Est de la RDC : la diplomatie régionale à l’épreuve
Alors que le M23 poursuit sa marche destructive, le sommet CAE-SADC doit tirer les leçons de l'échec des efforts de paix.
Publié le 07 février 2025 dans
ISS Today
Par
Bram Verelst
chercheur principal, prévention et gestion des conflits et consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs, ISS Nairobi
Nicodemus Minde
chercheur, gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique de l’Est, ISS Nairobi
Le 27 janvier, les forces du Mouvement du 23 mars (M23), soutenues par le Rwanda, ont pris le contrôle de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu de la République démocratique du Congo (RDC). La prise de la ville et la progression du M23 vers Bukavu, dans le Sud-Kivu, marque une escalade drastique de la rébellion depuis l'échec des pourparlers de paix dans le cadre des processus de Luanda et de Nairobi, avec des conséquences humanitaires et civiles dévastatrices.
La Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) et la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) accordent la priorité à ce conflit. Leurs dirigeants se sont rencontrés le 8 février à Dar es-Salaam afin de discuter de la stabilisation de la région. Compte tenu de leurs différences d’approche, les discussions doivent tirer les leçons des deux processus.
Goma et Bukavu, est de la RDC
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Dans le cadre du processus de Luanda soutenu par l'Union africaine (UA) et lancé en 2022, le président rwandais, Paul Kagame, devait rencontrer le président de la RDC, Félix Tshisekedi, à la mi-décembre 2024 pour signer un accord de paix provisoire. Cependant, le président Kagame a annulé la rencontre parce que la RDC a refusé d'inclure un engagement à dialoguer avec le M23, considérant que le processus de Luanda doit impliquer strictement les États.
Cette évolution a bloqué les progrès déjà réalisés, lorsque les participants avaient convenu que les Forces démocratiques pour la libération du Congo (FDLR), groupe armé hutu opérant dans l'est de la RDC, seraient neutralisées en échange de la levée par le Rwanda de ses « mesures défensives », une référence mutuellement comprise au retrait du Rwanda de la région.
Dirigé par la CAE, le processus de Nairobi porte sur les hostilités intercongolaises. Son travail a également été difficile, en partie parce que la RDC considère que plusieurs pays de la CAE, en particulier le Kenya, soutiennent le Rwanda.
Ces tensions régionales, ainsi que la pression exercée sur Tshisekedi par son électorat pour obtenir des résultats militaires, ont conduit le gouvernement congolais à faire pression pour que la force régionale de la CAE se retire rapidement de l'est de la RDC. La force avait été déployée en novembre 2022 pour restaurer la stabilité. Elle a été remplacée par la mission de la SADC en RDC (SAMIDRC).
Malgré leurs échecs, tous les sommets internationaux et régionaux d'urgence sur la crise ont appelé à un soutien renouvelé aux deux processus. La CAE, la SADC et l'UA ont également cherché à harmoniser les approches régionales grâce à un deuxième sommet quadripartite de l'UA et d'un sommet conjoint CAE-SADC.
Tous les acteurs régionaux doivent reconnaître ouvertement le soutien du Rwanda au M23
Bien que les efforts régionaux bénéficient d'un large appui, des différences d’approche significatives ne peuvent pas être ignorées. Plusieurs pays de la CAE considèrent qu'un dialogue entre Kinshasa et le M23 est la seule solution viable, et ils s'abstiennent d'évoquer publiquement l'implication du Rwanda.
En revanche, la SADC a condamné les récentes attaques du M23 contre la SAMIDRC, a demandé le retrait du Rwanda et a réaffirmé son soutien à la RDC. (Il faut noter que la RDC est à la fois membre de la CAE et de la SADC, tandis que le Rwanda est membre de la CAE).
L'avenir de la SAMIDRC est toutefois incertain, le Malawi comptant retirer ses troupes. Le Rwanda a reproché à la mission d'être une force offensive et d’apporter la « guerre au Rwanda ». Fait révélateur, Tshisekedi n'a pas participé au sommet extraordinaire de la CAE le 29 janvier ; il s’est rendu en Angola (un pays de la SADC) pour délibérer avec le président João Lourenço.
Les deux efforts régionaux doivent s'adapter aux réalités du terrain, notamment l’expansion territoriale du M23 et ses liens avec d'autres groupes armés, facilités par l'Alliance fleuve Congo (AFC). Cette dernière est dirigée par l'ancien chef de la commission électorale de la RDC, Corneille Nangaa Yobeluo, dont l'agenda politique national a incité d'autres acteurs régionaux à s'engager aux côtés de l'AFC.
Le M23 est confronté non seulement à l'armée congolaise et aux troupes étrangères, mais aussi à une coalition de groupes armés sous la bannière des wazalendo (patriotes). Les promesses du gouvernement congolais de les intégrer dans une force de réserve de l'armée sapent les efforts de démobilisation du processus de Nairobi et risquent de favoriser une nouvelle mobilisation armée.
