L’Afrique peut-elle passer du statut de victime à celui d’acteur lors de la COP30 ?
Pour façonner la diplomatie climatique mondiale, il faut établir une réflexion stratégique et un nouveau récit lors des prochaines négociations.
Le deuxième Sommet africain sur le climat (ACS2), qui s’est tenu le mois dernier à Addis-Abeba, a marqué une étape majeure dans le positionnement de l’Afrique au regard des négociations mondiales sur le climat. Les dirigeants du continent y ont montré la volonté nouvelle d’une Afrique affirmant pleinement son rôle dans l’action climatique.
À l’approche de la Conférence des Nations unies (ONU) sur les changements climatiques, qui se tiendra cette année à Belém, au Brésil (COP30), l’ACS2 a jeté les bases qui permettront à l’Afrique de passer du statut de victime à celui d’acteur stratégique.
Parmi les 25 000 participants au sommet figuraient des chefs d’État, des responsables politiques, ainsi que des représentants du monde des affaires, de la société civile et de la jeunesse. Le sommet a débouché sur l’adoption de la Déclaration d’Addis-Abeba sur le changement climatique et l’appel à l’action. Dans ce texte, en attente de publication, les pays s’engagent à accélérer la transition énergétique équitable de l’Afrique, demandent un financement climatique équitable et soulignent la nécessité de s’adapter.
La déclaration précise que le changement climatique agit comme un multiplicateur de risques qui accentue les pressions sur les ressources naturelles et compromet la paix et la stabilité dans toute l’Afrique. Elle appelle à la finalisation et à la mise en œuvre de la Position africaine commune sur le changement climatique, la paix et la sécurité, qui constitue un outil essentiel pour faire face aux risques climatiques.
Les dirigeants africains doivent désormais traduire cette intention en résultats concrets lors des négociations de la COP30. Il est essentiel de repositionner le continent comme un acteur proactif et assertif afin de garantir l’accès aux financements climatiques et le transfert de technologies, deux éléments particulièrement utiles pour renforcer la résilience des communautés vulnérables.
Lors de l’ACS2, les dirigeants africains et leurs partenaires ont lancé des initiatives telles que le Pacte africain pour l’innovation climatique et la Facilité africaine pour le climat. Ces efforts visent à mobiliser 50 milliards de dollars américains par an pour des solutions climatiques qui accélèrent l’innovation et les projets locaux.
Il faut redéfinir l’adaptation mondiale comme un moyen de survie, mais aussi comme une voie de développement économique
Des institutions financières, notamment la Banque africaine de développement, la Banque africaine d’import-export, Africa50 et Africa Finance Corporation, se sont engagées à développer le potentiel de l’Afrique en matière d’énergies renouvelables grâce à l’Initiative pour l’industrialisation verte de l’Afrique, dotée de 100 milliards de dollars.
La déclaration de l’ACS2 reconnaît la capacité limitée de l’Afrique à faire face aux coûts de l’adaptation, un enjeu souvent négligé par les bailleurs de fonds internationaux, les décideurs politiques et les investisseurs. L’adaptation souffre d’un déficit majeur de financement, essentiellement parce qu’elle est jugée peu rentable et trop risquée, alors même que les effets du changement climatique sont difficiles à quantifier avec précision et varient en fonction du contexte.
Les dirigeants ont ainsi appelé à une obligation légale de financement de l’adaptation par les pays développés. Ils ont également finalisé un accord sur la mise en œuvre du Fonds africain pour les changements climatiques, administré par la Banque africaine de développement. Il s’agit d’un fonds fiduciaire multidonateur soutenu par le Centre mondial pour l’adaptation et des gouvernements internationaux, notamment l’Allemagne, l’Italie, le Canada, la France et l’Irlande. Il est désormais possible de passer d’un financement à petite échelle à un financement climatique catalyseur de plus grande envergure.
Aujourd’hui, l’Afrique reçoit moins de 3 % des financements mondiaux consacrés aux pays en développement, dont seulement 36 % sont destinés à l’adaptation. Ce sous-investissement chronique est dû à une architecture restrictive du financement climatique, caractérisée par des obstacles institutionnels et une priorité donnée à l’atténuation.
Pour l’Afrique, l’adaptation n’est pas facultative. Elle est essentielle à la résilience, compte tenu de l’ampleur des risques climatiques et des vulnérabilités actuelles. Il est nécessaire de redéfinir l’adaptation à l’échelle mondiale, non seulement comme un moyen de survie, mais aussi comme une voie de développement économique.
