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La ZLECAf ne comblera pas pour l’instant le déficit commercial avec les États-Unis

Malgré son potentiel, la zone de libre-échange continentale ne compensera pas à court terme les pertes commerciales avec les États-Unis.

On évoque beaucoup en ce moment la possibilité que le commerce intra-africain, via la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), vienne pallier le net recul des exportations africaines vers les États-Unis provoqué par la forte hausse des droits de douane décidée par l’administration Trump.

Le commerce intra-africain, qui représente environ 15 à 16 % des échanges du continent, reste relativement faible et n’a que légèrement progressé avec la ZLECAf.

Lors d’un séminaire organisé cette semaine, Elizabeth Sidiropoulos, directrice exécutive de l’Institut sud-africain des affaires internationales, a demandé à Wamkele Mene, secrétaire général de la ZLECAf, si l’émergence des guerres tarifaires et le bouleversement majeur du système commercial mondial ne représentaient pas, paradoxalement, le choc dont l’Afrique avait réellement besoin.

Elle a suggéré qu’un tel choc pourrait « vraiment stimuler et accélérer nos efforts pour créer un marché africain intégré ».

Wamkele Mene a approuvé sur le fond, rappelant que 49 des 55 États membres de l’Union africaine avaient ratifié l’accord instituant la ZLECAf, acceptant ainsi l’obligation de supprimer les barrières au commerce intra-africain.

Néanmoins, la question demeure : comment l’Afrique traversera-t-elle les turbulences actuelles, susceptibles de dévaster les économies ayant bénéficié de l’accès au marché américain grâce à la loi sur la croissance et les perspectives économiques de l’Afrique, à l’instar de l’Afrique du Sud, de l’Angola, de Madagascar et du Nigéria ?

Selon lui, la réponse consiste à « protéger efficacement l’économie africaine de la tempête actuelle » afin de garantir « l’autosuffisance économique du continent » à moyen et long terme.

Le commerce intra-africain reste faible et n’a que peu progressé avec la ZLECAf

Il a souligné que l’Afrique constitue un marché de 1,4 milliard de personnes avec un PIB combiné de 3 400 milliards de dollars US, mais qui reste très fragmenté – un problème que la ZLECAf est censée résoudre. À moyen et long terme, la ZLECAf pourrait créer un marché intérieur africain susceptible de compenser, par exemple, la perte du marché automobile américain pour l’Afrique du Sud.

Wamkele Mene a ajouté que tous les pays du Sud étaient confrontés à la même difficulté et que l’Afrique, comme d’autres régions, devait nouer des partenariats fondés sur le commerce et l’investissement. Il a rappelé que la Chine venait d’annoncer que plus de 30 pays africains bénéficieraient désormais d’un accès à son marché en franchise de droits et hors quotas.

L’Union africaine a également entamé des discussions avec les Émirats arabes unis et doit élargir ses partenariats avec les pays d’Amérique latine.

L’ancien ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Rob Davies, estime que l’impact de la hausse des droits de douane américains serait dramatique pour de nombreux pays africains, en particulier pour l’Afrique du Sud, compte tenu de son niveau élevé d’exportations vers les États-Unis.

S’il juge la ZLECAf incontournable, il avertit que les pays du monde qui dépendaient du marché américain chercheront désormais à écouler leurs produits ailleurs, notamment en Afrique.

Selon lui, seuls quelques pays africains (comme l’Afrique du Sud, le Maroc et le Nigéria) réussissent pour l’instant à écouler leurs produits à valeur ajoutée sur le continent.

Pour Rob Davies, trois scénarios se dessinent pour la ZLECAf.

Les pays dépendant des États-Unis chercheront d’autres marchés, notamment en Afrique

Le premier serait celui d’un continent « sonné » par un afflux d’importations extérieures, ce qui réduirait l’intérêt de l’accès préférentiel intra-africain. Parallèlement, en quête de meilleurs accords avec les États-Unis, les États africains pourraient se faire concurrence en offrant un accès minier ou d’autres concessions, ce qui rendrait le marché africain moins attractif et risquerait de freiner la ZLECAf.