La référence du Rwanda à l'arbitraire des frontières coloniales devrait être un sujet de préoccupation
Les pourparlers de paix doivent prendre en compte non seulement les FDLR, mais aussi l'escalade militaire en général dans l'est du pays. Il s'agit notamment d'aborder la question de la présence de milliers de soldats burundais déployés depuis 2023 pour combattre le M23 aux côtés de l'armée congolaise et des milices alliées. Leur mise en œuvre a alimenté les tensions régionales avec le Rwanda, et plusieurs soldats burundais auraient été capturés par le M23.
Le soutien du Rwanda au M23 a été décisif pour l'extension de ce dernier ; on peut se demander si le M23 aurait pu conquérir Goma sans cet appui. Les acteurs régionaux, y compris au sein de la CAE, devraient le reconnaître ouvertement.
Ils devraient indiquer clairement au Rwanda qu'aucune raison humanitaire ou préoccupation sécuritaire ne justifie cette violence à l'égard de la population congolaise ou le mépris flagrant de la souveraineté et de l'intégrité territoriale d'un autre État. Après tout, il s'agit des principes fondamentaux des cadres régionaux et internationaux.
La référence ouverte du Rwanda à l'arbitraire des frontières coloniales comme cause première du conflit devrait être un sujet de préoccupation internationale. S'il est important de répondre aux préoccupations humanitaires et sécuritaires du Rwanda, il faut reconnaître que la rébellion du M23 et la démagogie nationaliste congolaise ont aggravé la vulnérabilité des Tutsis congolais et l'extrémisme anti-rwandais, et détérioré les liens entre l'armée de la RDC et les FDLR.
Kinshasa qualifie le M23 de « marionnette rwandaise » et Kigali le groupe armé de « problème intérieur congolais », mais ni l'un ni l'autre ne sont tout à fait vrais. Le M23 est un mouvement congolais, mais il défend les intérêts rwandais. Le groupe est également confronté à des divergences internes et s'est divisé en factions régionales aux loyautés concurrentes.
Se contenter d'appeler la RDC à négocier avec le M23 risque de frustrer davantage Kinshasa
L’agenda initial du M23 est fortement lié aux demandes de retour des réfugiés tutsis congolais du Rwanda vers l'est de la RDC, et à l'intégration des membres du mouvement dans l'État et l'armée de la RDC. Toutefois, ses projets ont évolué tout au long de sa résurgence depuis la fin de l'année 2021, le groupe signalant son intention d’être une alternative à l'État congolais dans les zones qu'il contrôle.
Malgré les intentions déclarées des dirigeants de l'AFC de marcher sur Kinshasa, la plupart des dirigeants du M23 donnent probablement la priorité aux agendas locaux dans le Nord-Kivu plutôt qu'à un changement de régime national.
La diplomatie régionale doit tenir compte de cette dynamique. La géopolitique complexe de l'est de la RDC, basée sur des liens ethniques transfrontaliers, des motivations économiques et sécuritaires et des questions de politique intérieure, est tout aussi importante.
Si la diplomatie régionale doit soutenir le dialogue, elle doit aussi être pragmatique. Se contenter d'appeler la RDC à négocier avec le M23 risque de ne pas être entendu et de frustrer davantage Kinshasa. Une diplomatique discrète avec le M23 par le biais de pourparlers indirects est la voie la plus réaliste, de même que des efforts pour ramener le Rwanda et la RDC à la table des négociations.
Des signes positifs indiquent que l'engagement diplomatique peut être renouvelé. Tout d'abord, le 3 février, le M23 a annoncé unilatéralement un cessez-le-feu humanitaire, peut-être en prévision du sommet CAE-SADC auquel le Rwanda et la RDC participeront. Cependant, le groupe a continué à se déplacer dans le Sud-Kivu.
Ensuite, le président de l'Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a appelé à la retenue diplomatique et a demandé que des solutions diplomatiques à la crise soient trouvées. Enfin, le sommet CAE-SADC ouvre la porte au dialogue et à la revitalisation du processus de Nairobi, en complément du processus de Luanda.
Toutefois, avec la progression du M23 vers Bukavu et la mise en garde ouverte du président burundais Évariste Ndayishimiye contre une guerre régionale à grande échelle, les deux blocs régionaux devraient être réalistes quant aux résultats escomptés du sommet conjoint.
Au vu de la montée des tensions, les priorités immédiates sont un cessez-le-feu et l'ouverture des voies d'approvisionnement pour faciliter l'accès humanitaire qui pourrait être contrôlé par la CAE et de la SADC. Ces décisions devraient être approuvées lors de la rencontre des chefs d'État du Conseil de paix et de sécurité de l'UA qui se tiendra les 15 et 16 février.
Une initiative de paix unique pourrait empêcher le Rwanda et la RDC de se livrer à un forum shopping comme avec les processus de Nairobi et de Luanda, en favorisant les médiateurs perçus comme soutenant leur camp.
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