump, l'ordre fondé sur des règles pourrait ne plus exister
La présidence sud-africaine du G20 dispose-t-elle des compétences nécessaires pour faire face à la complexité de cette situation ? Ce sera le baptême de feu du ministre des Relations internationales et de la Coopération, Ronald Lamola, qui représentera Pretoria lors des principaux engagements diplomatiques.
Compte tenu de son expérience limitée en politique étrangère et de la gravité de la situation, celui-ci sera jugé à l’aune de son habileté à négocier. En effet, sa faculté à forger un consensus dans un contexte de divisions mondiales croissantes constituera un test déterminant pour la présidence sud-africaine du G20.
Le moment ne pourrait être plus mal choisi. L'Afrique du Sud s'est efforcée de renforcer sa réputation de puissance moyenne de confiance et de maximiser le rôle de pont du G20 entre le G7 et les BRICS+ pour la construction d'un consensus mondial.
Le pays entend s'appuyer sur la réussite de son accueil du sommet des BRICS de 2023, qui a débouché sur un élargissement du bloc, soit une victoire majeure pour l'Afrique du Sud en politique étrangère. Pour Ramaphosa, ce sommet du G20 est un événement marquant. En tant que premier président africain de l'organisation, il aura à cœur de laisser un héritage durable.
Comme l'a récemment fait remarquer Elizabeth Sidiropoulos, directrice générale de l'Institut sud-africain des affaires internationales, la question n'est pas de savoir si l'Afrique du Sud mettra en œuvre un programme ambitieux pour le Sud, mais si elle possède les compétences diplomatiques nécessaires pour obtenir des résultats significatifs. Les prochaines réunions des ministres des Affaires étrangères serviront d'indicateur de la capacité de l'Afrique du Sud à manœuvrer entre des intérêts divergents au sein du G20.
D’autre part, Pretoria est également préoccupée par des problèmes intérieurs comme l’approvisionnement en électricité et en eau, le chômage et les contraintes fiscales. Sous le nouveau gouvernement d'unité nationale, la politique étrangère sera probablement plus contestée et l’Afrique du Sud aura plus de mal à prendre des positions décisives au niveau international.
Si maintenir l'équilibre entre politique intérieure et politique étrangère est un défi universel, la situation de l'Afrique du Sud est particulière. Auparavant, elle opérait dans le cadre d'un ordre multilatéral qui, bien qu'affaibli, fonctionnait. Sous le second mandat de Trump, l'ordre fondé sur des règles pourrait non seulement être brisé, mais aussi cesser d'exister. L'Afrique du Sud se retrouve donc en terrain inconnu, où les anciennes règles diplomatiques pourraient ne plus s'appliquer.
L'Afrique du Sud peut-elle aller au-delà de la diplomatie réactive pour se tailler un rôle stratégique ? La présidence du G20 représente une opportunité, mais aussi un risque important. Si elle ne parvient pas à faire preuve de dextérité diplomatique, sa présidence pourrait renforcer les perceptions de déclin de son influence plutôt que d'améliorer sa position sur la scène internationale.
En fin de compte, le succès ne se mesurera pas à l'aune des grandes déclarations, mais à celle des résultats tangibles. L'Afrique du Sud peut-elle forger un consensus sur des questions clés ? Peut-elle surmonter l'imprévisibilité de l'ère Trump ?
Et surtout, peut-elle concilier ses aspirations avec ses limites pratiques ? Les réponses détermineront si la présidence sud-africaine du G20 restera dans les mémoires comme un tournant décisif ou une occasion manquée.
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