La deuxième possibilité est que certains pays africains utilisent la ZLECAf comme débouché pour leurs produits finis, au risque de provoquer des représailles et d’accentuer la polarisation à l’intérieur du continent.

Rob Davies rappelle que ce phénomène a déjà été observé il y a plusieurs années au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont certains États membres ont parfois privilégié les importations venues de l’extérieur par rapport à celles issues de la SADC. Cela pourrait également freiner le développement de la ZLECAf.

Selon lui, les droits de douane imposés par Donald Trump illustrent la transition à l’œuvre au sein de l’économie mondiale, qui passe de la mondialisation et du néolibéralisme de la fin du XXe siècle à un nouvel ordre multipolaire. Ce nouvel ordre se caractérise notamment par un protectionnisme accru, « parfois dissimulé derrière des mesures dites climatiques », et par un régionalisme renforcé.

La troisième possibilité consisterait à relever le défi du développement régional afin de transformer la ZLECAf en moteur de croissance pour les chaînes de valeur africaines. Cela nécessiterait des efforts concertés pour créer des opportunités permettant aux petites économies d’intégrer ces chaînes de valeur en produisant des biens intermédiaires.

« C’est une voie plus longue et plus difficile, mais c’est en définitive celle que la région doit suivre. Nous sommes à la croisée des chemins », déclare-t-il.

Eckart Naumann, économiste indépendant et chercheur associé au Trade Law Centre, estime que la ZLECAf ouvre de nombreuses opportunités. Mais son démarrage reste lent, en partie parce que les règles d’origine et les calendriers de réduction réciproque des droits de douane ne sont pas encore finalisés. 

La ZLECAf progresse lentement, bon nombre de règles et tarifs restant à négocier

Il indique que l’Afrique du Sud ne peut actuellement commercer qu’avec sept pays dans le cadre d’une « initiative de commerce guidé », destinée à relancer les échanges entre les États qui ont commencé à mettre en œuvre la ZLECAf. 

Il rappelle également que la ZLECAf ne se substitue pas aux accords préférentiels déjà en vigueur au sein des blocs commerciaux infrarégionaux, tels que la SADC, mais doit être comprise comme un accord-cadre favorisant les échanges intra-africains entre pays situés hors du même espace commercial, comme l’Afrique du Sud et le Kenya, ou l’Égypte et le Nigéria. 

Eckart Naumann souligne qu’il sera difficile de remplacer les marchés d’exportation américains par des marchés africains, car il faut du temps pour créer de nouveaux débouchés avec des structures de consommation différentes. Pour certains produits, comme l’automobile, les règles d’origine ne sont toujours pas définies. 

Donald MacKay, directeur général de XA Global Trade Advisers, tempère les attentes : « La ZLECAf suscite parfois de faux espoirs. Nous ne remplacerons pas les États-Unis par l’Afrique, tout simplement parce que les produits que nous exportons vers les États-Unis ne sont pas ceux que l’Afrique achète, et certainement pas dans les mêmes volumes. »

Il ajoute que les biens de consommation de base pourraient trouver des débouchés, mais que même si l’Afrique du Sud écoulait les mêmes volumes en Afrique qu’aux États-Unis, il serait difficile d’en obtenir des prix équivalents.

Bien que les échanges aient déjà commencé dans le cadre de la ZLECAf, les progrès sont limités, bon nombre de règles et tarifs douaniers restant à négocier. Les règles d’origine pour les véhicules et les textiles, par exemple, ne sont pas encore arrêtées.

Mais selon Donald MacKay, le véritable obstacle n’est pas la mise en œuvre elle-même. Il rappelle que l’accord de libre-échange de la SADC n’a pas significativement dynamisé les exportations sud-africaines vers la région (au-delà de l’Union douanière d’Afrique australe), notamment en raison des coûts de transport élevés et du pouvoir d’achat limité des consommateurs.

« Certains produits alimentaires de base se vendront, par exemple, mais les Mercedes Classe C que nous envoyons aux États-Unis ne seront pas miraculeusement achetées en Afrique », déclare-t-il.

Cela soulève une question fondamentale : le libre-échange peut-il vraiment devenir un instrument de développement ?

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