Le sommet ACS2 a mis en lumière la vision stratégique et l’ambition du continent en matière d’action climatique. Les pays ont appelé à ce que la feuille de route de Bakou à Belém, d’un montant de 1 300 milliards de dollars, contribue à combler le déficit de financement climatique. Ils ont également plaidé pour la finalisation de l’objectif mondial d’adaptation, pour des réformes du système financier et pour un accès simplifié et direct au Fonds pour les pertes et dommages pour les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement.
Les initiatives de l’ACS2 sont l’occasion de passer des promesses à l’action, mais une coordination efficace sera essentielle
Point moins positif par rapport à l’ACS1 de Nairobi en 2023, le langage adopté par l’ACS2 concernant les combustibles fossiles s’est édulcoré et les engagements explicites à réduire la dépendance au charbon et à mettre fin aux subventions aux combustibles fossiles ont été abandonnés. Cette concession aux différentes réalités du continent révèle également l’équilibre complexe entre les ambitions climatiques et le développement énergétique futur de l’Afrique.
Le lien entre climat, paix et sécurité, qui établit un rapport entre les risques climatiques et la stabilité, a été un sujet de tension majeur lors du sommet. Des pays comme l’Afrique du Sud se sont opposés à son intégration dans la déclaration, soulignant que ce lien ne relevait pas du mandat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et que son inclusion affaiblirait le message clé de l’Afrique lors de la COP30.
Le cadre des Nations unies, historiquement conçu en majorité par les pays développés, ne prend pas en compte la prospérité de l’Afrique et n’est pas adapté aux réalités et aux besoins de développement du continent. Il appréhende le changement climatique comme un simple défi environnemental et non comme une question complexe de développement durable.
En outre, les institutions financières essentielles pour le climat, telles que le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l’environnement mondial et les banques multilatérales de développement, sont très difficiles d’accès pour les pays en développement, qui doivent faire face à des conditions complexes et strictes et à des procédures bureaucratiques.
La plupart des financements climatiques accordés aux pays africains sont basés sur la dette, ce qui alourdit leur pression budgétaire. L’objectif minimal de 300 milliards de dollars adopté lors de la COP29 pour le financement climatique est très loin des 1 300 milliards de dollars par an que les pays en développement devront mobiliser d’ici 2035.
Ces limites offrent à l’Afrique l’occasion de mener une réforme structurelle afin de mieux répondre à ses besoins et de renforcer sa résilience. Dans le même temps, le continent ne peut pas compter uniquement sur ces systèmes : il doit affirmer ses propres priorités et construire son propre récit pour créer une dynamique.
Le Groupe africain de négociateurs peut tirer parti de son poids en tant que deuxième bloc après le Groupe des 77 + la Chine
Les initiatives lancées à Addis-Abeba constituent un socle solide pour passer des promesses à l’action et définir la position de l’Afrique dans la diplomatie climatique mondiale. Il faudra toutefois une coordination efficace pour obtenir des résultats.
La mise en place du Fonds africain pour les changements climatiques doit s’accompagner d’un leadership fort afin de mobiliser les financements et de garantir un accès rapide aux ressources nécessaires pour faire face aux catastrophes climatiques. Les projets locaux alignés sur les contributions déterminées au niveau national pour 2025 doivent être prioritaires et intégrer des investissements à la fois publics et privés.
Sur le plan diplomatique, l’Afrique doit ajuster son image climatique en se présentant non plus uniquement comme bénéficiaire, mais aussi comme partenaire, notamment en ce qui concerne le financement climatique. Elle doit proclamer que ses abondantes ressources en minerais critiques constituent un atout stratégique pour la transition énergétique mondiale, en les utilisant comme un outil de négociation pour promouvoir un modèle de transition qui profite aux économies et aux communautés africaines.
Le Groupe africain de négociateurs doit afficher une position forte et unie pour faire valoir clairement les priorités de l’Afrique et établir des lignes rouges non négociables. Il peut tirer parti de son poids en tant que deuxième plus grand bloc de négociation au monde après le Groupe des 77 + la Chine.
Les effets de ce repositionnement pourraient aller bien au-delà de la COP30 et, s’il est appliqué de manière stratégique, remodeler la dynamique de la gouvernance climatique mondiale. L’avenir nous dira si le changement de discours de l’Afrique s’avérera aussi puissant en pratique qu’il semble l’être en principe.
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